Un mariage de raison à logique financière
Derrière cette transaction, se cache pour Broadcom une stratégie de diversification de ses activités. Broadcom a déjà annoncé viser un retour sur investissement très court, sur 3 ans. Ce mariage obéissant essentiellement à une logique financière, des milliers d'entreprises utilisatrices des produits VMware voient d'un mauvais œil l'arrivée de Broadcom à la barre du spécialiste de la virtualisation.
En complément des impacts des annonces de ces derniers mois, certains clients redoutent les décisions futures de Broadcom. Depuis les rachats de CA Technologies en 2018 ou de Symantec en 2019, la société est en effet réputée pour ses pratiques d'augmentation régulière du prix des licences logicielles.
Des répercussions majeures sur le budget IT des entreprises
Selon les calculs du Cigref[1], tenant compte de la revente d’une partie des activités de VMware et des réductions d’effectifs et de coûts, pour rentabiliser son acquisition sur trois ans, la facture des clients actuels sera en moyenne multipliée par 3.
Depuis le début de l’année, ces projections se vérifient sur le terrain. De nombreux décideurs IT s'alarment de voir leur budget fortement impacté. « Des entreprises de toutes tailles viennent nous consulter car elles font face à des augmentations de prix considérables. Nous observons aussi de vraies disparités, en fonction de leur infrastructure et des services VMware qu’elles utilisent. Les plus impactées sont plutôt les ETI et PME, avec des augmentations pouvant parfois être multipliées par 15 », confirme Aurélien Violet, Chief Marketing Officer chez Enix.
Pour parvenir à de tels niveaux d’augmentations, Broadcom a profondément remanié son offre : la fin du modèle de licence perpétuelle au profit de la souscription par abonnement ; le changement de l’unité de calcul du nombre de licences ; ou encore la mise en place de “bundle”, c’est-à-dire l'obligation de se tourner vers un package complet de services VMware Cloud Foundation (VCF) ou VMware vSphere Foundation (VVF), qu’il soit utilisé intégralement ou non.
Innovation et qualité du support technique : la confiance entamée
Au-delà de l’impact financier à court terme, les clients redoutent des chamboulements importants sur les feuilles de route de développement des produits. VMware avait beaucoup investi ces dernières années pour développer des solutions de pointe dans les domaines de la virtualisation, des conteneurs, du cloud hybride ou du edge computing. Les entreprises peuvent-elles compter sur le maintien de ces efforts d'innovation et de la qualité du support technique sous la tutelle de Broadcom ? Rien n'est moins sûr, malgré les marques récentes de réassurance du géant américain.
« Les interrogations de certaines DSI sur l’évolution de la qualité du support VMware nous semblent aujourd’hui prématurées. Il est cependant intéressant de voir que le sujet du support et du modèle pour assurer le RUN de leurs plateformes soit au cœur de leurs réflexions. Cet aspect peut en effet évoluer fortement en cas de sortie de VMware et du modèle basé sur un unique fournisseur de solution propriétaire », souligne le responsable marketing d’Enix.
Envisager la question de la souveraineté plus globalement ?
VMware constituant le standard de fait de la plupart des environnements on-premise ou cloud privé, son rachat suscite également des interrogations en matière de souveraineté et d’indépendance. « Par opposition au déploiement sur les clouds des trois GAFAMs, avec des plateformes on-premise, de nombreux clients se pensaient à l’abri des desiderata américains. La situation actuelle révèle en réalité la forte dépendance que certains ont créée au fil des années en s’appuyant sur une solution propriétaire », ajoute-t-il.
Cette opération financière incite aussi les DSI à s’interroger sur la notion de souveraineté qui est très souvent abordée sous l’unique angle du stockage des données. « Chez Enix, nous pensons nécessaire qu’elle soit appréhendée de façon plus globale. En vous basant sur des solutions propriétaires clés en main, a fortiori chez un seul fournisseur, vous devenez simple utilisateur plutôt qu’acteur, vous vous en remettez intégralement à lui. Or la souveraineté, c’est avant tout la capacité à décider et agir en autonomie. Pour cela, il faut conserver la compétence au sein de ses équipes ou chez des partenaires de confiance », précise-t-il.
L’opportunité de réviser son approche et sa stratégie IT
L’impact sur le budget amène les DSI à questionner leur stratégie IT de façon plus globale. Faut-il poursuivre avec VMware et accepter les nouvelles offres et tarifications ? Utiliser d’autres solutions propriétaires à iso-fonctionnalités ? Adopter des solutions plus ouvertes basées sur l’open source en ré-internalisant certaines compétences ou en s’appuyant sur de nouveaux partenaires ? Ou bien faut-il se lancer dans des évolutions plus profondes, comme migrer dans le cloud public ou bien passer aux conteneurs et à Kubernetes ?
« La stratégie à adopter dépendra de nombreux paramètres spécifiques à chaque entreprise : l’architecture et les serveurs composant les plateformes ; la façon dont les équipes consomment les VM ; les services que les VM font tourner ; les besoins réseau ou backup ; l’intérêt ou non d’évoluer vers le cloud native ; les préoccupations de sécurité et de souveraineté, ou encore la compétence dont l’entreprise dispose en interne. », relève Aurélien Violet.
Ce nouveau contexte constitue aussi pour de nombreux DSI l’occasion de questionner l’utilisation de solutions clés en main, sur étagère. « Au-delà de leur volonté de sortir d’un modèle propriétaire, de plus en plus d’entreprises s’intéressent aux solutions open source dans une optique d’optimisation de leurs coûts IT à plus long terme », souligne Aurélien Violet, avant de relever que “les souhaits de migration vers notre solution de cloud Proxmox se sont nettement renforcés depuis le rachat de VMware par Broadcom”.
Voir aussi :
(2/3) : Alternatives à VMware : les vertus de l’open source
(3/3) : Alternatives à VMware : migrer sur Proxmox, mode d'emploi
[1] Entretien avec Henri D’Agrain, délégué général du Cigref, pour Les Grands Themas du Monde Informatique, mai 2024