Nous terminons le semestre avec une émission consacrée au difficile sujet de la santé mentale au travail. De plus en plus prégnant dans la société, depuis le Covid-19 mais pas seulement, il n’épargne évidemment pas l’entreprise. D’autant que les frontières entre vies professionnelle et personnelle se brouillent.
Selon le baromètre Opinion Way - Empreinte Humaine réalisé en février 2023, 44% des salariés se déclarent en détresse psychologique. Contrairement à ce que l’on aurait pu imaginer, cette proportion ne réduit pas, bien au contraire, depuis la « fin » de la pandémie de Covid-19. Depuis le précédent baromètre, elle a encore augmenté de 3 points. 14% des répondants se disent même en détresse élevée. Enfin, 74% estiment que cet état est au moins en partie lié à leur travail.
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Si près d’un travailleur sur deux est concerné, impossible pour les entreprises d’ignorer le phénomène et son impact. Pourtant, contrairement aux problèmes de santé physique qui se traduisent souvent par des symptômes visibles, identifiables, un trouble mental est lui très souvent invisible et difficile à repérer. Peu de DRH sont formés à la santé mentale. Et beaucoup d’entre eux craignent d’outrepasser leur rôle et d’empiéter sur la vie privée des employés. Pour toutes ces raisons, pour les éclairer sur ce sujet et leur donner des pistes pour l’aborder très concrètement, nous avons consacré notre dernière émission Enjeux RH – Le Monde Informatique avant l’été, à la santé mentale au travail.
Afin de comprendre ce qu’elle recouvre, ses enjeux et les moyens pour les DRH de l’aborder, nous recevrons le psychiatre Jean-Victor Blanc, l’ancien DRH de Safran Hélicopters, Frédéric Henrion, aujourd’hui en charge de l’université Safran, la DRH de l’Afnor Laurence Breton-Kueny également vice-présidente de l’association ANDRH et le co-fondateur de l’ONG Credir, Jean-Denis Budin.
De quoi parle-t-on quand on exactement ?
Mais pour commencer, qu’est-ce réellement que la santé mentale ? Entre imaginaires échappés de Vol au-dessus d’un nid de coucou et bien-être par les plantes ou décoration de bureaux, les raisons de s’égarer sur son véritable sens sont nombreuses. Pour comprendre ce que santé mentale signifie concrètement, je recevrai d’abord Jean-Victor Blanc, psychiatre à l’AP-HP (hôpital Saint-Antoine) et spécialiste des addictions. Il nous rappellera ce que le terme recouvre, exemples à l’appui. Quelle différence entre burn-out et dépression ? Qu’est-ce qu’une addiction ?
Il reviendra aussi sur ce que n’est pas la santé mentale. Pour traiter de ce sujet sensible, il faut bel et bien éviter les poncifs, les a priori, les préjugés, les confusions. Et ne pas invoquer en priorité baby-foots, murs colorés et autres séances de yoga comme autant de solutions miracles. Même si on le verra, nos experts et DRH ne rejettent pas ces solutions en tant que telles, loin de là, mais préfèrent les remettre à leur juste place de bonus bien-être.
La pop culture pour informer sans dramatiser
Pour lui, Jean-Victor Blanc, il est d’abord essentiel de s’appuyer sur l’information médicale de référence. Mais il insiste également sur l’importance cruciale de créer une atmosphère propice pour évoquer le sujet. Les personnes concernées ou leur entourage professionnel rechignent bien souvent à en parler ouvertement par peur de la stigmatisation. Pour cette raison, le psychiatre utilise un véhicule de communication à la fois efficace et dédramatisant, la pop culture. Il tient des conférences d’information du grand public sur la santé mentale qui puisent dans des films, des séries, des documentaires ou des articles sur des stars de la pop. Des supports de partage de la connaissance sur la santé mentale moins impressionnants qu’un discours purement médical et technique.
Préventif et curatif
Nous accueillerons ensuite le directeur du Global learning de Safran University, Frédéric Henrion. Entre 2018 et 2022, il a également occupé la fonction de DRH de l’équipementier aéronautique Safran Helicopters. Il a ainsi traversé la période Covid-19 et ses nombreux impacts sur la santé tant physique que mentale des employés. Il avait néanmoins déjà pris le sujet à bras le corps dès son arrivée, avec des démarches tant préventives que curatives.
Aucune approche mécanique ne s’applique en matière de santé mentale, mais pour Frédéric Henrion, il faut néanmoins s’informer, se former pour reconnaître les signaux faibles et savoir les interpréter et disposer de démarches adéquates pour accompagner les personnes concernées. Quant à empiéter sur la vie privée, notre invité estime qu’avec le numérique et le développement du travail asynchrone, du télétravail, la frontière avec l’activité professionnelle s’est atténuée. Avec toutes les précautions requises, elle n’empêche plus de s’intéresser aux questions de santé mentale.
Une formation aux premiers secours
Dans le prolongement, notre 3e intervenante Laurence Breton-Kueny, DRH de l’Afnor, nous fera quant à elle découvrir une formation aux premiers secours en santé mentale qu’elle a présentée aux équipes de l’association en juin 2023. Inspirée de la formation aux premiers secours, et conçue par un psychologue, elle vise à former les employés d’entreprise à identifier les potentiels troubles qu’eux-mêmes ou leurs collègues subissent, et savoir de quelle façon réagir au mieux dans l'urgence. Preuve s’il en est de l’intérêt et du besoin d’information sur le sujet, 150 employés de l’Afnor ont assisté à cette agora contre environ un tiers de cet effectif environ habituellement.
La DRH de l’Afnor, également vice-présidente de l’ANDRH, insiste aussi sur l’importance de s’appuyer sur des professionnels. Professionnels de santé bien sûr, comme les psychologues ou infirmières, mais aussi assistantes sociales. L’anxiété, le stress proviennent en effet parfois d’une charge mentale trop importante liée aux enfants ou à des parents dépendants, ou encore à des difficultés financières. Afnor oblige, Laurence Breton-Kueny rappellera aussi les obligations de l’employeur de garantir la santé physique et l’existence de la norme ISO 45003 sur les RPS (risques psychosociaux).
L'importance de la santé physique
Nous clôturerons enfin la matinée avec Jean-Denis Budin, co-fondateur du Credir. Cet entrepreneur a vécu un burn-out sévère qui l’a privé de toute capacité de mémorisation durant 2 ans. De ce drame, il a tiré une réflexion retranscrite dans une thèse sur les « histoires méconnues des chefs d’entreprise en difficulté ». Thèse qui l’a conduit à fonder en 2012 une ONG, le Credir, pour accompagner des employés dont la santé mentale a été malmenée par le travail ainsi que des entreprises qui souhaitent prendre en main le sujet. Son équipe n’est constituée que de personnes ayant elles-mêmes souffert de ce type de trouble.
Pour Jean-Denis Budin, il faut déjà rappeler qu’une bonne santé mentale repose sur une bonne santé physique. Pour autant, pas question pour l’entreprise d’imposer des horaires de sommeil ou des séances d’activité physique à un employé. C’est pourquoi, là encore, elle doit informer précisément ses équipes sur les liens entre corps et esprit, en quelques sortes. Une apnée du sommeil chronique par exemple, non détectée, peut être la source d’une fatigue aux répercussions importantes. En conséquence, Jean-Denis estime que le médecin généraliste est un acteur central dans la démarche.
Ne pas parler de "santé mentale"
Dernier point, mais non des moindres, pour le co-fondateur du Credir, pour parler de santé mentale, il ne faut pas utiliser l’expression « santé mentale ». Il s’agit de créer cette atmosphère propice à libérer la parole évoquée par Jean-Victor Blanc. L’expression effraie tant par ce qu’elle évoque que par la stigmatisation qu’elle ne manque pas de provoquer. Jean-Denis Budin préfère ainsi parler par exemple de qualité de vie globale.
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