Il y a deux ans, certains analystes de l'industrie avaient prudemment avancé que la consolidation des trop nombreuses normes IoT commencerait en 2017. Si, fin 2014, l’univers de l’Internet des objets (IoT) se dispersait encore dans tous les sens, aujourd’hui, les meilleurs acteurs semblent pointer leurs efforts dans la même direction, même s’il reste encore beaucoup de choses à accorder. L’an dernier, deux des plus grands rivaux de l’IoT ont fait un pas l’un vers l’autre. Une nouvelle fondation - l’Open Connectivity Foundation (OCF) - a été créée pour réunir la AllSeen Alliance, partisane du AllJoyn développé par Qualcomm, et le Consortium Open Interconnect d'Intel.
Jusque-là, chaque groupe poussait sa propre norme de découverte et de communication des dispositifs connectés entre eux. Autre signe encourageant : la norme IEEE p2413, qui doit servir de base aux architectures IoT unifiées, pourrait être achevée cette année, selon Oleg Logvinov, le président du groupe de travail p2413. La norme est destinée à tous les appareils industriels et grand public. Elle ne remplacera pas les formats de données existants, mais facilitera le partage des données de différents formats entre les appareils.
Utiliser les normes finalisées
Certains acteurs proposent d’utiliser les technologies existantes pour les couches communes d'interopérabilité. La semaine dernière, lors du dernier CES (5 au 8 janvier), la ZigBee Alliance a annoncé Dotdot, un langage universel pour l’IoT. Dotdot est une couche d'application ouverte qui gère les mêmes choses que l’Open Connectivity Foundation (OCF), sauf qu’il est basé un protocole de couche supérieure déjà implémenté dans de nombreux périphériques utilisant le réseau sans fil ZigBee. Dotdot peut déjà travailler avec les réseaux Thread. Sigma Designs, la principale entreprise derrière les réseaux Z-Wave a livré la couche d'interopérabilité Z-Wave pour aider les développeurs à intégrer ces réseaux dans des applications et des services en s’appuyant sur des plates-formes cloud comme HomeKit.
Mais selon les analystes de l'industrie, le choix est encore trop vaste, autant pour les développeurs que pour les consommateurs, pour rendre l’IoT simple et facile. Et ce sera probablement encore le cas dans 12 mois, et peut-être dans deux ou trois ans. « Le degré de consolidation actuel ne permet toujours pas de faciliter la vie des fournisseurs de solutions et des développeurs d'applications », a déclaré Andy Castonguay, analyste chez Machina Research. « Il y a encore énormément d'options. De fait, le choix pour les consommateurs est encore trop fragmenté. Cet élément freine l’avènement des maisons intelligentes », a déclaré pour sa part Avi Greengart analyste chez Current Analysis. « La plupart des consommateurs n'achèteront pas d'équipement IoT tant que leur utilité ne sera pas claire. Ils veulent des solutions faciles à installer et des objets facilement interopérables », a-t-il ajouté. « Tous les gros fournisseurs de puces et d'informatique sont en concurrence sur ce marché, et pour l'instant il n'y a pas eu de consolidation autour des meilleurs. C’est toujours le bazar », a encore déclaré Avi Greengart.
L’implication des juristes
Pourquoi est-il si difficile de s'entendre sur les normes ? « Ce sont de grandes entreprises et elles évoluent lentement », a déclaré Mike Krell de Moor Insights and Strategy. Les normes soulèvent des questions de propriété intellectuelle débattues par des armées d'avocats. Et les avancées dans la diplomatie des standards ne sont pas une garantie. « Ce n’est pas parce qu’un nombre conséquent de fournisseurs, parmi lesquels Microsoft, Samsung, Cisco Systems, GE Digital et Haier, a rejoint l’OCF qu'ils adopteront tous la norme de la fondation pour l'ensemble de leurs produits », a expliqué Mike Krell. Très souvent, les grands fournisseurs s’impliquent dans des groupes divers pour influencer leurs choix. « Il faut dire que les enjeux sont potentiellement énormes pour que les grandes entreprises laissent passer une chance de dominer la maison IoT », a déclaré Avi Greengart. « Je ne crois pas que la « co-opérence » - un mélange de coopération et de concurrence - prévaudra sur la compétition.
Par ailleurs, étant donné que personne ne sait quelle couche de la pile aura le plus de valeur, chacun se bat pour son propre compte », a-t-il ajouté. « Peut-être que la norme commune qui fera fonctionner les maisons intelligentes proviendra d’un seul fournisseur, comme HomeKit d'Apple », a encore déclaré l’analyse de Current Analysis. Selon lui, Apple est aussi bien positionné que n'importe quelle entreprise. « Cependant, même si, lors du CES, de nombreux fabricants ont présenté des produits utilisant HomeKit, cela ne signifie pas qu’ils ont tout misé sur la norme d’Apple », a-t-il aussi déclaré. Alexa, la plateforme d’intelligence artificielle d'Amazon basée sur le cloud, qui a fait sensation au CES, fournit au moins une interface utilisateur unique, même si Avi Greengart estime que ce n'est pas vraiment une plate-forme IoT complète comme HomeKit. Pour le moment…
Encore beaucoup à faire
Même si une partie de la pile technologique est normalisée et même si la vie des développeurs et des consommateurs s’en trouve facilitée, il reste d'autres obstacles à l'adoption massive de l’IoT dans la maison. Les consommateurs s’inquiètent par exemple beaucoup de la sécurité des objets connectés. « Cette question doit être résolue de façon globale et non au coup par coup, comme c'est le cas aujourd'hui », a déclaré Andy Castonguay de Machina Research. « Nous attendons toujours l’émergence d’une approche globale, de bout en bout, de la sécurité, avec des capacités de mises à jour et de vérifications en temps réel », a-t-il ajouté. Se pose aussi la question de la commercialisation des produits IoT auprès des consommateurs. « Aujourd’hui, l’installation de systèmes intelligents dans les maisons relève du bricolage, mais demain les opérateurs et les câblodistributeurs pourraient devenir le principal canal de vente de ces solutions », a déclaré Mike Krell. Mais il est encore trop tôt pour le dire.
De bonnes nouvelles, aussi
Heureusement, tout n’est pas sombre dans l'univers de l’Internet des objets. L’an dernier, le 3rd Generation Partnership Project (3GPP), qui travaille sur les normes cellulaires, a validé deux spécifications pour le LTE basse consommation. « Ces technologies, dites Catégorie M1 et Catégorie NB1, permettront aux opérateurs de déployer des services IoT spécialisés », a déclaré M. Castonguay. Les deux nouvelles technologies sont plus lentes que les services data mobiles courants, mais ils consomment moins d'énergie, ce qui signifie qu’elles seront compatibles avec de petits objets connectés à piles, comme les capteurs. Dans le cadre du standard LTE, ces systèmes représentent une mise à niveau relativement simple et économique des réseaux actuels.
« Une autre norme de réseau étendu basse énergie, la technologie Long Range ou LoRa, gagne du terrain avec plus de déploiements nationaux », a encore déclaré Andy Castonguay de Machina Research. En France, Orange et Objenious, une filiale de Bougues Telecom déploient leur réseau LoRa pour répondre aux besoins des entreprises. En octobre, Comcast a annoncé qu'il envisageait de déployer un réseau national basé sur le protocole LoRa pour servir les entreprises. Dans d'autres pays, certains opérateurs utilisent déjà la technologie. « Ingenu, une société américaine qui a déployé son propre réseau basse énergie, gagne également du terrain dans le monde entier », a-t-il ajouté. Et un peu partout dans le monde, Sigfox étend son réseau bas débit reposant sur sa technologie réseau longue distance et basse consommation (LPWA). Partout où l'adoption de l'IOT est massive, une ou deux technologies, ouvertes ou non, qui ont, en quelque sorte, capté les utilisateurs, sont impliquées. « L'ubiquité est parfois le facteur le plus déterminant pour imposer une norme », a déclaré Avi Greengart.