Pour réduire leurs coûts, les grandes entreprises technologiques américaines même rentables multiplient les annonces de suppressions d'effectifs. Dans ce contexte, la décision de Red Hat de licencier environ 800 personnes, soit 4 % des effectifs n’a pas seulement bouleversé les employés, elle a aussi alimenté les appels à la syndicalisation, y compris en France. Selon The Register, l'organisation syndicale française Solidaires Informatique a publié un message en réponse à ces licenciements. Posté en début de semaine sur la liste de diffusion interne de Red Hat, sous le nom de memo-list, ce message remet en question les déclarations publiques du CEO Matt Hicks et de ses équipes dirigeantes au sujet des coupes prévues par la firme. Dans sa note, le syndicat français demande : « si les cadres ont subi une réduction de salaire, quelles mesures l'entreprise a-t-elle prises pour redresser ses finances avant de décider de laisser 4 % d'entre nous sans emploi ? Il poursuit en ajoutant : « Pour quelles raisons une entreprise aussi rentable que Red Hat suit d'autres organisations technologiques dans des licenciements non mérités ? ».
Car l'éditeur de logiciels open source - acquis par Big Blue en 2019 pour 34 milliards de dollars - est bel et bien profitable. D’après les récents résultats d'IBM pour le premier trimestre 2023, le chiffre d'affaires de Red Hat a augmenté de 8 % (11 % en monnaie constante) dans le cadre de la plus vaste catégorie de logiciels qui a rapporté 5,9 milliards de dollars (2,6 % de croissance globale, d'une année sur l'autre). La filiale a connu une croissance moyenne de ses revenus d'environ 15 % depuis son acquisition. De son côté, IBM a engrangé un chiffre d'affaires global pour le trimestre à 14,252 milliards de dollars, inférieur à l'estimation consensuelle de 14,274 milliards de dollars, mais a dépassé les attentes du côté des bénéfices.
Des départs le jour même pour rééquilibrer les budgets
Vendredi dernier, Solidaires informatique par la voix de son représentant identifié sous le nom de Haikel a publié un communiqué en réponse à ces licenciements. « Red Hat va licencier 4 % de ses effectifs d'ici la fin du mois d'avril, voire plus, malgré une croissance et des bénéfices insolents (+12 % en monnaie constante) » a déclaré l'organisation. En tant qu'employés de Red Hat et membres du syndicat, nous rejetons cette logique capitaliste qui poursuit une croissance infinie, faite sur le dos des collaborateurs, regrette-t-elle. La direction se justifie en invoquant la nécessité de rééquilibrer les budgets, pointe également l'instance représentative. Pour elle, une baisse des très hauts salaires aurait pu être envisagée mais a bien sûr été écartée sans débat. « Des salariés sont licenciés brutalement certains le jour même aux Etats-Unis, dénonce l'organisation ajoutant qu’en France, « notre droit social nous protège mais pour combien de temps encore ? ».
De ce fait, Solidaires a invité les employés de Red Hat à adhérer à une organisation représentative appropriée dans leur pays. Dans une note, le syndicat souligne : Les licenciements sont une décision personnelle et directe prise par ceux qui gagnent beaucoup plus que vous et qui pourraient se permettre de réduire leur salaire pour protéger l'entreprise et l'aligner sur des objectifs qui leur tiennent tant à cœur Pourtant, les dirigeants choisissent de laisser des personnes sans emploi, de détruire le moral des équipes existantes, d'imposer du travail supplémentaire à d'autres employés sans leur fournir de compensation appropriée ce qui a pour effet de détruire toute la confiance dont les dirigeants ont pu jouir, peut-on légalement lire dans ce mémo.
Les détails du PSE annoncés en juin
Si la prise de position de Solidaires sur les pratiques de Red Hat a été approuvée par l’Unsa, syndicat majoritaire de l’entreprise (73%), elle les a quelque peu surpris. « Nous avons été informés de l’envoi du mail de Solidaires à la Corp il y a quelques jours par la presse », nous a confié Christophe Fergeau, délégué syndical Specis-Unsa chez Red Hat France. Sur le fond, l’idée d’appeler les collaborateurs à se syndiquer lui parait bonne. Interrogé sur les conséquences de la réorganisation, le syndicaliste nous a indiqué qu’aucune information n’avait été communiquée sur le sujet. « A ce stade, la direction de la filiale française a fait savoir qu’elle ne disposait pas d’éléments sur l’impact de ces coupes en Europe », nous-a-t-il exposé. Les détails de cette réorganisation devraient être dévoilés en juin prochain, période au cours de laquelle seront organisées les prochaines élections du comité d’entreprise de la division open source d'IBM, nous a précisé de son côté le représentant de Solidaires.
Ce dernier a également indiqué à nos confrères de The Register qu’un certain nombre d’employés de la firme étaient déjà syndiqués, mais qu'ils n'avaient pas d'existence officielle au sein de l'entreprise. Il ajouté qu'en ce moment, beaucoup rejoignent des syndicats et créent des sections syndicales dans le monde entier. Toutefois, compte tenu de la politique de Red Hat sur le sujet syndical, ces derniers resterons discrets à ce sujet jusqu'à ce qu'ils se sentent en sécurité et révèlent leur existence, a prévenu le représentant des salariés.
Des syndicats en cours de création
Pour renforcer les efforts de syndicalisation au sein du groupe, le porte-parole de Solidaires informatique mise principalement sur des moyens d’actions reposant sur l’humain et sur les relais de communication. « Notre section a créé des groupes d’échanges avec l’objectif d’aider les "redhatters" à travers le monde à monter des syndicats. », nous confie ce dernier. La diffusion d’une newsletter en externe sert également à renforcer la communication sur des questions financières ou sociales. Des déplacements sur le terrain pour amplifier le dialogue avec des représentants du personnel de la branche IT et du jeu vidéo au sein du groupe sont prévus », précise-t-il.
Ces initiatives commencent à porter leurs fruits. « Les adhésions à notre syndicat ont doublé de taille en moins de 3 mois », se réjouit le syndicaliste de Solidaires chez Red Hat France. En France, les employés de la firme sont représentés depuis 2018 par ce syndicat de techniciens et de joueurs, dont la branche Game workers est affiliée à Game Workers United (GWU). Cette division fait aussi partie de l'Union syndicale solidaires, une section progressiste. En Irlande, les Red Hatters sont principalement organisés au sein de la Financial Services Union. Il s'agit du plus grand syndicat irlandais représentant les travailleurs du secteur technologique, notamment IBM, Google, Salesforce et Slack. D’autres instances en cours de création devraient bientôt rejoindre celles de Red Hat au niveau européen.