Les demandeurs de visa H-1B qui espèrent entrer aux États-Unis pour y travailler devront faire preuve de patience : le président Donald Trump a prolongé jusqu'à la fin de l'année au moins, contre 60 jours auparavant, l'interdiction d'entrée des travailleurs étrangers qualifiés. Selon la Maison Blanche, cette mesure vise à protéger les millions de travailleurs américains qui ont perdu leur emploi suite au ralentissement de l’économie provoqué par la pandémie de Covid-19. Les entreprises IT se sont beaucoup appuyées sur le programme H-1B pour satisfaire leurs besoins de compétences sur des postes technologiques. Depuis hier, nombreux sont ceux qui critiquent cette ordonnance sur les médias sociaux. C’est le cas de Jessica Herrera-Flanigan, vice-présidente de Twitter chargée de la politique publique et de la philanthropie pour les Amériques, qui a déclaré sur le réseau social que « l’ordonnance mettait à mal le plus grand atout économique de l'Amérique : sa diversité ».

Entre le mois de février et le mois d’avril de cette année, « plus de 20 millions de travailleurs américains ont perdu leur emploi dans des secteurs industriels clés dans lesquels les employeurs cherchent actuellement à recruter des travailleurs H-1B et L pour combler leur déficit en personnel », a déclaré M. Trump dans l’ordonnance publiée lundi. La mesure, qui interdit jusqu'au 31 décembre l'entrée aux États-Unis des demandeurs de ces visas, prolonge une interdiction de 60 jours signée en avril par M. Trump. Les visas H-1B sont accordés à des personnels qualifiés quand les employeurs parviennent à démontrer qu'ils ne peuvent trouver un personnel qualifié équivalent sur place. Actuellement, le nombre de nouveaux visas H-1B est plafonné à 65 000 par an, auxquels s'ajoutent 20 000 autres visas pour les demandeurs titulaires d'un master ou d'un diplôme supérieur délivré par des établissements d'enseignement américains. Selon les chiffres du département d'État américain, 188 123 visas H-1B ont été délivrés en 2019, renouvellements inclus. Les visas L-1, quant à eux, peuvent être accordés aux employés d'une filiale étrangère qui viennent travailler dans une entreprise américaine. 76 988 de ces visas ont été délivrés en 2019, sans grand changement par rapport à l'année précédente.

Aucun effet sur les demandeurs déjà aux États-Unis

Le décret de Trump n'aura que peu d'effet sur l'offre de main-d'œuvre à court terme, car il ne s’applique pas aux demandeurs de visas déjà présents sur le sol américain. « On oublie souvent dans ces débats la différence entre un visa et un statut. Un visa est un simple tampon - souvent appelé « visa stamp » - apposé sur un document d'entrée sur le territoire et agrafé à un passeport. Un statut est un droit légal de résider et de travailler aux États-Unis », a expliqué Rebecca Bernhard, associée du cabinet d'avocats international Dorsey & Whitney, spécialisée dans les questions d'immigration et d'emploi. « Ce décret empêche le Département d'État de délivrer certains nouveaux visas de travail pour entrer aux États-Unis, mais il n'annule pas et n'affecte pas le statut des travailleurs étrangers déjà présents sur le territoire américain », a précisé Rebecca Bernhard.

« Cela signifie que les gagnants de la loterie H-1B de cette année qui se trouvent déjà aux États-Unis ne sont pas menacés : leur statut H-1B prendra toujours effet le 1er octobre, car ils n'auront pas besoin de se rendre à l'étranger pour obtenir un visa », selon Mme Bernhard. Du moins pour l'instant : la section 5 de la proclamation du président, intitulée « Mesures supplémentaires », charge le ministre du travail et le ministre de la sécurité intérieure d'envisager des mesures supplémentaires pour s'assurer que les demandeurs et les titulaires de visas H-1B déjà présents dans le pays ne désavantagent pas les travailleurs américains.

Les Tech leaders louent l'immigration

Les entreprises ne peuvent employer de travailleurs étrangers titulaires d'un visa H-1B que si elles prouvent dans leur demande de permis de travail (LCA) auprès du Department of Labor (DOL) le ministère américain du travail, qu'elles ne peuvent pas trouver d’employés américains ayant les compétences nécessaires. En 2019, le DOL a certifié environ 468 000 demandes de permis de travail relatives à de nouvelles demandes de visas H-1B, à des demandes de visas existants ou à des demandes de renouvellement. Cette même année, 188 123 visas d’une durée de trois ans ont été délivrés ou renouvelés, mais le nombre de nouveaux visas H1-B est resté plafonné à 65 000.

Selon les estimations publiées au début du mois, environ 117 000 personnes ont été licenciées dans le secteur IT du fait de la pandémie de Covid-19. Selon le cabinet conseil américain spécialisé dans l’emploi, Janco, si les entreprises vont probablement réembaucher autant de personnes, et plus encore, avant la fin de l'année, le solde net de création d’emplois dans l’IT sera affecté. Janco estime à 35 000 le nombre de nouveaux emplois créés cette année dans le secteur aux États-Unis, contre 94 500 prévus avant la pandémie. L’an dernier, 90 200 nouveaux emplois avaient été créés. Même si tous les visas H-1B n’ont pas été délivrés à des travailleurs du secteur IT, il est possible que les détenteurs de visas H-1B déjà présents aux États-Unis pèsent lourdement sur l’emploi dans ce secteur, dont le marché est en déclin.

« Mais ce n'est pas une raison pour leur fermer la porte », a encore estimé Jessica Herrera-Flanigan, la vice-présidente de Twitter. « Des gens du monde entier viennent ici pour travailler, payer des impôts et contribuer à notre compétitivité sur la scène internationale. Freiner unilatéralement et inutilement l’attractivité des États-Unis à des talents hautement qualifiés est une attitude à courte vue et nuit profondément à la puissance économique des États-Unis », a-t-elle encore écrit sur son compte Twitter. Sur la même plateforme, Sundar Pichai, CEO d’Alphabet, la maison mère de Google, a fait part de sa déception face à la nouvelle politique de visas, ajoutant : « Nous continuerons à défendre l’immigration et à faire en sorte de proposer des opportunités de travail pour tous ».

Le président de Microsoft, Brad Smith, a souligné le rôle vital des immigrants au sein de l'entreprise : « Ce n'est pas le moment de priver notre nation de talents du monde entier ou de créer de l'incertitude et de l'anxiété ». Selon MyVisaJobs.com, l’an dernier, Microsoft a fait certifier 3403 demandes de permis de travail pour des visas H-1B, dont 88 % environ destinés à des postes dans l’IT. Et en 2019, Google a fait certifier 7317 LCA H-1B. Mais trois employeurs font mieux que ces géants : les entreprises d'externalisation Cognizant Technology Solutions, Infosys et Tata Consultancy Services (TCS).

Délocalisation

La pandémie de Covid-19 n'a pas seulement provoqué un ralentissement économique : elle a également montré qu’il était possible de réaliser un grand nombre de tâches à distance - en fait, depuis n’importe où - bien plus qu’on ne l’imaginait avant. De nombreuses entreprises américaines se tournent déjà vers des entreprises d'externalisation pour répondre à leurs besoins en compétences IT, au point que la stratégie de Trump pourrait avoir un effet inverse, en les encourageant à délocaliser ces emplois au lieu de recruter aux États-Unis.

Si la nouvelle ordonnance touche les travailleurs étrangers qui cherchent à entrer aux États-Unis, elle n'aura aucun effet sur les entreprises qui emploient du personnel IT dans d'autres pays. « Il est probable que cette politique aura un effet négatif sur l'économie américaine, car les entreprises emploieront des personnes dans d'autres pays et il n'est pas nécessaire d'obtenir un visa américain pour employer un travailleur en dehors des États-Unis », a encore déclaré Rebecca Bernhard, du cabinet d'avocats international Dorsey & Whitney. Celle-ci précise que dans ce cas, les entreprises américaines doivent se conformer aux lois sur l'emploi de chaque pays.

Environ deux tiers des demandeurs de visa H-1B viennent d'Inde, et deux des trois principaux employeurs de demandeurs de visas (Infosys et TCS) sont également indiens. Le troisième, Cognizant, est constitué en société aux États-Unis, mais plus de la moitié de ses 290 000 employés se trouvent en Inde. « De nombreuses entreprises renoncent au processus d'immigration américain et ont de plus en plus recours à une main-d'œuvre externalisée », a déclaré Mme Bernhard.