En cette fin d'automne, deux études fournissent simultanément un éclairage sur les forces et les faiblesses de l'industrie du logiciel en Europe. Truffle Capital publie d'une part son 8ème classement annuel des cent premiers éditeurs européens, établi sur les chiffres de l'année 2012 (*). D'autre part, l'Institut Fraunhofer présente une évaluation des 15 régions les plus fortement développées dans le logiciel, faisant apparaître des déséquilibres entre ces différents clusters, certains remarquables par leur poids, d'autres par leur dynamisme.
Le volet 2013 du Truffle 100 montre une progression à deux chiffres des sociétés qui le compose, mais il souligne aussi la pression qui s'est exercée sur leur profitabilité. Point positif, cette pression n'a pas empêché les éditeurs d'augmenter de 20% leurs investissements en R&D. En un an, le chiffre d'affaires logiciel du Top 100 européen a progressé de 11% à 41,1 milliards d'euros entre 2011 et 2012 (sur un chiffre d'affaires total de 57,8 milliards d'euros). Le logiciel est devenu une technologie clé générique dans tous les secteurs et activités économiques, pointe Truffle Capital. Mais les bénéfices affichés sont retombés à 5,8 Md€, comme en 2010, alors qu'ils se situaient à 6,6 Md€ en 2011. Malgré cela, les investissements en R&D ont atteint 6,8 Md€ (contre 5,679 Md€ un an plus tôt). « Les éditeurs parient sur l'avenir », a pointé Bernard-Louis Roques, co-founder de Truffle Capital, lors d'une conférence téléphonique de l'Institut Fraunhofer, en notant qu'une part importante des investissements se portaient sur la partie SaaS (software as a service). Â
19 éditeurs français au Top 100 européen
L'éditeur allemand SAP, leader indétrônable du Truffle 100 Europe, pèse 39% du CA global et 48% des profits du Top 100 (contre 38% et 52% en 2011) avec près de 16 Md€ de chiffre d'affaires réalisés sur le logiciel en 2012 et plus de 18 000 personnes sur la partie R&D (28,5% du Top 100). Derrière lui, cinq autres éditeurs dépassent le milliard d'euros de CA, avec le Français Dassault Systèmes, toujours en 2èmeplace (avec 1,853 Md€ de CA logiciel). L'éditeur de solutions de PLM est suivi du Britannique Sage (1,59 Md€), du Suédois Hexagon, spécialiste du traitement des données géographiques (1,28 Md€), de l'Allemand Wincor Nixdorf (1,25 Md€) et d'Asseco Group, une fédération d'entreprises IT polonaises qui réalisent ensemble 1 Md€. Ces cinq acteurs emploient 12 850 personnes en R&D (soit 20% du Top 100), dont 4 500 pour Dassault Systèmes, 3 000 pour Hexagon et 3 180 pour Asseco. Vient ensuite Software AG (922 M€ en logiciel). A partir de la 12èmeplace, le chiffre d'affaires descend sous la barre des 500 M€ et se termine à la 100 46,2 M€ avec l'éditeur français Talentia Software (ex Lefebvre Software), précédé de deux compatriotes, Fiducial Informatique (48,9 M€) et Efront (48 M€). Au total, le classement comporte 19 éditeurs français, représentant 10,6% du CA total.
Classement Truffle 100 Europe 2013. (Cliquer ici pour agrandir le tableau.)
De son côté, l'étude Software-Cluster de l'Institut Fraunhofer porte sur quinze régions européennes regroupant une forte proportion d'acteurs du logiciel. Ces zones différant sensiblement par leur taille et par divers facteurs locaux, l'institut a rassemblé différents critères en sept catégories pour faciliter l'analyse comparative des clusters. Cette mise en regard pourrait servir de point d'appui pour susciter la collaboration entre ces pôles et l'échange de bonnes pratiques. Les catégories comprennent le chiffre d'affaires, l'emploi (attestant de la spécialisation de la région pour le secteur logiciel), la démographie des entreprises (indices sur la structure des entreprises), la dynamique de croissance, le capital humain (potentiel en personnel qualifié, nombre d'universités...), les facteurs généraux (pouvoir d'achat notamment) et les indicateurs ayant une influence sur le secteur des logiciels et services IT (tels que l'attractivité pour les investissements)
L'Ile-de-France, 2ème cluster sur le capital humain
A l'examen de ces critères, seuls cinq clusters atteignent de bons scores dans plusieurs catégories. C'est le cas de Londres, de la région d'Oxford, de l'Ile-de-France, du Sofware-Cluster allemand (situé au sud-ouest du pays, près de Francfort et Karlsruhe), de Stockholm et d'Hovedstaden, dans la région de Copenhague. Un peu plus loin, quatre autres clusters se classent une seule fois dans un top 3 : la Néerlandaise Utrecht, la ville de Berlin, Mazowieckie (région de Varsovie) et Oberbayer (région de Munich).[[page]]
L'Ile-de-France arrive ainsi en 2ème position sur la catégorie Capital humain, derrière Londres, et en 3ème position sur les indicateurs spécifiques au secteur IT. Tandis que le cluster allemand est premier sur le chiffre d'affaires, suivi par Stockholm et par la région britannique d'Oxford. Cette dernière réussit à s'octroyer la première place du podium sur trois autres catégories : l'emploi, la démographie des entreprises et les indicateurs spécifiques au secteur IT. Londres monte également sur quatre podiums : celui du capital humain, des conditions générales, de la démographie des entreprises et de l'emploi.
Parmi ses points forts, le cluster logiciel francilien bénéficie d'une forte dynamique de croissance (source : Institut Fraunhofer)
Sur la dynamique de croissance, la région de Varsovie arrive en tête, suivie de la ville Berlin et de la région de Munich.
Capital risque : 7 $/personne en Europe contre 92 $ aux Etats-Unis
Bernard-Louis Roques, de Truffle Capital, a rappelé à cette occasion que l'importance du cluster francilien tenait à la centralisation du marché dans l'Hexagone. « L'Ile-de-France représente 81% du chiffre d'affaires logiciel en France ». Il a regretté qu'il n'y ait pas de politique volontariste centrée sur cette industrie au niveau européen et toujours pas de Small Business Act qui réserverait une partie des achats publics aux acteurs IT de taille moyenne, comme cela se fait aux Etats-Unis. Une disposition réclamée depuis des années. Juste avant lui, Karl-Heinz Streibich, CEO de l'éditeur allemand Software AG, avait de fait pointé la puissance d'achat du secteur public qui représente un facteur clé aux Etats-Unis pour développer le secteur. En dehors du bénéfice qu'apporterait le Small Business Act, le dirigeant allemand a par ailleurs mentionné l'initiative européenne constituée dans le domaine du cloud pour établir des standards communs (à laquelle participent notamment Thierry Breton, PDG d'Atos, et Jim Hagemann Snabe, co-CEO de SAP), « pour créer un marché européen, ou tout au moins un langage commun autour de la sécurité ». L'objectif étant de profiter de la vitesse d'innovation que permet le cloud, le CEO allemand évoquant les écosystèmes qui se développent autour d'acteurs tels que SAP, Workday et Salesforce.com, la barrière d'entrée étant significativement moins élevée.
Parmi les freins à la croissance du secteur, Bernard-Louis Roques a par ailleurs insisté sur le fait que les investisseurs en capital risque étaient beaucoup moins présents en Europe que sur d'autres marchés, en citant à cet égard des chiffres éloquents. Ce type d'investissement se borne à 7 dollars par habitant en Europe contre 92 dollars aux Etats-Unis (la Silicon Valley californienne, en particulier, compte de nombreux fonds en capital risque). Il grimpe à 164 dollars par personne en Israël.
 (*) Le Truffle 100 Europe est soutenu par Neelie Kroes, commissaire européen chargée de la société numérique. Il est réalisé en partenariat avec IDC et le groupe CXP, avec l'appui de l'Essec Business School.Â