Au sein du groupe TF1, le basculement vers une offre numérique étoffée remonte à 2018, alors que se profilait la coupe du monde de football en Russie. « Un grand programme de transformation visant à revoir l'infrastructure, l'applicatif, la gestion de la charge et les méthodes internes est alors lancé, basé sur une prise de conscience des changements d'habitude de consommation. Il s'agissait de sortir d'une logique de replay des émissions de la veille », indique Thierry Bonhomme, le directeur technique de eTF1, la filiale du groupe hébergeant ses activités numériques. La mise en place de cette offre se traduit par un renforcement de la diffusion en live, par des programmes uniquement accessibles sur le canal numérique (dont des chaînes) ou encore par l'arrivée d'un modèle mélangeant contenus gratuits et paiements à l'acte.
Ce virage est encore accentué en janvier dernier avec le lancement de TF1+, nouvelle offre de streaming. « Le streaming devient la priorité n°1 du groupe, indique le directeur technique. Nous sommes passés d'une télé de rattrapage à une offre à part entière, au sein de laquelle nous avons ouvert autant que possible les droits d'accès et qui s'est étendue aux TV connectées ». Sur le plan technologique, le virage a des implications majeures. « Nous ne sommes pas un autre Netflix, illustre Thierry Bonhomme. Nous diffusons des programmes en direct, dont certains enregistrent des audiences considérables, nous devons proposer pour certaines émissions des replays immédiatement après leur diffusion en direct et nous devons être en mesure de créer des chaînes rapidement, en deux semaines seulement, contre 6 mois dans une approche classique ». TF1+ comporte, en effet, une cinquantaine de chaînes thématiques, dites Fast.
« Nous nous préparons pour 5 millions de connexions »
Une des réponses que TF1 face à ces contraintes a été de se tourner massivement vers le cloud public, celui d'AWS en l'occurrence. « Sur certains directs, nous avons déjà encaissé 3,5 millions de connexions en 10 minutes, illustre le CTO. Même AWS avait du mal à y croire ! » Des événements évidemment rares - citons par exemple l'annonce du confinement par Emmanuel Macron -, pour lesquels l'élasticité du cloud est particulièrement bien adaptée. Le cloud, qui héberge désormais tous les fichiers vidéos de la chaîne, permet encore d'accélérer le transcodage des vidéos, donc leur diffusion sur la plateforme de streaming. Une heure trente de fichiers source est ainsi traitée en environ 5 minutes. « Il y a cinq ans, nous avions un goulet d'étranglement à ce niveau », indique le CTO.
Thierry Bonhomme, directeur technique de eTF1 : « avec l'arrivée de la plateforme sur les TV connectées, nous devons déployer notre offre sur une vingtaine de terminaux différents. »
Mais pour des raisons de contrôle de ses coûts IT, TF1 fait un usage raisonné du cloud public. Par exemple, toutes les émissions ne sont pas transcodées en urgence, ce qui suppose de mobiliser d'importantes ressources sur AWS. « Quand la finale de Koh-Lanta est diffusée, nous voulons la mettre à disposition très vite sur la plateforme, sinon nous sommes dépassés par les réseaux sociaux, illustre Thierry Bonhomme. Nous serons moins dans une gestion de l'urgence avec un épisode des Feux de l'amour. » De même, le player exploité sur TF1+ repose sur un développement interne, le service packagé du fournisseur de cloud étant jugé trop onéreux par Thierry Bonhomme compte tenu des volumes que génère la plateforme. Enfin, la plupart du temps, eTF1 a recours à son propre CDN (content delivery network), les prestataires (Akamai, AWS et Fastly) n'étant mobilisés que pour gérer les pics d'audience. En la matière, pour le groupe de médias, la prochaine échéance majeure sera l'Euro de football. « On se prépare pour 5 millions de connexions en 10 minutes », glisse le directeur technique.
Résumés de matchs préparés par l'IA
La place centrale prise par l'offre de streaming n'est pas qu'une affaire d'infrastructures. Elle touche également la refonte du back office, autrement dit la solution servant à éditorialiser la plateforme de streaming. Désormais unifiée, celle-ci a été redéveloppée avec Go. Dans le même temps, les équipes de eTF1 se sont employées à réduire l'intelligence embarquée dans les applications front end. « C'est une façon de réduire la complexité, résume le CTO. Car, avec l'arrivée de la plateforme sur les TV connectées, nous devons déployer notre offre sur une vingtaine de terminaux différents. Nous faisons donc face à un enjeu d'industrialisation de l'application. » Par ailleurs, ce travail d'éditorialisation des médias repose désormais pour partie sur des algorithmes d'IA. Pour le chapitrage des vidéos (début, moments forts, etc.) ainsi que pour l'insertion des publicités, tout d'abord. « A l'occasion de la Coupe du monde de rugby, nous avons lancé une fonction permettant aux spectateurs d'obtenir le résumé d'un match adapté au temps dont ils disposent. Elle sera étendue au foot à l'occasion de l'Euro », indique Thierry Bonhomme. La même technologie, reposant sur un modèle de machine learning développé à l'origine pour la NBA, servira à bâtir des résumés centrés sur un joueur en particulier. L'intelligence artificielle est également au coeur du moteur de recommandations qui propose aux spectateurs les contenus correspondant à leur profil. Un moteur qui s'enrichira prochainement d'une fonction dite Synchro, permettant d'adapter les recommandations aux personnes présentes dans la pièce et non plus au seul profil de connexion.
Forte d'environ 150 personnes, la direction technique digitale - la branche technologique de eTF1 à laquelle appartient Thierry Bonhomme - comporte des équipes produits, assurant collectivement une vingtaine de mises en production chaque semaine sur TF1+, couplées à des filières technologiques (développement, qualité, Devops, support, data, cybersécurité) qui restent positionnées horizontalement dans l'organisation. Cette structure est disjointe de la DSI de TF1 elle-même. « Mais cette dernière est aussi lancée dans un programme d'accélération sur le digital », indique Thierry Bonhomme, qui cite notamment un projet de fusion des datalakes entre les deux entités, sur la base de principes communs de gouvernance de la donnée.