Témoignage : « le plus handicapant, c'est l'ignorance de l'entourage »
Alors que les grandes écoles et certaines entreprises s'attèlent à la question de l'intégration des handicapés, François Authier, sourd de naissance et élève ingénieur informaticien à l'Insa de Lyon livre son expérience. Il montre que l'accueil des handicapés dans les entreprises relève parfois davantage du bon sens que de grands aménagements. Il insiste sur la nécessité d'accroître l'information des personnes pour faire évoluer leur regard sur le handicap et passer de la gêne à un accueil indifférencié.
Quels sont les aménagements prévus dans votre cursus à l'Insa pour tenir compte de votre handicap?
Je me suis inscrit à l'Insa car c'était alors l'une des seules écoles d'ingénieurs qui ait une mission handicap. Cela me permet d'avoir un interlocuteur privilégié et de mettre en place quelques aménagements effectivement. Contrairement à certains malentendants, je ne peux pas prendre de notes en écoutant le professeur puisque je lis intégralement sur les lèvres. Je bénéficie donc de « preneurs de note » (des élèves volontaires rémunérés par l'Urapeda, Union régionale des associations de parents d'enfants déficients auditifs) qui se relaient suivant les matières. Ainsi je peux me concentrer sur le prof. Je profite aussi (environ 4 heures par semaine, ce qui est trop peu) d'une personne extérieure qui vient me « traduire » les cours, dans un code phonétique (ce qui n'a rien à voir avec la Langue des Signes qui est une langue étrangère avec sa grammaire etc.), nommé la Langue française parlée complétée (ou LPC). Le soutien le plus efficace est celui que je trouve auprès des professeurs lors d'entretiens individuels. En 30 minutes environ, je peux faire le point sur 6 heures de cours en amphithéâtre. J'ai aussi un professeur à l'Insa qui assume un rôle de tuteur afin de faire le relais entre l'école, l'association qui me suit, l'Urapeda et moi. Il m'est essentiel ! Il m'a enfin été proposé de faire ma troisième année en deux ans, ce que je souhaitais aussi pour avoir le temps de me familiariser avec cet environnement et de « sensibiliser » l'équipe pédagogique. Ces aménagements sont pris en charge par l'Agefiph via l'Urapeda Rhône-Alpes.
Dans quelles sociétés et dans quelles fonctions avez-vous effectué des stages?
J'ai fait mon premier stage informatique (donc à l'issue de ma première année cycle ingénieur informaticien) au sein du service R&D d'EDF à Clamart (92). J'ai programmé en Java un petit programme qui, à partir d'un fichier de sous-titres génère un fichier exploitable par une tête de synthèse. Ainsi, même s'ils ne savent pas encore lire, les enfants sourds (utilisant la LPC qui est un code phonétique, je le rappelle) peuvent regarder des DVD avec une tête de synthèse incrustée sur l'écran codant la LPC. Ce stage s'est très bien passé. Des collègues m'ont avoué que le fait d'avoir travaillé avec moi avait bouleversé leur perception du handicap. Par ailleurs, EDF souhaitait me reprendre pour cet été. Actuellement, je suis en stage dans une société d'ingénierie dans les transports urbains (SEMALY) à Lyon ; je développe l'Interface Homme Machine d'un logiciel de simulation de trafic ferroviaire.
Vous dites que la perception du handicap de vos collègues a changé ?
Oui car souvent les gens ont une perception misérabiliste du handicap. Ils s'imaginent que les handicapés doivent avoir une vie triste. Or, pour mes collègues, le fait de m'avoir vu travailler, rire et communiquer avec eux comme n'importe qui, leur a permis de réaliser que cette vision est fausse.
Y-a-t-il eu des aménagements dans ces sociétés pour vous accueillir?
Très peu, à part le fait que mon tuteur ait pris en charge mon téléphone. Je ne suis pas bien exigeant en matière d'aménagements. C'est pourquoi je trouve cela dommage que les gens aient peur d'embaucher des personnes handicapées. Souvent c'est ne pas sorcier.
Quels sont vos souhaits sur le plan professionnel? Ya-t-il des métiers incompatibles avec votre handicap ?
C'est encore difficile à dire de façon précise. Je sais que j'aimerais travailler sur des projets de façon globale et non pas me spécialiser sur une seule tâche comme la programmation. Je ne veux pas faire de l'informatique pour faire de l'informatique, mais que cela soit au service d'un besoin du quotidien, comme dans mon ma stage à la Semaly par exemple. J'ai déjà des contacts prometteurs avec de nombreuses entreprises intéressées par mon profil. Quant aux métiers qui seraient incompatibles avec le handicap, je pense surtout à ceux où il y a beaucoup de communication immédiate comme pour les ingénieurs commerciaux. C'est pourquoi je me vois plutôt travailler sur des projets à long terme, où il y a moins de communication "urgente". Par ailleurs, pour les postes internationaux, je dois pouvoir m'entraîner à la lecture labiale (comme j'ai dû le faire en français), même si je suis à l'aise à l'écrit en anglais et en allemand.
Qu'attendez vous de l'entreprise qui va vous accueillir ?
Ce qui me gène le plus en général, ce n'est pas mon handicap en lui-même mais les personnes qui m'entourent. Celles-ci m'handicapent par leur ignorance, leur maladresse, leur inconscience, etc. Concrètement, j'attends de l'entreprise qui m'accueillera qu'elle sensibilise le personnel sur l'attitude à avoir : parler en face en articulant sans exagérer et en reformulant au lieu de répéter bêtement etc, entrer dans mon champ de vision pour me solliciter, etc. En fait, il ne s'agit que de faire preuve de bon sens! Il faut aussi aménager le poste de travail, prévoir un collègue qui se charge du téléphone, échanger par email, prévoir un vibreur pour m'appeler en cas d'urgence, des alarmes (flashs lumineux à poser dans les pièces, etc.). Il faudra enfin « discipliner » les différents intervenants en réunion de façon qu'ils s'expriment chacun leur tour afin que je puisse suivre (puisque je ne peux lire sur les lèvres que d'une personne à la fois !).
Le nombre d'handicapés dans l'enseignement supérieur est peu élevé. A votre avis, que manque-t-il dans les écoles et dans les entreprises pour encourager les handicapés à faire des études longues?
Il faudrait que chaque établissement ait une mission handicap avec un interlocuteur désigné et un budget prévu. C'est le minimum, or c'est encore rarement le cas actuellement...Ensuite, il faut mettre en place une « vraie » politique d'intégration d'étudiants handicapés. Le « bidouillage » en temps réel ne marche pas ! Nous en sommes encore à la préhistoire en matière d'intégration des personnes handicapées dans les études supérieures, même si des progrès ont été faits ces dernières années. Quoi qu'il en soit, il ne faut jamais oublier que la persévérance finit toujours par payer. Ca, au moins, on ne peut nous l'enlever.