« Le métier d'éditeur de logiciels est paradoxal », a rappelé mardi soir Bruno Vanryb, président du collège éditeur de Syntec Numérique, au moment de présenter le Top 250 du secteur en France, réalisé avec Ernst & Young. « Il lui faut composer avec des cycles de développement très longs, tout en évoluant dans un environnement de révolution permanente, dans lequel les marchés changent, des sociétés disparaissent, tandis que d'autres atteignent à des vitesses folles des chiffres d'affaires époustouflants. » C'est un métier de créateur de richesse, qui va du jeune ingénieur à la tête d'une start-up jusqu'au groupe mondialisé, a-t-il encore souligné. Une mosaïque de sociétés d'une grande diversité. 

Pour mieux le  faire connaître, notamment aux pouvoirs publics, Syntec Numérique a voulu en établir une nouvelle photographie, qui s'ajoute à celles que Truffle Capital et l'Afdel/PwC/PAC proposent déjà depuis plusieurs années. Celle-ci se distingue par l'intégration des spécialistes des logiciels grand public et des jeux, dont le numéro un, Ubisoft, atteint le milliard d'euros de chiffre d'affaires, ce qui le place tout de suite à la 2e place, derrière le 1,56 Md€ de Dassault Systèmes. Le grand public, c'est un domaine que connaît bien Bruno Vanryb, lui-même PDG d'Avanquest, 15e du classement. Le Top 250 se trouve renforcé par cette intégration. Il atteint 7,7 milliards d'euros, en progression de +14% entre 2009 et 2010 (mais seulement +10% sur deux ans, 2009 ayant été plus difficile).

Pour illustrer le poids et la progression des différentes catégories d'éditeurs, le classement met en évidence quatre groupes. Celui des sectoriels (spécialisés dans l'industrie, la banque, l'assurance...) est le plus lourd : 3,5 Md€. Il est conduit par Dassault Systèmes et Murex. Celui des éditeurs horizontaux pèse 1,8 Md€, tiré par Cegid, immédiatement suivi d'Axway (tout juste séparé de Sopra).  Ces deux catégories, en hausse respective de 13% et 17% entre 2009 et 2010, ont fait croître leurs effectifs de 5 et 6%. Viennent ensuite les acteurs du jeu et des solutions pour particuliers, avec Ubisoft, Gameloft et Avanquest Software. Peu nombreux, ils ne sont que 8, générant un CA de 1,3 Md€, mais ils ont progressé de 23% sur un an. Leurs effectifs, en revanche, ont peu augmenté (+1%). Enfin, en léger recul (-2%), les intégrateurs très axés sur les services, pèse 1,2 Md€, avec en tête GFI Informatique, Infotel et Isagri.

50 M€, une barre difficile à franchir

Le classement de Syntec Numérique/Ernst & Young présente une liste de près de près de 300 éditeurs français, ce qui donne de la visibilité à des dizaines d'acteurs plus petits réalisant, au-delà de la 170e place, entre 4 M€ et moins de 200 000 euros de chiffre d'affaires (107 génèrent moins de 3 M€). On savait déjà que le secteur était fortement atomisé (cf les Top 100 existants) et que les premiers du classement pesaient lourdement. Dix sociétés seulement dépassent les 100 M€ de CA, ce qui représente 56% du total. 

Illustration : Bruno Vanryb, président du collège éditeur de Syntec Numérique (crédit : D.R.)[[page]]
« La barre des 50 M€ est difficile à franchir », confirme Franck Sebag, associé Ernst & Young. Les sociétés qui grossissent le plus sont celles qui se situent entre 50 et 100 M€. C'est là que se trouvent les potentielles ETI (entreprises de taille intermédiaire) que la profession appelle de ses voeux. Pour être plus fort, il faudra un peu de concentration. Mais pour grandir, les entreprises doivent surtout sortir des frontières de l'Hexagone. « La croissance des entreprises ne peut passer que par une exposition internationale, a insisté Franck Sebag. Celles qui se créent s'y projettent d'emblée ». Il souligne l'importance qu'ont déjà pris ces marchés (Europe, Amérique, Asie) pour les éditeurs réalisant entre 10 et 50 M€ de CA : 38% de leurs revenus au total. Une part internationale qui monte à 73% pour les sociétés réalisant plus de 100 M€.

Segment à suivre, celui des éditeurs spécialisés sur les jeux et les particuliers. Ces acteurs pourraient fortement tirer la croissance et créer des entreprises de taille intermédiaire, juge Franck Sebag. Sur ce point, Bruno Vanryb a précisé que de très nombreuses sociétés de jeux vidéo n'apparaissaient pas sur le classement car elles ne se sentaient pas assez mûres pour déclarer leur chiffre d'affaires, bien que certaines génèrent déjà de 4 à 5 M€.

Sans surprise, l'étude d'Ernst & Young fait état de la montée en puissance du mode SaaS. « Le secteur est en pleine mutation par rapport à ces nouveaux modèles », pointe Franck Sebag. Il note par ailleurs la forte utilisation des financements publics, 62% des éditeurs interrogés disant y avoir eu recours. 41% d'entre eux disent aussi solliciter les universités dans le cadre de leurs programmes de recherche. A l'inverse, seuls 20%  se tournent vers des programmes de recherche européens.

Des trophées pour ESI, EMailVision, Kobojo et Criteo

Cette première édition du Top 250 a donné lieu à remise de trophées, décernés par un jury présidé par Jean-Bernard Schmidt, fondateur de Sofinnova. Quatre prix ont été attribués. Celui de l'innovation est revenu à la société ESI qui développe des solutions de prototypage virtuel. Son PDG fondateur, Alain de Rouvray, centralien, titulaire d'un doctorat de l'Université de Berkeley, a rappelé avec brio l'historique de sa société créée en 1973, en rappelant qu'il voulait « faire du Nintendo pour ingénieur, mettre de la physique derrière des images ». 

EMailVision a remporté de son côté le prix du développement à l'international. Ce créateur de campagnes d'e-mailing (étendues aux mobiles et réseaux sociaux) compte 600 collaborateurs dans 19 pays. La moitié de son chiffre d'affaires est réalisé hors de France, mais sa R&D reste basée dans l'Hexagone, a rappelé son PDG d'origine britannique Nick Heys.

Le prix du Social Gaming a été attribué à Kobojo, jeune éditeur de jeux sociaux qui a fait jouer 4,5 millions de personnes, une société désormais bien connue dans le microcosme (adoubée par Microsoft). « Nous sommes passés à plus de 60 personnes en un peu plus d'un an et demi », a relaté l'un de ses co-fondateurs Vincent Vergonjeanne. Au travers de plateformes comme celle de Facebook, nous avons pu atteindre des millions d'utilisateurs avec un investissement de base minimum ». Sa société a récemment levé des fonds auprès d'investisseurs suisse et français.


L'équipe de Kobojo, lauréat du prix Social Gaming.
Au micro, Vincent Vergonjeanne, co-fondateur (crédit : M.G.)


Criteo, spécialisé dans le reciblage publicitaire

Enfin, le prix Nextgen, décerné à des technologies de rupture, celui de « la société qui va changer les gênes de Syntec Numérique », a risqué Bruno Vanryb.  Il est revenu à Criteo, spécialisé dans le « reciblage publicitaire sur Internet ». La plateforme technologique développée par la société permet de diffuser des bannières personnalisées auprès des prospects d'un e-marchand après qu'ils ont quitté le site. Par nature, elle peut s'exporter rapidement. Criteo est présente dans 20 pays cette année, mais ses ingénieurs sont tous basés en France, a indiqué Gregory Gazagne, son DG France et Europe du Sud. Il estime ne pas avoir de rivaux directs, même s'il concède des concurrents américains.

Intervenant en conclusion, Guy Mamou-Mani,  a reconnu qu'il y a un an, lors de son élection à la présidence de Syntec Numérique, il ne pensait pas (encore ?) que le représentant en France des éditeurs soit réellement Syntec Numérique. Il est vrai que les efforts de la chambre syndicale se sont longtemps portés vers les SSII, ce qui a contribué à la création d'une association telle que l'Afdel pour porter haut et fort la voix des éditeurs français. 

Guy Mamou-Mani considère désormais qu'il faut « absolument créer un environnement favorable pour que ces entreprises se créent et deviennent des leaders. Il faut créer un outil de lobbying pour expliquer à nos pouvoirs publics qu'il faut soutenir cette industrie ». Evoquant l'attraction des jeunes pour ces professions, il a regretté qu'il y ait en France trop peu d'ingénieurs et que ceux qui ont choisi cette voie viennent trop peu dans le numérique. « Imaginez une France où nous ayons dix fois plus d'entreprises de ce type. Il faut créer un écosystème pour constituer la société numérique de demain. C'est notre rôle d'anticiper cette transformation et d'aider les entreprises à le faire. Il faut que nous constituions un représentant de notre industrie le plus important possible ».