Le landernau du monde informatique a été en ébullition pendant le week-end à propos d’un terme, la « suprématie quantique ». C’est d’abord le Financial Times qui met le feu aux poudres en repérant un document de Google sur un blog de la Nasa indiquant que des chercheurs de la firme américaine avait atteint la « suprématie quantique ». Ce document a été retiré, mais Internet n’oublie rien et les spécialistes ont pu l’analyser.
Selon cette publication, Google a utilisé un processeur quantique, nommé Sycamore, composé de 53 Qubits en mode supraconduction pour résoudre une tâche en l’occurrence un algorithme d’échantillonnage aléatoire. Pour réussir cette tâche, le traitement quantique a mis 200 secondes là où le supercalculateur le plus puissant connu aujourd’hui mettrait 10 000 ans.
Révolutionnaire ou simple avancée
Le terme de « suprématie quantique » a été longuement débattu pendant le week-end entre les spécialistes. On évacuera la problématique de ceux qui voient dans cette appellation une volonté de domination des sociétés tech américaines et dans l’informatique quantique une sorte de course à l’armement. Là, le terme a été créé en 2011 par John Preskill, directeur de l’informatique quantique à CallTech (institut de Californie) et le définit comme étant la « capacité pour un équipement quantique de résoudre un problème plus rapidement qu’un supercalculateur dans un laps de temps humainement raisonnable ». En l’occurrence, passer de 10 000 ans à 200 secondes dans le cas de Google est sans conteste une avancée importante.
De là à parler de révolution ? Non, rien n’est jamais aussi tranché dans l’informatique quantique. Ce domaine est marqué régulièrement par des publications, des annonces, des découvertes qui repoussent un peu plus les limites du calcul quantique. Ainsi sur la « suprématie quantique », IBM en octobre 2017 s’était approché de cet objectif avec une simulation sur 56 Qubits, sans pour autant avoir une telle couverture médiatique. Kevin Hartnett dans un article sur Quantamagazine résume bien la problématique sur ce sujet : « Pour vérifier la suprématie quantique, vous devez démontrer deux choses : qu'un ordinateur quantique a effectué un calcul rapide et qu'un ordinateur classique ne pouvait pas effectuer efficacement le même calcul. C’est la deuxième partie qui est la plus délicate. Les ordinateurs classiques (supercalculateur) s'avèrent souvent meilleurs pour résoudre certains types de problèmes que ce à quoi s'attendaient les informaticiens. Tant que vous n'avez pas prouvé qu'un ordinateur classique ne peut pas faire quelque chose efficacement, il y a toujours la possibilité qu'un algorithme classique meilleur et plus efficace existe ». Pour lui, l’avancée de Google serait donc dans le couplage du bon algorithme pour la technologie choisie.
Une forte concurrence
Si la publication par inadvertance de la Nasa du papier des chercheurs de Google et d’autres universitaires peut nourrir quelques fantasmes sur l’acte manqué, elle intervient sans conteste dans un climat de forte concurrence. Dans le domaine de l’informatique quantique, plusieurs acteurs sont en présence : Google, Rigetti ou IBM. Ce dernier vient juste d’ouvrir son centre de calcul quantique à New York en dévoilant son système de 53 Qubits qui devrait être disponible dans un mois et proposera à des clients externes sa puissance en mode cloud. Big Blue ne semble pas perturbé par l’annonce de Google et se focalise sur « l’avantage quantique », c’est-à-dire basé sur l’usage réel de l’informatique quantique comme dans le cadre des services financiers, de la santé, de l’énergie.
Sans surestimer l’avancée de Google, elle marque un pas important comme le souligne Olivier Ezratty dans un post de blog qui décortique en profondeur la publication. Selon lui, « elle ouvre la voie pour la suite avec la création de nouveaux algorithmes et l’amélioration des processeurs quantiques pour leur permettre d’augmenter leur nombre de qubits et leur qualité ». Une chose est sûre, la guerre quantique a déjà commencé et la communication n’est pas un élément à négliger.