Sun-Oracle : les technologies convoitées, les abandons possibles
Java et Solaris sont les deux principales raisons pour lesquelles Oracle a racheté Sun, de l'aveu même de son PDG Larry Ellison. Dans ces conditions, on peut s'interroger sur le devenir des processeurs Sparc, des serveurs, du stockage ou de la gestion des identités. On peut aussi se demander comment OpenSolaris et Java mobile évolueront. Et quid de la cohabitation entre les SGBD Oracle et MySQL ?
Solaris et OpenSolaris
Oracle supporte Solaris depuis de nombreuses années. Pour Larry Ellison, ce système d'exploitation est « de loin la meilleure technologie Unix du marché ». Et même si l'offre matérielle de Sun n'a pas le poids de celle d'IBM, Oracle va pouvoir constituer un modèle matériel/logiciel qui se rapproche de celui de Big Blue, son concurrent sur le marché des bases de données. « Nous allons intégrer étroitement Oracle Database avec les fonctions haut de gamme spécifiques à Solaris », a promis Larry Ellison qui parle de livrer des solutions complètes, « de la base de données jusqu'aux disques ». Une méthode en vogue si l'on observe les annonces récentes de datacenters intégrés de Cisco et HP.
Oracle est un fervent partisan de Linux et les analystes se demandent s'il n'envisage pas une harmonisation avec OpenSolaris, la version libre et gratuite de Solaris. Il y a deux semaines, Edward Screven, architecte en chef et spécialiste de Linux chez Oracle, déclarait qu'Oracle aimerait que Linux devienne l'OS par défaut des datacenters, pour que la question ne se pose plus. Pour David Mitchell, analyste chez Ovum, il est pourtant tout à fait improbable, qu'Oracle lâche la version commerciale de Solaris pour Linux, en raison notamment des revenus de maintenance et de services qu'elle génère. « C'est une activité extrêmement profitable, précise-t-il ». Il prédit qu'Oracle continuera à faire évoluer Solaris, plus adapté aux applications critiques, notamment dans le secteur des télécommunications. Toutefois, selon David Mitchell, l'apport de certaines fonctions d'OpenSolaris à Linux est une option sur laquelle les développeurs ont déjà travaillé. Pour l'instant, les licences des deux OS restent incompatibles, comme le note Stephen O'Grady, analyste chez RedMonk (CDDL pour l'un, GPL pour l'autre), mais Oracle pourrait modifier celle d'OpenSolaris pour permettre un transfert de fonctions entre les deux.
Java mobile
Parlant de Java, le patron d'Oracle considère qu'il s'agit de « l'actif le plus important » jamais racheté par sa société. Ni plus, ni moins. Il a déclaré que, désormais, l'activité Oracle Fusion middleware basée sur Java, déjà renforcée par l'acquisition de Bea, est sur les rails pour devenir aussi importante pour Oracle que son activité base de données. Mais c'est l'utilisation de Java en entreprise qui l'intéresse le plus. A l'inverse, la plateforme Java mobile ne sera sans doute pas une priorité, comme le subodore l'analyste Jack Gold, de J.Gold Associates, en ajoutant qu'elle ne l'était déjà pas pour Sun. Le rôle de Java dans les téléphones portables pourrait décliner à mesure que baisseront les prix des Smartphones qui les remplaceront, même si cela prend plusieurs années. La vague suivante arrivera avec la prochaine plateforme Java FX conçue pour les smartphones.
Sparc
Autre interrogation lourde, à la suite du rachat de Sun, le support de serveurs à base des processeurs Sparc du constructeur. Solaris étant disponible à la fois pour ces systèmes et ceux à base de x86. Jim McGregor, analyste chez In-Stat, rappelle que les parts de marché des systèmes Sparc se sont réduites au profit des serveurs sous Unix de HP et IBM. Le nouveau propriétaire de ces architectures pourraient ainsi arrêter le développement autour de ces processeurs spécifiques ou vendre l'activité. « Un certain nombre de ce type d'offres Unix se sont concentrées sur des marchés de plus en plus petits, tels que l'informatique haute performance, et cela n'a pas beaucoup de sens que trop d'acteurs s'investissent encore longtemps sur ces architectures », juge Jim McGregor. Et de citer Silicon Graphics et Cray qui sont passés sur des technologies x86, Intel ou AMD. Larry Ellison a d'ailleurs sous-entendu lundi que l'offre Solaris était plus importante que le Sparc.
MySQL
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MySQL
Conséquence de taille de l'opération Oracle/Sun, la base de données Open Source la plus populaire du marché, MySQL, cohabitera avec Oracle Database, la base relationnelle qui génère le plus de revenus dans le monde. Cette dernière a rapporté 22 Md$ à son éditeur entre 2005 et 2007, soit plus du double des ventes de base de données DB2 du principal rival, IBM. De son côté, MySQL a été téléchargé plus de 100 millions de fois, selon Sun. Le constructeur avance 70 000 téléchargements quotidiens et 12 millions de bases en production, notamment chez Google, YouTube, Yahoo... Cette juxtaposition entraîne-t-elle une situation anti-concurrentielle ? Certes pas. Si Oracle Database joue bien un rôle de locomotive, « elle est loin de constituer un monopole », rappelle Curt Monash, de Monash Research Today. En 2007, Oracle s'octroyait 44,3% du marché des bases de données, mais IBM en détenait 21% et Microsoft 18,5%.
Quant aux 38 M$ de revenus générés par MySQL en 2007, ils plaçaient l'acteur au 19e rang selon IDC, derrière des vendeurs comme Siemens, Unisys, Hitachi et même Apple avec Filemaker.
Le risque d'un monopole aurait été autrement plus important, si IBM avait racheté Sun, sur le marché des serveurs sous Unix, leurs ventes combinées dans ce domaine atteignant 11,2 Md$. Kenneth Chin, analyste chez Gartner, rappelle que ce sont d'abord les revenus financiers que les autorités de régulation surveillent de près : « l'Open Source apparaît moins dans leur radar ». A propos de MySQL, Kenneth Chin pense que les clients les plus prompts à réagir pourraient donner de la voix si Oracle vient à hausser les tarifs de support. Mais il note aussi qu'Oracle ne s'est pas mêlé des processus de vente/marketing autour des bases Open Source qu'il a déjà rachetées, BerkeleyDB et InnoDB. Si Sun fonctionne comme une entité séparée, MySQL pourrait rester suffisamment loin d'Oracle pour ne pas être touché par d'éventuelles augmentations.
Stockage
Depuis septembre 2008, Oracle propose en collaboration avec HP la Database Machine, une solution matérielle conçue pour les applications de datawarehouse qui embarque des serveurs de stockage Exadata. Avec l'absorption de Sun, le voilà à même de réaliser d'autres systèmes de ce type. « La plateforme Open Storage de Sun est très similaire à la plateforme Exadata », a déclaré le président d'Oracle, Charles Phillips. Toutes deux utilisent des serveurs standards, des disques et des connexions InfiniBand ».
Jim McGregor, du cabinet In-Stat, estime qu'Oracle a suffisamment d'envergure pour se permettre de débarquer ainsi sur le segment du matériel. Mais il reconnaît aussi que « ce n'est probablement pas la meilleure opportunité » pour la société de Larry Ellison.
Gestion des identités
Sun et Oracle font partie du Top 5 des solutions de gestion des identités avec IBM, CA et Novell. Ils ont tous deux procédé à des rachats qui entrainent aujourd'hui des recouvrements. Thor, Bridgesteam, Phaos, OctetString pour Oracle, Waveset et Vaau pour Sun, notamment. Ils ont aussi tous deux développé des produits dans le domaine (Sun Access Manager, Federation Manager, Role Manager...) « Oracle va devoir faire des choix délicats », entrevoit Jamie Lewis, président du Burton Group. Selon lui, le chevauchement le plus évident se situe sur les produits de gestion des accès et de réservation des ressources (provisioning).
Andre Duran, PDG de l'éditeur Ping Identity, ne se prive pas d'un pronostic : « Déterminer ce qui doit rester [dans les deux catalogues], ce qui doit être abandonné et intégrer les éléments conservées va constituer une tâche énorme qui va immanquablement entraîner des conséquences pour les bases installées ».
Pour compliquer les choses, sur les solutions d'annuaire Sun s'est résolument impliqué dans l'Open Source, lâchant du lest sur son offre Directory Enterprise Edition en faveur de la plateforme OpenDS. « Les produits se concurrencent, ils ne pourront pas tout garder, affirme sur ce point Don Bowen, qui a quitté Sun il y a à peine un an pour participer au lancement de UnboundID, une solution basée sur OpenDS. Cela dit, les produits de gestion des identités sont loin d'être stratégiques dans le rachat de Sun.