Il y a quelques semaines Olivier Véran, ministre de la Santé, et Cédric O, secrétaire d'Etat au Numérique, avaient préparé les esprits en évoquant dans un entretien au Monde le développement d’une application nommée StopCovid. Cette dernière a pour vocation dans le cadre du déconfinement prévu le 11 mai prochain de mettre en place un système de traçage des contacts des malades en respectant la vie privée. Dès le début, la discussion autour de cette application a tourné à la foire d’empoignes à la fois sur le plan technique et au niveau politique et éthique.
Des frictions avec Apple
Mais revenons sur le premier point de friction, l’aspect technique. Le système de tracing, qui se fera sur la base du volontariat, repose sur la technologie Bluetooth des smartphones. Concrètement, « lorsque deux personnes se croisent pendant une certaine durée, et à une distance rapprochée, le téléphone portable de l’un enregistre les références de l’autre dans son historique. Si un cas positif se déclare, ceux qui auront été en contact avec cette personne sont prévenus de manière automatique ». Les travaux pour développer cette application ont été confiés à l’Inria et son patron Bruno Sportisse en a dévoilé dans une tribune le socle technique baptisé le protocole ROBERT (ROBust and privacy-presERving proximity Tracing).
Mais pour que l’application marche, il faut qu’elle soit installée sur le plus grand nombre de smartphones. Elle doit donc répondre aux politiques de sécurité des deux principaux fournisseurs de plateformes mobiles, Apple avec iOS et Google avec Android. En l’occurrence, la firme de Cupertino refuse que le Bluetooth soit activé en permanence en arrière-plan. Cédric O a demandé à Apple d’assouplir sa position en période de pandémie. Le Commissaire européen en charge du numérique, Thierry Breton, s’est entretenu hier avec Tim Cook pour appuyer la demande de la France.
Le problème est qu’Apple et Google ont décidé de travailler conjointement sur des techniques facilitant le traçage de contact autorisant le Bluetooth LE en arrière-plan. Une API doit être livrée prochainement comprenant un ensemble de fonctionnalités pré-embarquées, non-modifiables. Et c’est là que le bât blesse, car certaines orientations choisies par Apple et Google sont incompatibles avec la solution proposée par ROBERT. Ainsi, l’API gère des clés individuelles modifiées fréquemment et le choix de l’Inria est de gérer des paquets d’identifiants Bluetooth.
A cette confusion, on peut rajouter l'initiative d'Orange qui a décidé de développer sa propre application de tracing contact.
Une fronde politique et éthique
Face à ce conflit larvé entre Apple et la France, Cédric O a déjà prévenu les parlementaires que l’application ne serait pas disponible en prévision du débat. Car à côté des discussions techniques, le sujet de l’application StopCovid a glissé très rapidement sur le terrain politique. Plusieurs élus, dont Paula Forteza, sont montés au créneau pour demander un débat sur ce sujet. La députée des Français de l’étranger considère que « l’efficacité de la technologie n’est pas prouvée et qu’elle implique d’être adoptée par au moins 60% de la population. Or, la fracture numérique rend cet objectif inatteignable ».
Ce débat a été validé par le Président de la République dans son discours du 13 avril. Mais selon nos confrères de l’Express, cette décision s’apparenterait à un enterrement de première classe de StopCovid. Emmanuel Macron voit poindre la fronde de l’aile gauche de LREM et l’opposition d’autres partis, signe que l’application pourrait ne pas passer les fourches caudines du Parlement. Un vote est prévu à l’issu du débat qui aura lieu le 28 avril et certains comme le Parti Socialiste ont déjà déclaré qu’ils voteraient contre.
Derrière le caractère éminemment politique du débat autour de l’application, il y a aussi des aspects éthiques. L’impact sur la vie privée est souvent mis en avant, même si les partisans de StopCovid affichent l’anonymisation comme garde-fou. Des chercheurs de plusieurs horizons (Inria, Paris-Saclay, Sorbonne) ont publié un document intitulé, « le traçage anonyme, un dangereux oxymore » où ils relativisent cette notion d’anonymisation. La Quadrature du Net est aussi très active sur le sujet ayant publié dès le 14 avril ses arguments contre StopCovid. L’association dénonce notamment des libertés inutilement sacrifiées, des effets contre-productifs sur la santé, etc.
Comme on le voit, le gouvernement doit faire face à plusieurs levées de boucliers à la fois. L’application StopCovid est en train de devenir un chemin de croix et risque de tourner au fiasco dans une période où la sérénité est mère de toutes les sagesses.