Si l’Europe s’intéresse aux rapports entre OpenAI et Microsoft, les représentants du Congrès américains sont plus inquiets sur les relations entre ces deux sociétés avec l’entreprise G42, spécialisée dans l'IA et basée aux Emirats Arabes Unis. En effet, elle serait associée avec des entités chinoises impliquées dans la surveillance et les violations des droits de l'homme, dont certaines ont été placées sur la liste noire du gouvernement américain. Dans une lettre ouverte adressée à Gina Raimondo, secrétaire d’Etat en charge du commerce, l’élu républicain du Wisconsin, Mike Gallagher (R-WI), qui préside la Commission spéciale de la Chambre des représentants consacrée au parti communiste chinois, a fait part de ses inquiétudes quant aux relations étendues que G42 entretient avec les services militaires et de renseignement chinois et avec d'autres entités publiques.
Des liaisons dangereuses
G42 est dirigée et présidée par le Sheikh Tahnoon bin Zayed, conseiller à la sécurité nationale des Émirats arabes unis et frère cadet du dirigeant du pays, et par le CEO Peng Xiao. L’entreprise devrait faire l'objet de restrictions commerciales en raison de ses affiliations douteuses, en particulier les « relations actives » qu'elle entretient avec Huawei, l'Institut de génomique de Pékin (Beijing Genomics Institute, BGI) et d'autres personnes dont le comportement favorise les efforts de renseignement de la Chine, ainsi que les liens entre Peng Xiao et des violations présumées des droits de l'homme, d'après la lettre.
En raison de leur implication présumée dans des activités de surveillance pour le compte du gouvernement chinois, Huawei et l'Institut de génomique de Pékin (BGI) figurent déjà sur la liste noire du gouvernement américain. « Sans nouvelles restrictions à l'encontre de G42, les capacités étendues de l'entreprise fourniront à BGI une capacité d'analyse indispensable pour exploiter les données qu'elle a collectées auprès des citoyens américains, y compris des millions de femmes enceintes », peut-on lire dans la lettre. « De même, les contrôles à l'exportation contre Huawei seront encore affaiblis si Huawei peut accéder et/ou acquérir du matériel avancé et des services cloud par l'intermédiaire de ses partenaires comme G42 ».
Des précédents en matière de restriction
En outre, le CEO de G42 est également directeur exécutif de Pegasus Technology, une filiale de DarkMatter. Il développe des logiciels espions et des outils de surveillance que les gouvernements peuvent utiliser pour espionner et cibler illégalement les dissidents, les journalistes, les hommes politiques et les entreprises américaines. « De nombreux outils développés par Pegasus et DarkMatter sont soumis à des contrôles à l'exportation », a fait remarquer Mike Gallagher, et d'anciens employés américains de DarkMatter ont déjà été condamnés à des amendes pour violation du Arms Export Control Ac. « Alors que l'État a pris des mesures à l'encontre de DarkMatter, le Bureau de l'industrie et de la sécurité (BIS) du Ministère américain du commerce n'a pas imposé de restrictions à DarkMatter, à G42 ou à leurs sociétés affiliées », a écrit l’élu. « À moins de prendre des mesures similaires, les technologies contrôlées à l'exportation, développées et vendues par des entreprises comme Microsoft, Dell et OpenAI, qui ont des relations avec G42 et ses filiales, risquent fort d'être détournées vers des filiales basées en Chine qui soutiennent la surveillance et les violations des droits de l'homme », a encore explique le représentant.
La lettre mentionne d'autres liens douteux entre G42 et des personnes liées aux services de renseignement chinois, ce qui prouve qu'une enquête et d'éventuelles restrictions commerciales sont nécessaires. Il s'agit notamment de Song-Chun Zhu, ancien directeur d'un centre de l'université de Californie à Los Angeles (UCLA), qui est aujourd'hui l'un des principaux collaborateurs de DarkMatter dans le domaine de la recherche sur l'intelligence artificielle. « M. Zhu a travaillé sur des recherches financées par le Ministère américain de la Défense à UCLA, tout en participant au plan « Mille talents » du Parti Communiste Chinois, lequel exige de ses participants qu'ils acquièrent des recherches et des technologies pour le compte du gouvernement chinois », observe Mike Gallagher. Celui-ci a quitté UCLA en 2020 pour retourner en Chine où il a créé, depuis, un nouveau laboratoire d'intelligence artificielle avec le Ministère chinois de la Science et de la Technologie.
Répression du commerce en Chine
G42 n'a pas immédiatement répondu à une demande de commentaire, mais a publié un communiqué réfutant les allégations du Congrès. « En tant qu'entreprise commerciale internationale, G42 a établi au fil du temps un réseau mondial de partenariats, y compris avec des entreprises chinoises. De tels engagements sont une pratique courante parmi les entreprises technologiques mondiales » explique-t-il. En ajoutant, « dans le domaine des technologies de pointe, nous poursuivons depuis 2022 une stratégie commerciale visant à nous aligner pleinement sur nos partenaires américains et à ne pas nous engager avec des entreprises chinoises ».
L'administration Biden a sévèrement réprimé le commerce avec la Chine, en particulier avec les entreprises susceptibles de fournir des technologies de pointe pour faire progresser les activités militaires et de renseignement du pays. De nombreuses entreprises de microprocesseurs ont fait les frais de ces mesures, notamment Nvidia, qui s'efforce actuellement de lancer une série de puces spécifiques à la Chine après que certains de ses microprocesseurs ont été rendus inéligibles à l'exportation vers la région en raison des restrictions imposées. G42 se présente comme un leader dans la recherche sur l'IA et s’intéresse au cloud, aux centres de données et à d'autres technologies pour atteindre ses objectifs. Les principaux investisseurs sont le fonds souverain d'Abou Dhabi Mubadala et la société américaine d’investissement privé Silver Lake. Outre des accords technologiques avec Dell, OpenAI et Microsoft, qui a récemment dévoilé un partenariat avec G42 pour son produit Cloud for Sovereignty, l'entreprise a également conclu un accord avec Cerebras Systems, un spécialiste de puces et système IA.