Dans sa course à la croissance, SAP ne se borne pas à réaliser des acquisitions stratégiques (il a investi 13,5 milliards de dollars entre Sybase, SuccessFactors et Ariba), il table aussi sur une forte progression organique. Cela implique que les produits qu'il sortira au cours des prochains mois soient des succès commerciaux. Sous la direction de Jason Yotopoulos, vice président exécutif de la recherche et de l'incubation du groupe au niveau mondial, l'éditeur allemand a créé un système où les idées peuvent être testées et développées dans un contexte de start-up, rapporte notre confrère d'IDG News Service Chris Kanaracus.

Ces jeunes pousses internes ont pour vocation d'explorer des voies adjacentes aux marchés sur lesquels se trouvent déjà SAP, ou encore des domaines dans lesquels une grande entreprise ne peut, par nature, pas s'investir. Elles pourraient générer un revenu de 200 millions de dollars d'ici trois à cinq ans, évalue Jason Yotopoulos. SAP recrute aussi « les meilleurs entrepreneurs à l'intérieur et à l'extérieur de l'entreprise » pour construire des équipes supportant ces idées, explique le vice président. « Dans de nombreux cas, ces personnes ont déjà expérimenté ailleurs ce qui fonctionnait et ce qui ne fonctionnait pas ».

200 projets de recherche et d'incubation en cours

Chaque initiative se met en place comme le ferait typiquement une start-up, démarrant par une période d'amorçage à laquelle succèdent les étapes suivantes, avec comme différence essentielle que, dans ce cas, SAP est le seul investisseur. Cela permet aux entrepreneurs impliqués de ne pas devoir se consacrer à la levée des fonds. Tous les projets n'aboutissent pas, indique Jason Yotopoulos. Certains sont abandonnés si l'opportunité de marché ne se concrétise pas. Selon un porte-parole de SAP, il y a actuellement environ 200 projets de recherche et d'incubation en cours dans le groupe.

Les idées qui se révèlent prometteuses se prolongent d'une période de tests itératifs auprès de clients, ce qui permet de les affiner et de mieux les cibler. Finalement, les plus intéressantes débouchent sur des produits. « Certaines organisations de recherche travaillent dans des tours d'ivoire ; ce n'est pas le cas ici », poursuit Jason Yotopoulos. « Notre objectif est d'alimenter le moteur de la croissance organique de SAP, en prenant les idées à leur stade premier pour les valider, puis les transmettre ».

Né d'une start-up interne : NetWeaver LVM

L'une de ces initiatives ayant débouché sur un produit commercial a été conduite par Allen Bannon, vice président des solutions pour la virtualisation et le cloud. Il est arrivé chez SAP après être passé par JRockit et Symantec. Il a également fondé une société de gestion des performances applicatives appelé Acsera, qui fut renommé plus tard ClearApp et rachetée par Oracle en 2008.

Allen Bannon prévoyait de créer une autre start-up centrée sur la virtualisation lorsqu'il a rencontré Jason Yotopoulos qui l'a convaincu d'entrer chez SAP. Les années suivantes, son projet a suivi le processus d'incubation et il est devenu en 2012 un produit commercial baptisé SAP NetWeaver Landscape Virtualization Management (LVM).

[[page]]Il y a une grande différence entre conduire une start-up de façon indépendante et le faire au sein d'un grand groupe comme SAP, assure Allen Bannon. Dans le premier cas, la start-up commencerait par se concentrer sur un seul marché, par exemple, l'Amérique du Nord. « Mais lorsque vous avez une présence mondiale, comme SAP, vous devez respecter les exigences réglementaires à l'échelle internationale quand vous développez un produit », souligne-t-il. Cela va rallonger le processus, mais cela permettra aussi de pouvoir le commercialiser partout.

Autres projets : Precision Retailing et Smart Meter Analytics

La stabilité financière de SAP constitue un autre avantage. Mais il y a plus important. « Lorsque vous êtes à l'intérieur de SAP, vous pouvez utiliser comme levier les relations qui existent avec les clients. Dans une start-up, vous ne pourrez jamais réunir aussi vite 40 entreprises autour d'une table pour vous dire quels sont leurs besoins », souligne Allen Bannon.

Il y a certains désavantages, néanmoins, selon la perspective que vous prenez. Au sein de SAP, il faut travailler en tenant compte des objectifs du groupe. « A l'extérieur, vous pouvez bifurquer rapidement quand vous voulez, un peu plus librement en tout cas. Mais si vous vous intéressez à un très gros marché que convoite aussi SAP, alors, c'est la combinaison parfaite », considère Allen Bannon.

Le logiciel LVM dont il s'est occupé constitue maintenant l'un de ceux qui croît le plus rapidement, à côté de produits comme HANA, la base de données en mémoire. Toute proportion gardée puisque les ventes de LVM sont plus modestes. Parmi les autres produits récemment livrés et provenant de ces projets entrepreneuriaux, on trouve aussi Precision Retailing, une application mobile qui permet de faire des offres personnalisées à des consommateurs, en temps réel. Il y a aussi Smart Meter Analytics, qui utilise HANA pour analyser d'importants volumes de données provenant de capteurs.

« Un gros défi pour SAP »

Dans les projets en cours figurent par ailleurs SAP for Utilities Cloud EV Readiness Package, qui doit aider les fournisseurs d'énergie à gérer une infrastructure de véhicule électrique, ainsi que BINGO, nom de code pour une suite de logiciels SaaS (software as a service) qui apporte des fonctions d'analyse aux entreprises de jeu (jeux mobiles ou paris en ligne).
Il y a trois ans, un projet comme StreamWork avait lui aussi été créé par une équipe fonctionnant comme une start-up à l'intérieur de SAP.

Malgré ces efforts, ce serait une erreur de sous-estimer les défis culturels auxquels SAP doit faire face, estime Jon Reed, analyste indépendant, également adoubé SAP Mentor, titre donné aux membres les plus engagés de la communauté. « Passer d'une entreprise monolithique constituée autour d'un ERP à un ensemble de très bonnes idées conduites par des start-up, c'est une transition énorme », indique-t-il. « Le challenge devient autre. Comment découvrir des idées, les nourrir jusqu'à qu'elles grandissent, puis les faire évoluer. Je dirais que SAP a seulement prouvé qu'il était bon sur la première de ces choses ».

 Des décisions politiques peuvent encore interférer

HANA est un exemple significatif de succès étant né de la recherche interne. Ces premières ventes sont significatives et l'offre joue un rôle central dans la stratégie produits future de SAP.  Toutefois, la différence ici, c'est qu'il y a un investissement direct qui vient du sommet du groupe dans la personne même du co-fondateur de SAP Hasso Plattner, fait remarquer Jon Reed. « HANA est clairement un projet de recherche très spécial ».

D'autres projets sont morts sur pied, quelquefois en raison de politiques internes, selon Jon Reed. « Quelque chose que vous développez peut être disruptif par rapport à quelque chose que fait SAP », explique-t-il. « Pour être honnête, il ne s'agit pas d'un problème propre à SAP. » A un certain point, les politiques organisationnelles peuvent encore jouer un rôle indésirable pour décider ce qui doit être commercialisé, estime-t-il. « J'espère qu'ils trouveront une façon de protéger les bonnes idées et les mettre en avant. »