L’éditeur allemand SAP a discrètement mis fin à son litige de 600 millions de dollars avec Anheuser-Busch, la filiale américaine du conglomérat de boissons AB InBev. « Les parties ont réglé le différend le 30 juin 2017 et l'affaire est maintenant close », a déclaré AB InBev dans son rapport annuel 2017, publié mardi. Selon l’entreprise, SAP accusait Anheuser-Busch d'avoir violé un contrat de licence logicielle datant de septembre 2010 en accédant directement et indirectement aux systèmes et aux données de SAP sans disposer des licences appropriées (les fameux accès indirect), et lui reprochait de ne pas avoir payé les droits de licence dont elle aurait dû s’acquitter. Les dommages et intérêts réclamés par SAP auraient pu dépasser les 600 millions de dollars et l’éditeur avait demandé une révision du contrat. Interrogé sur l’accord, un porte-parole de SAP a simplement déclaré par courriel : « Il n'y a rien d'autre à dire si ce n’est qu’il y avait un différend et que celui-ci a été résolu à l'amiable ».
Ce règlement discret à l’amiable a pu aboutir grâce au recours aux règles d'arbitrage commercial de l'American Arbitration Association qui ont permis à SAP de faire respecter son accord de licence. Habituellement, les procédures d'arbitrage commercial se déroulent à huis clos et, contrairement aux affaires portées devant les tribunaux américains, les plaintes et les décisions ne sont pas rendues publiques. Lorsqu'un litige de licence est porté devant les tribunaux, il est généralement beaucoup plus difficile de garder le silence, comme a pu le constater un autre fabricant de boissons alcoolisées, Diageo, également poursuivi par SAP au motif qu’il avait accédé à des données stockées dans son système SAP sans les licences appropriées. En février 2017, un tribunal britannique a statué que Diageo devait posséder des licences utilisateurs nominatives pour que les clients et les employés puissent accéder au système SAP, même s’ils le faisaient indirectement depuis une application Salesforce.com. Le tribunal n'a pas statué immédiatement sur le montant que Diageo devait payer, mais SAP réclamait 76 millions de dollars de dommages et intérêts.
Un arrangement à 270 millions de dollars
Parce que les deux parties ne disent rien, il est difficile de connaître le montant des dommages payés par AB InBev pour mettre un terme à son différend avec SAP. En se basant sur les chiffres figurant dans les rapports annuels du fabricant de boissons, Robin Fry, spécialiste des licences chez Cerno Professional Services, a calculé qu’en 2017, AB InBev avait dépensé 1,03 milliard de dollars environ pour « l'amélioration des capacités administratives et l'achat de matériel et de logiciels », période au cours de laquelle le règlement amiable a été conclu, en augmentation de 270 millions de dollars environ par rapport à ses dépenses de l'année précédente. Ce surcroit de dépenses d'AB InBev est bien en deçà des 600 millions de dollars de dommages et intérêts réclamés par SAP pour régler le différend. Au passage, M. Fry fait remarquer que les fournisseurs de logiciels comptent de plus en plus sur les audits des systèmes hérités de clients existants pour maintenir leurs revenus. « Quand les clients utilisent de nouvelles technologies comme la virtualisation et la robotique, les éditeurs peuvent souvent interpréter les termes de leur licence d'une manière partisane et injuste, ouvrant la voie à des demandes de dommages colossaux comme ce fut le cas pour AB InBev », a-t-il expliqué. Le tollé suscité par l'affaire Diageo auprès des clients de SAP après la décision du tribunal britannique concernant l'accès indirect aux données a été tel que SAP a dû assouplir ses pratiques en matière de licence.
L'an dernier, lors de sa conférence annuelle des utilisateurs Sapphire, SAP a promis de simplifier l'octroi de licences en appliquant de nouveaux tarifs pour des usages comme la commande à l’encaissement, le procure-2-pay et la lecture statique. Mardi, l’éditeur a répété que « depuis la conférence Sapphire, il travaillait en étroite collaboration avec des groupes d'utilisateurs, des clients, des analystes de l'industrie et d'autres parties prenantes pour bien comprendre et traiter les problèmes d'accès indirect ainsi que d'autres formes d'accès numérique comme ceux liés à l'IOT et aux systèmes intelligents ». « Les changements apportés au modèle de licence seront axés sur les résultats liés à l'utilisation de notre logiciel SAP. Nous apprécierons dans les prochains mois l’effet de ces évolutions ». Mais d’ici là, a averti M. Fry, les entreprises doivent faire face à leurs responsabilités potentielles en matière d'octroi de licences. « Les entreprises doivent se confronter le plus tôt possible à ce problème et prendre les mesures correctives qui s’imposent avant le déclenchement des audits si elles veulent éviter des répercussions très désagréables sur leurs états financiers ».