Après plus de 40 ans passés à développer et à vendre des logiciels pour les grandes entreprises, l’éditeur allemand propose désormais aux secteurs de la santé, des sciences de la vie et de la recherche des outils d’exploration des données patients en temps réel, l’objectif étant d’aller vers une médecine de précision. Le projet repose sur une toute nouvelle plate-forme, lancée hier, appelée SAP Foundation for Health, basée sur le moteur Hana in-memory. SAP n'est pas le seul à proposer des outils analytiques pour le secteur médical : c'est également le cas d'IBM qui avec Watson fait figure de poids-lourd dans ce domaine.
« Notre stratégie est simple, mais très ambitieuse », a déclaré Dinesh Vandayar, vice-président de SAP, Personalized Medecine. « Notre volonté est de créer un réseau de santé qui ouvre la voie à une médecine personnalisée ». Hier également, SAP a dévoilé sa première application SAP Medical Research Insights spécialement destinée aux chercheurs cliniciens et aux praticiens des sciences de la vie. SAP n’est pas le premier éditeur de logiciels d'entreprise à mettre un pied dans le secteur de la santé : il y a quelques mois, Salesforce a déjà fait une incursion sur ce marché.
SAP pas néophyte dans le secteur de la santé
Mais la motivation de SAP est peut-être un peu plus personnelle : cet été, son CEO Bill McDermott, a perdu un œil dans un accident. Il y a un certain temps que le travail sur ce projet a démarré, mais après cet événement, il est devenu une des priorités de l’éditeur. « Depuis l'accident de notre CEO, l’intérêt pour le projet est passé à un autre niveau », a expliqué Dinesh Vandayar. « Bill McDermott est persuadé que SAP peut jouer un plus grand rôle dans le traitement des données des patients ». « SAP n’est pas non plus tout à fait novice dans le monde de la santé », a déclaré quant à lui Greg McStravick, responsable mondial des bases de données et de la technologie de SAP. « Notre cœur de métier tourne essentiellement autour de l’automatisation des processus métiers, mais nous ne sommes pas des néophytes dans la santé », a ajouté le responsable mondial lors de l’évènement SAP Spotlight organisé hier à New York pour présenter la nouvelle plateforme. « Plus de sept mille fournisseurs de soins de santé de 88 pays utilisent déjà les applications existantes de SAP pour automatiser leurs processus d'affaires », a-t-il ajouté.
SAP Foundation for Health doit permettre de faciliter la gestion et l'intégration des données de santé. (crédit : D.R.)
Mais, selon lui, ce secteur ne dispose toujours pas d’une technologie adaptée. « Si l’on observe le marché actuel et si l’on regarde les entités impliquées dans le secteur médical, l’échange de données est vraiment très limité », a renchéri Dinesh Vandayar. « Et ce déficit de partage peut avoir un effet direct sur le traitement des patients », a-t-il ajouté.
Une plateforme taillée pour développer de nouveaux médicaments
Comme exemple, il a cité le cas d’un médicament utilisé efficacement dans le traitement de la leucémie, qui, plus tard, s’est avéré à l’origine de graves problèmes cardiaques chez des enfants auxquels il a été administré. « Aujourd'hui, il n'y a pratiquement pas d'échange d'informations au sein d’une même entité et encore moins à l’extérieur », a-t-il encore déclaré. « Notre ambition est de fournir une plate-forme commune et un modèle de données unique qui facilite l’échange d'informations ». La nouvelle plateforme SAP Foundation for Health permet d’entreposer les données cliniques dans un environnement flexible et extensible avec des capacités de gestion et d'intégration des données qui répondent aux exigences du secteur, plus des capacités d’analyses en temps réel des données structurées et non structurées.
« Les entreprises exerçant leur activité dans les sciences de la vie et les institutions de santé peuvent utiliser la plateforme pour développer et cibler de nouveaux médicaments, dispositifs et services, ou pour accompagner des essais cliniques », a indiqué l’éditeur. Il a précisé aussi que le langage naturel existant de SAP Hana ne pouvait pas comprendre d’emblée la terminologie médicale. « Nous avons du adapter le moteur de traitement au travail médical », a expliqué Dinesh Vandayar, mais aussi construire un modèle de données commun pour les données cliniques et la génomique. « Nous pensons que ce modèle de données commun est essentiel », a ajouté le vice-président de SAP. « Si l’on ne peut pas échanger les données dans le bon format, il est difficile d’en tirer des analyses ».
Une transformation numérique qui tarde dans le secteur de la santé
Ce problème ne fera qu'empirer dans les prochaines années. En effet, la baisse du coût des capteurs et l’expansion de l'Internet des objets vont considérablement augmenter les échanges de données génomiques et des données de santé, si bien que les volumes remontés seront de plus en plus importants. « La plateforme de SAP assure une transparence totale entre ces données et permet aux utilisateurs un contrôle complet sur leur utilisation et leur traitement », a encore déclaré Dinesh Vandayar. Quant à la nouvelle application SAP Medical Research Insights, elle doit permettre aux chercheurs d’intégrer et d’analyser facilement toutes les données cliniques, génomiques et de santé disponibles. « Ils peuvent décortiquer les données, les présenter selon différents critères et explorer en profondeur toutes les données d’un patient », a-t-il ajouté. La nouvelle technologie de SAP a été testée pendant plusieurs mois par plusieurs entreprises et institutions. « Certains clients ont déclaré qu’ils pouvaient exécuter en quelques minutes des tâches qui demandaient jusque-là plusieurs semaines ou plusieurs mois ».
« Le secteur de la santé est l’un des derniers à procéder à la transition numérique, essentiellement à cause de problèmes de réglementation et du fait de la spécificité des données échangées », a déclaré pour sa part Carlos Bustamante, professeur de génétique et spécialiste des données biomédicales à l’Université de médecine de Stanford. Celui-ci a travaillé avec SAP sur la question de l’analyse des données génomiques. « Aux États-Unis en particulier, la question des données de santé était fondamentalement liée à celle de la facturation, car elles étaient surtout utilisées pour rationaliser le processus de remboursement », a expliqué le professeur dans une interview. « Pourtant, le potentiel est énorme », a-t-il ajouté. « Et d’un point de vue universitaire, nous pensons que la complexité des données et leur analyse soulèvent des questions importantes », a encore expliqué Carlos Bustamante.
Mais la santé des populations n’est pas le seul enjeu. Il y a d’autres défis tout aussi considérables, de réglementation, de vie privée, de sécurité des données et d’implications sociales. « La révolution numérique est une épée à double tranchant », a déclaré le professeur de Stanford. « Ce n’est pas parce que nous avons la capacité de mesurer une séquence complète de contraction musculaire que nous sommes en droit de le faire », a-t-il justifié. « Mais si un prestataire de santé a les moyens de prédire un AVC, il a l’obligation morale de le faire. Il y a donc une contrepartie importante : accepter la surveillance de plus en plus envahissante d’un État protecteur », a-t-il fait valoir, ajoutant : « Où se trouve la limite ? C’est une question à laquelle nous devons tous réfléchir. Nous commençons à peine à comprendre les implications sociétales de ces enjeux ».