« C'est le remplacement d'un système ERP ou d'un système de caisse qui fait peser le risque le plus important pour un responsable informatique », dit d'emblée Christian Metzner, DSI de Rossmann depuis près d'un an. C'est pourtant ce risque que l'équipe autour du DSI a dû affronter.
Jusqu'à présent, les différentes implantations du groupe allemand de distribution géraient elles-mêmes leurs systèmes ERP. Mais l'entreprise a décidé de changer d'approche. « Nous avons les mêmes défis dans tous les pays », explique le responsable informatique. Pour assurer cette convergence, Rossmann avait besoin de mettre en place ce que l'on appelle une architecture de référence, ou « Blueprint », développé et construit une seule fois, puis mis à la disposition des entités dans les neuf pays européens où est présent le groupe, qui a réalisé 13,9 Md€ en 2023 (+14% sur un an).
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Le projet doit, d'une part, réduire les risques sur les petits marchés qui possèdent une « force de frappe informatique » moindre que le siège. Et assurer, d'autre part, le regroupement de différents marchés sur le plan IT. Selon Christian Metzner, « nous voyons souvent, dans un pays quelconque, quelqu'un avoir une idée géniale qui n'est ensuite exploitée que pour sur ce marché. Grâce à l'approche en plate-forme, je peux, par exemple, mettre une bonne idée née en République tchèque à la disposition de mes collègues en Espagne ». Des groupes d'utilisateurs seraient ainsi créés et la cohésion des différentes spécialités s'en trouverait renforcée.
L'objectif est d'aider les métiers à se concentrer sur le client. « Notre mission en tant qu'IT est de rassembler ce qui est nécessaire pour cela, d'optimiser les processus et de fournir la meilleure solution aux défis du business », esquisse le DSI, pour décrire l'image que son département se fait de son rôle.
Christian Metzner, DSI de Rossmann : « intégrer in logiciel dans des processus vieux de 20 ans ou des applications vieilles d'une dizaine d'années s'avère inévitablement complexe ». (Photo : Dirk Rossmann GmbH)
Selon lui, le Blueprint de l'ERP présente quatre facettes essentielles. La première est la technologie sous-jacente. Sur ce terrain, Rossmann, qui possède plus de 4 700 magasins en Europe, mise sur la solution ERP Dynamics 365 Business Central de Microsoft, exploitée dans un cloud privé Azure lui-même hébergé dans des centres de données de Rossmann. « Ce choix nous permet d'accéder aux offres et aux add-ons de l'écosystème Microsoft, comme Power BI, Power Automate ou les fonctions d'intelligence artificielle, qui sont faciles à intégrer », souligne Christian Metzner.
La seconde est liée à l'organisation de l'informatique. « Nous avons dû décider ce que nous allions centraliser et ce que nous allions conserver dans les différents pays, en fonction du niveau de maturité et de la taille de ceux-ci », explique le DSI de Rossmann. En miroir - et c'est la troisième facette de l'architecture de référence -, il faut également décider quels processus seront centralisés et lesquels ne le seront pas.
Un ERP à la carte
Enfin, quatrièmement, il faut décider quelles exigences métiers doivent être intégrées au système ERP. « Sur ce sujet, les interfaces sont par exemple une problématique. Dans certains pays, j'ai besoin d'une facturation des consignes, dans d'autres non », explique Christian Metzner. Qui ajoute : « En tant qu'IT, nous voulons mettre à disposition une sorte de menu, au sein duquel on peut se servir en un clic et via lequel l'ERP peut également être étendu lorsqu'un marché existant se développe ou lorsqu'un qu'un nouveau marché est ouvert ».
Selon le DSI, 39 interfaces standard ont déjà été créées à cet effet, par exemple pour les processus logistiques ou financiers spécifiques à chaque pays : « le logiciel que l'on choisit est généralement bon, mais l'intégrer dans des processus vieux de 20 ans ou des applications vieilles d'une dizaine d'années s'avère inévitablement complexe ». Pour cela, l'IT avait besoin d'une architecture d'intégration bien pensée. L'objectif : construire une fois et de manière centralisée les solutions, par exemple pour la gestion de la chaîne d'approvisionnement ou la planification des surfaces et des rayons, puis les rendre accessibles aux différentes entités dans les pays. Les fonctions utilisées dans plusieurs pays, comme l'échange de données avec les systèmes connexes, sont ainsi ajoutées au système modulaire standard, géré de manière centralisée.
Projet pilote en Espagne
Le projet de migration lui-même a débuté en Espagne. Au départ comme un projet indépendant, à l'instar des démarches ERP qui existaient jusqu'alors au sein du groupe. « Lorsque Rilana Lührig, directrice senior ERP International chez Rossmann et responsable du projet, et moi-même nous sommes joints à ce programme, nous avons remis cela en question, car d'autres pays avaient également lancé leurs propres projets ERP au même moment », souligne explique Christian Metzner. Le distributeur prend alors la décision de différer ces autres projets et de faire du projet espagnol son projet de référence. En octobre 2022, Rossmann a ainsi déployé la première implémentation de son Blueprint ERP en Espagne. Auparavant, la filiale locale utilisait Microsoft Navision.
« Après la mise en service, nous avons testé les processus avec nos collègues espagnols et affiné le Blueprint », poursuit la responsable du projet. Christian Metzner ajoute : « ces expériences nous aident pour les prochains déploiements, de sorte que les migrations deviennent à chaque fois plus faciles. » Les filiales dans les différents pays bénéficiant des meilleures pratiques de l'équipe ERP centrale et des normes existantes. « Nous éliminons ainsi les risques liés au changement de système et accélérons les migrations, car nous ne devons pas tout refaire à chaque fois », ajoute le DSI. Les fonctions qui ne sont pas intégrées au Blueprint sont connectées via des interfaces ou modélisées via des extensions : « nous avons déporté les exigences spécifiques de certains pays dans ces extensions », dit Rilana Lührig.
Rilana Lührig, responsable senior de l'ERP international chez Rossmann : « il était important pour nous de disposer d'un service interne qui s'occupe uniquement de l'ERP international ». (Photo : Dirk Rossmann GmbH)
Pour autant, Rossmann, un groupe qui emploie plus de 62 000 personnes, entend éviter l'image d'un projet venant uniquement du siège. Selon la responsable du projet, la convergence des différents pays vers un modèle partagé doit permettre de créer des communautés au sein desquelles les filiales peuvent échanger entre elles et avec le siège : « nous voulons décider avec les filiales de ce qui est pertinent ou non pour le Blueprint et nous assurer que les filiales apprennent les unes des autres et partagent leurs connaissances ».
Une équipe dédiée à l'ERP
Lorsque le nouvel ERP a été préparé, une équipe de développeurs relativement restreinte en était responsable et faisait avancer le projet en plus de ses autres tâches, rapporte Rilana Lührig. « Lors de la phase de déploiement, nous avons ensuite mis en place une équipe dédiée qui s'occupe du système ERP international. Entretemps, la taille de cette équipe est passée à 21 personnes », relate la responsable. Cette équipe travaille en étroite collaboration avec l'exploitation informatique et les prestataires de services spécialisés. « Si ces collègues bénéficient du support de ces derniers, il était important pour nous de disposer d'un service interne qui s'occupe uniquement de l'ERP international », indique la responsable du projet.
De plus, cette équipe est impliquée lorsque des fonctions spécifiques à un pays sont développées, en dehors du Blueprint. Christian Metzner décrit la répartition des tâches de la manière suivante : « le degré d'implication de l'équipe dépend de la taille de l'entité pays. Sur les petits marchés comme l'Albanie, l'équipe ERP centrale prend en charge la direction du projet. Mais plus l'organisation est grande, plus les équipes sur place peuvent prendre le relais ».
Pour développer des composants ERP propres à chaque pays, Rossmann fait appel à des utilisateurs clés qui connaissent bien les systèmes et processus locaux. Ceux-ci apportent leur expertise lors des formations (en tant que formateurs relais) et sur le support, enregistrent les exigences techniques ou réglementaires et assurent leur transmission à l'équipe centrale. En outre, ils décident avec les communautés et l'équipe centrale si une nouvelle application doit rejoindre le Blueprint ou rester un composant spécifique au niveau local.
Les déploiements en Big Bang trop risqués
Outre l'exploitation technique, Rossmann devait également gérer le changement que supposait son projet, c'est-à-dire définir le mode de support pour les filiales et développer l'assistance ainsi que les méthodes d'exploitation et de déploiement. « Si nous avons des pays qui doivent mettre en oeuvre des exigences spécifiques, nous nous assurons de notre côté que la gouvernance est respectée », souligne Rilana Lührig. Cela implique par exemple des revues de code et des tests communs, afin de bien intégrer les ajouts dans le système global.
Selon la responsable du projet, des capacités spécifiques sont également nécessaires en fonction de la phase de développement de chaque marché. Une « Business Capability Map » aide à identifier ces capacités et les systèmes informatiques nécessaires pour chaque phase de développement. Le Blueprint ERP en particulier joue un rôle central dans cette adaptation des solutions au niveau de maturité des marchés, en ce sens qu'il regroupe de nombreuses capacités par le biais de modules centraux ou d'interfaces.
Pour le prochain pays à déployer, l'équipe de Rilana Lührig prévoit de déployer d'abord le coeur de l'ERP, les autres systèmes n'étant connectés que dans un second temps et restant reliés en parallèle à l'ancien ERP. « Nous ne voulons pas de Big Bang, car le risque serait trop grand et les efforts de changement trop importants pour l'organisation. Nous découpons donc le déploiement en phases plus raisonnables, qui dépendent de l'état de départ du périmètre ciblé », résume la responsable. Et Christian Metzner d'ajouter : « L'IT [centrale, NDLR] s'est bien mise en place, même si nous devons encore développer quelques interfaces et produits pour faire face à la poursuite de la croissance dans les différents pays où est présent le groupe et apparaître comme un partenaire fiable. Le prochain projet est donc attendu avec impatience ».