Pour 50 % des employés Twitter, cette semaine pourrait bel et bien être la dernière passée au sein de l’entreprise. Après le rachat du réseau social par Elon Musk pour la modique somme de 44 milliards de dollars, le milliardaire a entamé une sévère restructuration pour rentabiliser au plus vite son investissement. La semaine dernière, il a ainsi décidé de se séparer de l’équipe dirigeante - incluant Parag Agrawa, CEO de Twitter, ainsi que Ned Segal, son directeur financier – avant de s’attaquer au modèle de certification des utilisateurs. Cette fin de semaine marque une nouvelle étape dans la feuille de route du milliardaire puisque des licenciements massifs sont au programme, après que de nombreuses rumeurs aient circulé à ce sujet. Pour preuve : un email envoyé cette semaine par la nouvelle direction aux employés Twitter, qui demandait à ces derniers de rentrer chez eux et de ne pas se rendre aux bureaux ce vendredi.
« Dans un effort pour placer Twitter sur une voie saine, nous passerons par le processus difficile de réduction de notre main-d'œuvre mondiale », indique le courriel. « Nous reconnaissons que cela aura un impact sur un certain nombre de personnes qui ont apporté de précieuses contributions à Twitter, mais cette action est malheureusement nécessaire pour assurer le succès de l'entreprise à l'avenir ». Le message électronique, relève le New York Times, provenait d'une adresse générique et était signé « Twitter », sans aucun détail supplémentaire sur le nombre total de licenciements. Mercredi, les premiers signaux d'alerte ont retenti. Un message Slack suggérant que 3 738 personnes - sur 7500 - pourraient être licenciées a circulé, ajoutant que des modifications pourraient encore être apportées à cette liste de licenciements. Un « guide du licenciement » a alors circulé avec des conseils sur la surveillance des entreprises et les droits du travail. L’un des employés a même créé un logiciel pour aider ses collègues à télécharger des emails et des documents importants, avant d’être à son tour licencié, indique-t-il.
Descente aux enfers chez Twitter
Ce jeudi soir, la sentence est tombée : des employés du réseau social ont remarqué que leurs jours de repos ont été supprimés du planning. Certains ont également noté que le répertoire des employés avait été mis hors ligne. Quelques minutes plus tard, l’entreprise a envoyé le fameux email de licenciement aux personnes concernées sur leur compte de messagerie personnel tandis que ceux qui conservent leur emploi ont été notifiés sur leur compte d’entreprise. Les réactions se sont multipliées sur Slack, le service de messagerie utilisé en interne, et certains collaborateurs ont déclaré avoir perdu l'accès aux systèmes de l'entreprise. Parker Lyons, un employé de Twitter, a tweeté une photo d'une femme en position fœtale après l'envoi de l'email. « Notification à 8h59 ce matin », a-t-il écrit, faisant référence à la dernière heure à laquelle les notifications de licenciement devaient arriver ce vendredi.
Les raisons pour lesquelles les employés ont été gardés loin des bureaux de Twitter n’ont pas été données, mais certains ont laissé courir le bruit selon lequel cela empêcherait les personnes licenciées de partir avec des documents de l’entreprise. L’email envoyé précise tout de même que « pour aider à assurer la sécurité de chaque employé ainsi que des systèmes Twitter et des données des clients, nos bureaux seront temporairement fermés et tous les accès par badge seront suspendus ». « Nous reconnaissons qu'il s'agit d'une expérience incroyablement difficile à vivre, que vous soyez touché ou non », poursuit l'email. « Nous sommes reconnaissants pour vos contributions à Twitter et pour votre patience pendant que nous avançons dans ce processus ». Ceux qui sont passés entre les gouttes doivent s’attendre à davantage de communication de la part de l’entreprise et d’Elon Musk la semaine prochaine, notamment sur la vision de ce dernier concernant l’entreprise.
Que dit la loi
La direction de Twitter a-t-elle bien agi et respecté la législation californienne sur le travail ? C’est la question que beaucoup se posent après l’annonce de ce licenciement express. Les lois fédérales et californiennes – en particulier le Warn Act – obligent les entreprises - avec 75 personnes ou plus - à fournir un préavis de 60 jours en cas de licenciements massifs. Reste à savoir si Elon Musk l’a effectivement appliqué ou non. La sanction prévue est de 500 $ par jour pour chaque jour de violation. Le New York Times rapport qu’un porte-parole du département californien du développement de l'emploi a déclaré jeudi soir qu'il n'avait reçu aucun avis de ce type de Twitter, qui est basé à San Francisco. De son côté, Bloomberg rapporte qu’un recours collectif a été déposé jeudi devant le tribunal fédéral de San Francisco pour non-respect de la loi Warn. L’affaire porte le nom de Cornet c. Twitter Inc., 22-cv-06857, US District Court, Northern District of California (San Francisco).
« Nous avons déposé cette plainte ce soir pour tenter de nous assurer que les employés sont conscients qu'ils ne doivent pas renoncer à leurs droits et qu'ils ont un moyen de faire valoir leurs droits », a fait valoir Shannon Liss-Riordan, l'avocate qui a déposé la plainte. Cette dernière est bien connue d’Elon Musk puisqu’elle a poursuivi Tesla en juin dernier pour des réclamations similaires. A l’époque, l’entreprise a licencié 10 % de ses effectifs. Tesla a obtenu une décision d'un juge fédéral d'Austin obligeant les travailleurs dans cette affaire à poursuivre leurs réclamations dans un arbitrage à huis clos plutôt qu'en audience publique. L’avocate ne s’est pas laissée démonter et a déclaré « Nous allons maintenant voir s'il va continuer à faire un pied de nez aux lois de ce pays qui protègent les employés », avant d’ajouter à propos d’Elon Musk : « Il semble qu'il répète le même manuel de ce qu'il a fait chez Tesla ».
Côté rémunération, les employés remerciés devraient recevoir a minima deux mois de salaire et la valeur en espèces des capitaux propres qu’ils devaient recevoir dans les trois mois suivant une date de licenciement, selon un résumé interne des avantages vu par le Times. Cela fait partie des termes de l’accord d’acquisition de Twitter, qui maintient la rémunération et les avantages sociaux actuels des employés pendant un an.
Une reprise en main musclée
Le patron de Tesla et SpaceX - deux entreprises désormais relocalisées au Texas - a finalisé le rachat de 44 milliards de dollars de Twitter le 27 octobre et a immédiatement limogé son directeur général et d'autres cadres supérieurs. Des managers ont par ailleurs été invités à dresser des listes d'employés très performants et peu performants, afin de ne garder que les « éléments rentables ». Cet élagage à grande échelle est surtout un moyen pour le milliardaire de rentabiliser son acquisition. L'accord constitue en effet « le plus grand rachat par emprunt d'une entreprise technologique de l'histoire » estime le New York Times. Il s’avère que le milliardaire a contracté une dette d’environ 13 milliards de dollars sur Twitter et doit payer environ 1 milliard de dollars par an en paiements d'intérêts. Cet arrangement financier est risqué et Elon Musk ne peut se permettre un échec. Le réseau social n’a pas été rentable pendant huit des dix dernières années et la publicité en ligne, qui représente 90 % de ses revenus, est en baisse dans les entreprises du secteur. De plus, il génère beaucoup moins de revenus (630 millions de dollars de flux de trésorerie l’an dernier) que ce qu’il doit rembourser.
Avec aussi peu de marge de manœuvre, reste à savoir comment Elon Musk compte renflouer les caisses du réseau social. Les idées sont nombreuses : faire payer aux utilisateurs la certification de leur compte, et de facto proposer un abonnement à 8 $/mois incluant une priorité dans les réponses, les mentions et la recherche, la possibilité de publier de longues vidéos et audio, deux fois moins d'annonces publicitaires, etc, mais aussi l’ajout de messages directs payants ou encore des vidéos payantes à travers un paywall. A ce jour il existe plus de 423 000 comptes certifiés sur Twitter. La relance du réseau social Vine – créée en 2012 par Twitter puis abandonnée au fil du temps jusqu’à sa fermeture total en 2016 – est également citée. S’il venait à renaître de ses cendres, il reviendrait sûrement sous une forme payante pour aider Twitter dans sa quête de rentabilité.