Après le marché des terminaux mobiles, Qualcomm s’attaque au territoire d'Intel en annonçant des PC Windows utilisant les mêmes puces Snapdragon 835 que les smartphones haut de gamme. Le principale avantage est une autonomie qui peut durer jusqu'à deux jours mais avec des performances en retrait à situer du coté d’un Intel Core-M mais pas d’un Core-i3. Mardi dernier, lors de son forum sur la technologie Snapdragon (le Snapdragon Summit les 5, 6 et 7 décembre 2017 à Maui, Hawaii), Qualcomm a donc présenté sa plate-forme PC mobile Snapdragon 835 avec une tablette hybride HP Envy x2 et un ultrabook Asus NovaGo (un troisième PC, de Lenovo, sera annoncé au CES à Las Vegas en janvier). Les deux fonctionnent sur un SoC Snapdragon 835i, avec une puce ARM et un modem LTE, qui équipe déjà le OnePlus 5T ou le Samsung Galaxy Note 8 (aux États-Unis pas en Europe).

Pour justifier son incursion sur le marché des PC - et très bientôt des serveurs - Qualcomm compte exploiter le succès qu'il a eu avec les smartphones. L’idée est de proposer un PC portable performant et connecté capable de travailler plus d’une journée. Comme n’importe quel terminal mobile haut de gamme. Microsoft a déjà tenté cette incursion avec sa déclinaison Windows RT qui n’a pas été un France succès. Elle ne fonctionnait qu’avec les applications de la plateforme Windows universelle (UWP) et l’app store dédié de Microsoft est resté désespérément vide. Pour régler ce problème, les PC de Qualcomm émulent des applications non-UWP, ce qui ralentit les performances. Une histoire qui n’est pas sans rappeler celle de Transmeta qui avait tenté en 2003 de contester la domination d’Intel sur le marché Windows avec ses puces Crusoe, puis Efficeon. HP Compaq avait sorti une tablette hybride (la TC1000) sur base Transmeta qui émulait les instructions x86 (Code Morphing Software) pour supporter Windows et ses applications. Mais, ce, avec une lenteur insupportable au quotidien. Le fournisseur avait fini par proposer sa tablette avec une puce Intel Pentium M.

De l'autonomie mais avec des performances en retrait 

15 ans après, Qualcomm espère donc que les utilisateurs seront prêts à accepter moins de performances avec sa plate-forme Snapdragon Mobile PC en échange d’une plus grande autonomie (de 14 à 24 heures avec des périodes d’utilisation entrecoupées de veille connectée). Rien n’est moins sûr.

 

Alimenté par une puce Snapdragon 835, le HP Envy X2 espère faire mieux que son prédécesseur TC-1000 sur base Transmeta Crusoe (voir ci-dessous).

Le TC-1000 de HP Compaq était vraiment très lent à l'usage avec sa puce Transmeta Cruose, à la peine même avec un traitement de texte.

PC Qualcomm Snapdragon: de l’autonomie mais pas de performances

Si les fournisseurs de puces x86 comme Intel et, dans une moindre mesure AMD, s’acharnent à proposer les meilleures performances possibles au prix le plus bas, ce ne semble donc pas être le cas de Qualcomm. « La plupart des personnes travaillant sur ces facteurs de forme sont intéressées par la connectivité et la musique, le courrier électronique, la productivité, le shopping… il s’agit d’une extension de leur mobile », a expliqué Miguel Nunes, directeur produits chez Qualcomm. « Nous ne voyons pas ces gens utiliser de lourdes charges de travail, comme le graphisme. S'ils le font, ils évitent ces facteurs de forme. J'utilise un de ces appareils [Snapdragon] depuis plusieurs mois », a ajouté M. Nunes. « Il a remplacé mon terminal Surface Pro, et je passe plusieurs jours sans le recharger. » On ne demande qu’à la croire mais à l’usage pourquoi passer d’un smartphone performant avec un grand écran à un PC ou une tablette hybride sous-motorisé pour ce genre de tâches (messagerie, web et musique).   

HP, qui semble croire à la pérennité de cette plateforme, a dévoilé un premier PC hybride équipé de la puce Snapdragon 835i, l’Envy x2. Nos confrères de PCWorld ont examiné une tablette similaire, la HP Elite x2, qui comprend une puce Intel Core M à l'intérieur. La batterie de l'Elite x2 a réussi à tenir sept heures durant un ensemble de tests, qui comprenait une lecture vidéo continue. Qualcomm affirme que la même tablette fournira 20 heures d’autonomie avec une puce Snapdragon. En d'autres termes, le fournisseur pense qu'un appareil doté d'une batterie de 48 Watts, comme celle du dernier Microsoft Surface Pro, offrira 21,2 heures d’autonomie avec la lecture en boucle d’une vidéo 1080p. (Pour référence, le Surface Pro a tenu 8,5 heures avant de manquer de batterie lors des tests de PCWorld). 

 

L'ultrabook Asus NovaGo, également alimenté par un processeur Qualcomm Snapdragon.

Windows 10 S et ses apps limitées au store de Microsoft 

Fait intéressant, les HP Envy x2 et Asus NovaGo utilisent Windows 10 S. C'est un point important car dans les tests de nos confrères, l'utilisation de Windows 10 Pro réduit considérablement l’autonomie de la batterie. Tester le Microsoft Surface Book exécutant Windows 10 S a permis d’atteindre une autonomie de 765 minutes. La mise à niveau vers Windows 10 Pro a réduit l’autonomie de la batterie à 654 minutes, soit une diminution de 14,5%. 

Qualcomm prétend travailler à une longue liste de partenaires du monde PC. Terry Myerson, vice-président de la division systèmes d'exploitation de Microsoft, a révélé que des centaines d'appareils fonctionnant avec Qualcomm étaient utilisés sur le campus de Microsoft depuis des mois, un fait confirmé par d'autres employés de la firme de Redmond. M. Myerson a également précisé sur scène au Snapdragon Summit qu'il n'avait pas chargé son terminal durant une semaine d'utilisation, bien qu'on ne sache pas comment il l'utilisait (ou pas).

Les PC Snapdragon seront plus lents, mais est-ce important ?

À son crédit, Qualcomm admet que les performances d'un PC Snapdragon seront plus lentes que celles de ses concurrents Intel ou AMD. C’est en grande partie parce que les puces Snapdragon ne sont pas conçues pour traiter le code de manière native. Au lieu de cela, le Snapdragon 835 passe le code à plusieurs étapes intermédiaires, y compris une couche d'abstraction et un émulateur. C'était une étape que les terminaux Windows RT, équipés de puces ARM, n’avaient pas besoin de faire car ils bénéficieraient d’un OS natif mais dépourvu d’applications. Précisons que le code émulé sur les PC Snapdragon est mis en cache, donc s'il est relancé, les performances devraient être un peu meilleures. En conséquence, les applications Windows UWP (Mail, Agenda, Edge, ainsi que les applications Skype natives telles que Twitter, Spotify et autres) fonctionneront toujours au maximum des performances de la puce. Une foule d'applications .exe traditionnelles, y compris la plupart des jeux, des navigateurs comme Chrome et Firefox, ainsi que des benchmarks synthétiques, ne fonctionneront pas aussi rapidement. 

 

Estimation de l'autonomie d'une batterie avec une puce Snapdragon 835 selon Qualcomm (crédit Mark Hachman/IDG).

Quelques déceptions supplémentaires ont émergé après l'annonce de Windows-on-Snapdragon. D'une part, les applications 64 bits ne sont pas du tout supportées, du moins pas encore. « Nous travaillons sur un ARM64 SDK qui permettra aux développeurs de créer des applications pour ARM64 et nous aurons plus de nouvelles à partager à l'avenir », a déclaré un porte-parole de Microsoft.

Deuxièmement, la technologie d'émulation ne prend pas en charge les applications nécessitant des pilotes en mode noyau, telles que certaines applications antivirus. Cela laissera les utilisateurs de Snapdragon PC largement dépendants du logiciel antivirus Windows Defender intégré à Windows 10.

 

... et ici, avec une ventilation plus détaillée de la consommation d'énergie du Qualcomm Snapdragon 835. (crédit Mark Hachman/IDG).

Enfin, les dirigeants de Microsoft au Snapdragon Summit ont reconnu que les applications avec une utilisation élevée du processeur subiraient une pénalité de performance plus élevée, de sorte que le jeu ne sera pas vraiment envisageable sur ces périphériques. Naturellement, Qualcomm minimise cet impact dans un bel élan marketing. Toute application dépend d'une combinaison de CPU, GPU, mémoire et stockage, a déclaré M. Nunes. « Vous verrez quelques différences ici et là ... mais ce n'est rien qui va affecter l'expérience de l'utilisateur ».

« Vous pouvez voir quelque chose se lancer en 1 seconde, sur l'autre plate-forme, il se lance en 1,4 secondes », a expliqué M. Nunes. « C'est 40% plus lent, mais vraiment, ça n'a pas d'importance. » Le dirigeant a plutôt mis l'accent sur l'efficacité énergétique de la plateforme Mobile PC Snapdragon 835. « Il est préférable d'aborder l’autonomie de la batterie, car c'est ce que la plupart des gens se soucient ». Lorsque nos confrères lui ont demandé de définir la pénalité de performance due à l'émulation, M. Nunes a de nouveau hésité. « Vraiment, cela dépend de l'application », at-il dit.

 

Estimation de la performance  des Qualcomm Snapdragon 835 pour PC  (crédit Mark Hachman/IDG). Ce sont les métriques de performance auxquelles Qualcomm veut que vous pensiez en considérant les PC portables Snapdragon 835.

Heureusement, il semble que certaines de ces préoccupations peuvent être exagérées. Pat Moorhead, un ancien employé d'AMD aujourd'hui analyste indépendant, a déclaré à PCWorld qu'il avait utilisé un produit alimenté par Qualcomm pendant plusieurs jours et que Chrome s'était comporté de façon acceptable – « mieux que ce à quoi je m'attendais ». 

Qualcomm pense qu'il peut combler cette lacune, car des processeurs plus puissants se limitent, réduisant la vitesse d'horloge en charge pour contrôler la production de chaleur. Mais les dirigeants admettent que vous remarquerez des différences entre les applications natives et émulées. Cela est dû – en partie - à une anomalie de conception dans l'architecture ARM qui sous-tend la puce Snapdragon : ARM utilise une combinaison de «gros» cœurs puissants avec des «petits» cœurs plus efficaces en énergie. Ce sont ces petits noyaux qui aident à prolonger la durée de vie de la batterie, mais qui ne peuvent pas supporter de lourdes charges de travail.

Un test décisif pour Qualcomm

Pour l'utilisateur moyen, les forces et les faiblesses de la plate-forme mobile Snapdragon 835 risquent de peser lourd. Lorsque Asus et HP expédieront leurs appareils animés par les puces Qualcomm, elles mettront l'accent sur des mesures comme la rapidité d'ouverture des applications, plutôt que sur des benchmarks synthétiques comme Cinebench ou PCMark. De plus, les applications que vous utiliserez auront de l'importance. « Vous pouvez exécuter Chrome dessus. Edge est toutefois nettement plus optimisé, mais Chrome fonctionnera », a déclaré M. Nunes.

Si les ventes de PC Snapdragon 835 décollent, cela signifiera que les consommateurs auront accepté de se contenter de performances «assez bonnes» en échange de deux jours d'autonomie et d’une connectivité WWAN omniprésente. Jusqu'à présent, nous avons eu deux architectures qui ont tenté d’exploiter cet argument sur les ultrabooks : les puces Intel Core M et Atom. Et seule la première a réussi à s’imposer. L'Atom, qui offrait une expérience informatique léthargique souvent aggravée par un stockage anémique et peu de mémoire vive, n’a pas percé. Les PC Snapdragon 835 risquent fort d’emprunter le même chemin.