Arm a perdu une bataille sur la licence de ses designs de puces face à Qualcomm qui met fin aux doutes sur l'avenir immédiat de certains de ses produits. Le jury du tribunal de district du Delaware a passé la semaine à écouter les arguments dans ce qui est le plus long et houleux litige de licence ayant opposé Arm à Qualcomm. La question étant de savoir si ce dernier pouvait - ou pas - utiliser la technologie acquise lors du rachat de la start-up Nuvia en 2021. Le verdict rendu vendredi dernier est extrêmement important, non seulement pour les parties concernées, mais aussi pour la multitude d'autres entreprises qui ont développé leurs produits à partir de cette technologie. Mais la bataille n'est pas terminée. Même si le jury a estimé que Qualcomm n'avait pas violé la licence de Nuvia avec Arm et qu’elle avait effectivement le droit d’utiliser sa technologie, il n'a pas pu se mettre d'accord sur la question de savoir si Nuvia avait violé les termes de sa licence avec Arm. Cela signifie qu'il pourrait bien y avoir un autre procès.

À l'issue de cette décision, chaque entreprise a publié une brève déclaration. « Nous sommes satisfaits de la décision rendue aujourd'hui », s’est félicité Qualcomm dans un communiqué. « Le jury a défendu le droit de Qualcomm à innover et il a affirmé que tous les produits Qualcomm incriminés dans cette affaire sont protégés par le contrat de Qualcomm avec Arm. Nous continuerons à développer des produits de classe mondiale, à la pointe de la performance, qui profiteront aux consommateurs du monde entier, grâce à nos incroyables processeurs personnalisés Oryon compatibles avec Arm. » Mais pour Arm, le combat n'est pas terminé. « Nous sommes déçus que le jury n'ait pas été en mesure de parvenir à un consensus sur l'ensemble des revendications », a commenté un porte-parole d'Arm dans un courriel. « Nous avons l'intention de demander un nouveau procès en raison de l’incapacité du jury à trancher. Depuis le début, notre priorité absolue a été de protéger la propriété intellectuelle d'Arm et l'écosystème inégalé que nous avons construit avec nos précieux partenaires depuis plus de 30 ans. Comme toujours, nous nous engageons à favoriser l'innovation sur notre marché en forte évolution et à servir nos partenaires, tout en faisant progresser l'avenir de l'informatique. » Cependant, au lieu d'un nouveau procès, la juge Maryellen Noreika, qui a présidé l'affaire, a recommandé aux deux entreprises de tenter de résoudre leurs différends par la médiation, indiquant qu'elle ne voyait pas l'une ou l'autre entreprise remporter une victoire claire si l'affaire était rejugée.

Arm prêt à fabriquer des puces selon Qualcomm

Ce conflit est extraordinaire entre deux entreprises qui, jusqu'en 2021, semblaient être de solides alliés. L'affaire a donc commencé avec le rachat cette même année par Qualcomm de la start-up Nuvia pour améliorer les performances de ses puces Arm reposant sur des cœurs Phoenix personnalisés n'ayant pas eu le consentement de la société britannique. Il est important de noter que la redevance que Qualcomm a accepté de payer dans le cadre de son accord de licence d'architecture (ALA) avec Arm, était inférieure à celle de Nuvia. Qualcomm a estimé qu’à l'avenir, cet accord plus favorable devait s'appliquer au développement de Nuvia parce que la plupart des développements ultérieurs de Snapdragon ont été réalisés après l'acquisition. Arm n'était pas d'accord et soutenait que Qualcomm devait payer la redevance convenue avec Nuvia. Cette semaine, dans son témoignage devant le tribunal, le CEO d'Arm, Rene Haas, a estimé que la baisse des redevances entraînerait une chute des recettes de 50 M$. Faute d'accord avec Qualcomm, la société a décidé d'intenter, pour la première fois depuis sa création en 1990, une action en justice à l'encontre d'un client. C'est là que les choses se gâtent. Pourquoi Arm a-t-elle décidé de porter plainte pour une somme relativement faible et pourquoi Qualcomm a-t-elle refusé de céder ? La semaine dernière, au tribunal, un tas d'arguments et de contre-arguments ont été présentés, la plupart pour dire que chaque entreprise croyait que l'autre essayait de saboter son activité.

Alors qu'elle tente de se diversifier et de ne plus dépendre des puces mobiles, la plateforme SoC Snapdragon de Qualcomm est considérée comme essentielle pour l’avenir de l’entreprise, qui espère ainsi pouvoir affronter Intel et AMD sur l’ensemble du marché des microprocesseurs tout en intégrant les nouvelles capacités d'IA importantes pour le secteur des PC. La récente présentation du SoC Snapdragon 8 Elite équipé de coeurs personnalisés Oryon sur base Nuvia n'a fait que rajouter des braises ayant poussé Arm en octobre dernier à tenter, en vain, d'annuler la licence de Qualcomm pour le Snapdragon Elite. Le britannique exigeait par ailleurs la destruction des modèles Nuvia développés avant la fusion. Il est clair qu'un verdict en faveur d'Arm aurait mis Qualcomm dans une situation délicate, mais également un tas d'entreprises technologiques de premier plan comme Microsoft, Acer, Asus, Dell, HP, Lenovo et Samsung qui utilisent actuellement les modèles Snapdragon de Qualcomm. La semaine dernière, Qualcomm a défendu un autre point de vue pour expliquer les motivations d'Arm. Selon ses avocats, le concepteur britannique nourrit l'ambition de développer ses propres puces, ce qui en ferait un concurrent direct de Qualcomm. Les preuves de cette affirmation restent circonstancielles, mais Qualcomm a affirmé qu'Arm l'avait trompée à un moment donné pour qu'elle se sépare de son équipe de développement.

Un accord amiable impossible ?

Pour les personnes extérieures à la situation, la difficulté consiste à démêler ce qui est réellement en cause et à déterminer si l'affaire est plus complexe qu'il n'y paraît. Selon Arm, il s'agit d'accords de licence et des frais qui en découlent. Elle estime que Qualcomm a utilisé sa propriété intellectuelle contenue dans celle de Nuvia et devrait payer ce que la start-up a convenu et qu’elle cesse de mégoter. De son côté, Qualcomm a l’air de se plaindre d’une sorte de racket. Mais les implications pourraient être plus profondes. Il est possible que les deux entreprises se considèrent comme des concurrents à long terme, et c’est ce qui motive cette bataille sur le fond. Par exemple, Qualcomm a été l'un des principaux opposants au projet de rachat d'Arm par Nvidia en 2021, qui a été abandonné en raison d'obstacles réglementaires et elle lui avait même suggéré d'investir dans la société britannique. De son côté, Arm a contrarié Qualcomm en contactant des dizaines de ses clients pour les informer de la fin de la licence Nuvia, renforçant à chaque fois un peu plus l'antipathie entre les deux entreprises. Ce genre de conflit est courant dans l'industrie technologique, un secteur fondé sur les brevets et les licences croisées de propriété intellectuelle.

Mais ce qui est très inhabituel dans ce litige, c'est qu'il n'a pas été résolu sans passer par un tribunal, une situation extrêmement risquée pour les deux parties en cas de défaite. À première vue, il ne s'est jamais agi d'une bataille entre parties égales : le chiffre d'affaires annuel de Qualcomm est 10 à 15 fois supérieur à celui d'Arm. Cela dit, depuis qu'Arm est entrée à la Bourse de New York, sa valeur a grimpé en flèche, rapprochant sa capitalisation boursière de celle de l'entreprise américaine. Arm est importante par sa taille et Qualcomm est grande et ambitieuse. Chacune voudrait la couronne de l'autre. Toutes deux sont en colère. Ce qui n'est pas encore clair, c'est de savoir si le verdict d'un tribunal du Delaware, même une victoire totale, répondra aux attentes de l'une ou l'autre des deux entreprises.