Andy Rubin, le responsable de l'équipe de développement Android, chez Google, a été appelé à la barre pour la première fois, il y a deux jours, depuis le début du procès qui oppose Oracle à Google (pour violation de brevets et copyright portant sur Java). Il s'est retrouvé face à David Boies, avocat d'Oracle, bien connu, pour aborder la question des emails envoyés et reçus en 2005 et 2006, lorsque Google commençait les développements autour d'Android.
Accusé de violation de brevets Java par Oracle, Google dément avoir mal agi et a déclaré avoir conçu une version de Java qui ne contient aucune propriété intellectuelle protégée appartenant à Oracle. Pour ce dernier, les e-mails échangés au sein de l'équipe Android constituent au contraire la preuve que Google savait qu'il avait besoin d'une licence de Java pour développer Android, mais qu'il a continué sur sa lancée sans en avoir parce qu'il avait échoué à en négocier une avec Sun Microsystems. Oracle a acquis les droits sur Java lorsqu'il a racheté Sun il y a deux ans.
« Inhabituellement agressif »
Dans un des emails évoqués, Andy Rubin a écrit : « Je pense qu'une mise en oeuvre en 'salle blanche' [clean room] est improbable en raison de la connaissance préalable de l'équipe, et il serait inhabituellement agressif de notre part de nous positionner contre l'industrie ».
David Boies, l'avocat d'Oracle : « Ainsi, vous dites que l'équipe avait une connaissance préalable trop importante pour opérer dans un environnement de type 'salle blanche', est-ce exact ? ».
Réponse d'Andy Rubin : « Je pense que c'est lire beaucoup dans cette petite phrase », a répondu Andy Rubin. « Je n'irais pas si loin ».
Dans un autre mail, Andy Rubin a écrit que l'API Java.lang était protégée par copyright. « Vous vouliez dire un copyright Sun ? », a interrogé David Boies. A.Rubin : « Je n'ai pas dit cela ». D.Boies : « Mais vous vouliez dire Sun, n'est-ce pas ? ». A.Rubin : « Oui, dans ce contexte, je pense que je voulais dire que l'API était protégée par copyright ». D.Boies : « Par Sun ? ». A.Rubin : « Oui ».
Le responsable de l'équipe Android a été interrogé pendant seulement 25 minutes parce qu'il a été appelé à la barre peu de temps avant la fin de la journée. Le procès devait reprendre le lendemain, avec le témoignage d'Eric Schmidt, président exécutif de Google.
Le juge pourrait demander assez tôt de fixer les dommages
Avant Andy Rubin, ce lundi, Oracle avait appelé Bob Lee, un ancien ingénieur de Google qui est maintenant le CTO (directeur technique) de Square, société spécialisée dans les paiements mobiles. Il avait aussi fait venir John Mitchell, professeur de sciences informatiques à l'Université Stanford. Oracle l'a recruté comme témoin expert.
Le procès doit se dérouler en trois phases. La première a lieu en ce moment et pourrait se terminer à la fin de cette semaine. Elle est destinée à déterminer les accusations de copyright. La deuxième étape couvrira les accusations portant sur les brevets et la troisième décidera quels dommages peuvent être accordés à Oracle s'il a gain de cause lors d'une des deux premières étapes.
C'est ce qui était prévu à l'origine. Mais le juge examinant l'affaire, William Alsup, a indiqué lundi qu'il pourrait demander au jury de décider des dommages de copyright à la fin de cette première phase. [[page]]Parce que les éventuels dommages dépendront en partie de la nature de l'infraction : la violation de copyright par Google a-t-elle été volontaire ou non ? Le juge a déclaré que les e-mails d'Andy Rubin pourraient être la preuve d'une infraction volontaire. Il pense donc qu'il pourrait être préférable, pour les jurés, de décider des dommages pendant que les e-mails restent encore fraîchement présents dans leur mémoire. Le juge n'a pas tranché là -dessus lundi mais il a demandé aux avocats des deux parties d'y réfléchir.
Les API en question peuvent-elles être protégées ?
Une question plus importante dans ce procès est de savoir si la majorité du code que Google est accusé d'avoir copié peut être vraiment protégé par copyright. C'est un point sur lequel le juge se prononcera lui-même, en se basant sur les preuves et sur son interprétation de la loi.
La plainte en violation de copyright la plus importante porte sur 37 API Java, c'est-à -dire des interfaces de programmation, que Google est accusé d'avoir copiées pour les utiliser dans Android. Google avance que les API constituent une nécessité fondamentale pour utiliser le langage de programmation Java et que, parce que le langage est libre et que tout un chacun peut l'utiliser sans licence, les API n'ont pas non plus besoin de licences. Par ailleurs, Google qualifie les API de simples « noms » ou « courtes phrases » dont les programmeurs se servent pour invoquer les autres parties de la plateforme.
Oracle n'est pas d'accord. Il estime pour sa part que les « structure, séquence et organisation » des API ont exigé des ingénieurs de Sun des années de développement et qu'elles sont par conséquent soumises à copyright. John Mitchell, l'expert qu'il a sollicité, l'a confirmé ce lundi. « La conception d'API constitue vraiment un processus de création », a-t-il témoigné. Il a ajouté que les API Android dont il était question dans le procès était en gros identiques à celles qu'avait créées Sun. « Je ne pense pas qu'il y ait un moyen pour qu'une équipe distincte ait pu parvenir à réaliser autant de choses identiques sauf à copier les API originales », a déclaré John Mitchell au tribunal.
Contre-interrogatoire de Google
Lors du contre-interrogatoire, toutefois, l'avocat de Google a obtenu de l'expert qu'il confirme que certaines des API Java dont il était ici question, telle que java.io, constituaient une exigence pour les fonctions les plus élémentaires dans un programme Java, par exemple pour se connecter à un autre ordinateur.
L'avocat de Google lui a aussi demandé de reconnaître que quelques-unes des API étaient décrites dans le livre « The Java Language Specification », suggérant ainsi qu'elles faisaient partie du langage et ne constituaient pas quelque chose qui nécessitait d'être licencié séparément.