A la suite du succès obtenu avec son baladeur iPod, Apple avait envisagé de développer une voiture ou un appareil photo. Et début 2011, l'un de ses principaux responsables a recommandé de faire un iPad de 7 pouces. Ce sont les deux informations qui ont été révélées vendredi dernier, par le biais d'un témoignage et de documents, dans le cadre du procès pour violation de brevets qui oppose la société californienne à Samsung (chacun d'entre d'eux accusant l'autre d'avoir enfreint certains de ses brevets). Nos confrères d'IDG News Service ont relaté l'audience qui s'est tenue à la Cour du District nord de Californie.

Apple a fait venir à la barre deux de ses collaborateurs les plus connus : Phil Schiller, vice président senior, responsable marketing produit au niveau mondial, et l'homme qui monte, Scott Forstall, considéré comme un gourou dans le domaine du logiciel, vice-président senior, responsable du système d'exploitation mobile iOS. L'avocat d'Apple a également interrogé Justin Denison, stratège en chef de Samsung Telecommunications America, filiale du Sud-coréen aux Etats-Unis.

Les deux entreprises se défendent contre les accusations d'avoir copié les designs et les fonctionnalités logicielles de leurs produits respectifs. Toutes deux insistent sur le montant des investissements qu'elles ont consentis pour conférer des signes distinctifs à leurs produits et à leur marque. Apple a déboursé près de 1,1 milliard de dollars en publicité pour l'iPhone et l'iPad depuis le lancement du premier iPhone en 2007. Quant à Samsung, il dit avoir investi presque 1 milliard de dollars par an dans les dépenses marketing réalisées sur sa marque.

Un marché pour un iPad de 7 pouces ?

La stratégie de Samsung pour désamorcer les accusations de copie d'Apple consiste en partie à avancer l'argument que ce n'est pas un crime d'être inspiré par le produit d'un concurrent et qu'Apple l'est aussi. C'est avec cette intention que son avocat, Kevin Johnson, a interrogé Scott Forstall au sujet d'un e-mail daté du 24  janvier 2011, qui lui avait été envoyé par Eddy Cue, responsable de l'activité iTunes d'Apple. Dans ce message, ce dernier préconisait de fabriquer une tablette iPad de plus petite taille. Il citait notamment un article dans lequel l'auteur critiquait la taille de l'iPad et, à l'inverse, louait les 7 pouces de la Galaxy Tab de Samsung.

« Je pense qu'il y a un marché pour le 7 pouces et que nous devrions en faire une [tablette de cette taille] », écrivait Eddy Cue dans son e-mail, également adressé à Phil Schiller et Tim Cook, actuel PDG d'Apple, qui était alors directeur général (COO). Il ajoutait qu'il avait exprimé cette suggestion à Steve Jobs, le PDG de la société, à plusieurs reprises depuis Thanksgiving [le 25 novembre 2010] et que celui-ci semblait très réceptif la dernière fois qu'il lui en avait parlé.

Toutefois, les tentatives de Kevin Johnson pour obtenir des détails sur l'iPhone 5 à venir ont été vaines lorsqu'il a voulu interrogé Phil Schiller. L'avocat de Samsung, avançant qu'Apple changeait le design de son smartphone presque tous les ans, a demandé au responsable marketing s'il changerait encore avec l'iPhone 5. Les avocats d'Apple ont fait objection mais la juge, Lucy Koh, a laissé Kevin Johnson poser sa question. Phil Schiller a répondu qu'il préférait ne pas faire de commentaires sur d'éventuels produits à venir.

Apple, au-delà de la fabrication d'ordinateurs : une voiture ?

Les témoignages de Phil Schiller et Scott Forstall ont fourni d'autres aperçus des travaux internes d'Apple. Phil Schiller a notamment dit que le succès de l'iPod avait convaincu Apple qu'elle pouvait devenir plus qu'un fabricant d'ordinateurs.  Une avalanche de propositions surgit alors, portant sur de nouveaux types de produits Apple, incluant une voiture et un appareil photo (Apple en avait déjà vendu un sans succès, le QuickTake, dans les années 1990).

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Paul Schiller a également révélé quelques parcelles de la magie marketing d'Apple qui pourraient surprendre, ou non, des observateurs attentifs du groupe californien. Les semaines qui suivirent le lancement de l'iPhone, le département marketing d'Apple a fait profil bas en raison de l'énorme couverture accordée au produit par les médias. « Nous n'avions pas besoin d'autres actions marketing », a reconnu le responsable. Les campagnes publicitaires d'Apple sont bâties sur une théorie qui transforme le produit en « héros ». C'est le produit lui-même qui doit dominer la publicité, a indiqué Phil Schiller. Il a aussi indiqué que sa société s'efforçait de créer un désir qui attirait les consommateurs vers  l'apparence d'un produit.

Scott Forstall, vice président senior responsable d'iOS, est revenu sur les défis posés par le développement de l'iPhone d'origine. Apple a commencé à travailler sur l'iPad en 2003 comme une alternative à un ordinateur portable moins coûteux à fabriquer qu'il ne voulait pas construire. En 2004, la société a transféré ce travail vers une plateforme de téléphone parce qu'elle a perçu l'opportunité de le transformer en industrie gigantesque. Steve Jobs a demandé à Scott Forstall, qui avait travaillé avec lui depuis NeXT Computer en 1992, de former l'équipe de l'interface utilisateur pour l'iPhone sans embaucher qui que ce soit à l'extérieur d'Apple.

Purple Project : une règle de discrétion à la Fight Club

Scott Forstall devait recruter des personnes sans leur dire pour quel projet ils signaient ni pour qui ils allaient travailler, mais qu'ils devraient y consacrer leurs nuits et leurs week-end pour les quelques années à venir. Le développement de l'iPhone a été baptisé « Purple Project » et s'est tenu dans le cadre d'un espace de travail hautement sécurisé, situé sur le campus d'Apple, à Cupertino (Californie), et baptisé le Purple Building.

« Cela ressemblait beaucoup à un dortoir. Les gens s'y trouvaient à toute heure », a relaté Scott Forstall. A l'entrée, une indication mentionnait « Fight Club » parce que le bâtiment avait calqué ses règles de base sur le film du même nom (réalisé par David Fincher en 1999). La première de celles-ci stipulait de ne jamais parler du Fight Club.

Les responsables d'Apple interrogés lors du procès vendredi dernier ont tous les deux mis l'accent sur les risques que leur groupe prenait en construisant et en lançant l'iPhone et l'iPad. La société espère ainsi dépeindre Samsung comme celui qui s'empare des énormes investissements réalisés par Apple dans les produits. Le groupe de Steve Jobs a décalé la réalisation d'autres produits afin de bâtir l'équipe qui allait développer l'iPhone, sans avoir la garantie que le produit aurait du succès, a rappelé Scott Forstall.

Samsung : se distinguer des concurrents pour s'imposer durablement

Après que Samsung ait demandé au patron d'iOS si Apple avait emprunté des idées à Samsung, les avocats d'Apple lui ont demandé à leur tour s'il avait copié les téléphones du groupe sud-coréen. « Je n'ai jamais demandé à qui que ce soit d'aller copier quoi que ce soit venant de Samsung », a répondu Scott Forstall. « Nous voulions réaliser quelque chose d'important ...  et il n'y avait donc aucune raison de regarder quelque chose qu'ils avaient fait ».

L'avocat d'Apple, Bill Lee, a questionné Justin Denison, stratège en chef de Samsung aux Etats-Unis, sur ce qu'il a appelé des analyses de l'iPhone internes à Samsung. Dans l'une d'elles, il était recommandé de bien différencier les designs pour faire en sorte que [les consommateurs] ne puissent pas avoir le sentiment que les icônes du menu de l'iPhone étaient copiées. Justin Denison a expliqué que la stratégie de Samsung était de remporter un avantage durable sur le marché en utilisant des compétences clés que ses rivaux n'avaient pas. Si Samsung avait copié les produits de ses concurrents, « cela n'aurait pas représenté un avantage durable », a-t-il souligné.

Les avocats respectifs et la juge Koh ont continué à s'opposer à travers un grand nombre d'objections et de motions venant de chacune des parties. Un peu plus tôt, la juge avait ordonné que les sociétés livrent toutes leurs objections au jury, en utilisant le temps qui leur était imparti pour défendre leur dossier. Dans une conférence à l'issue des témoignages de vendredi, elle a dit que, par écrit, elle autoriserait les avocats à soumettre deux objections par témoin.