Contrairement à l'industrie du voyage ou de la restauration, par exemple, le secteur IT a relativement bien résisté aux effets les plus perturbants de la pandémie de Covid-19. Mais cela ne signifie pas pour autant que les affaires ont continué à leur rythme, comme si de rien n'était, ni que les tendances ne se sont pas accélérées ou n'ont pas évolué avec la crise. S’il est trop tôt pour dire quels changements et quelles stratégies IT perdureront dans les usages, il est clair que, selon les secteurs, certaines technologies se sont révélées plus payantes que d’autres et ont connu des hausses ou des baisses dans les usages, et que certaines ont subi des revers du fait des fermetures ou ont été remises en question pour les mois à venir, malgré le retour des employés au bureau.
Voilà un aperçu sur 14 stratégies et technologies qui se sont révélées payantes et perdantes au cours de la crise, et celles qui devront être révisées après la pandémie.
Gagnant : La vidéoconférence et son écosystème
Le grand gagnant est facile à voir : la demande d'outils de vidéoconférence a explosé et les réunions et les cours se sont déplacés en ligne. Mais il n'y a pas que les quelques grandes plates-formes qui profitent de ce mouvement, car l'essor des réunions virtuelles a attiré des projets satellites jusque-là circonscrits à des secteurs de niche. Par exemple, dans sa boutique d'applications, Zoom offre beaucoup d’extensions spécialisées pour des industries comme la finance, l'éducation, les services clients et plus d'une douzaine d'autres catégories. On trouve également des projets logiciels similaires autour de Microsoft Teams et de Google Meet. De plus, la possibilité de voir ses collègues sur un écran d’ordinateur a profité aux fournisseurs de services clouds. La vidéoconférence fait tourner de plus en plus de machines dans le cloud pour répondre à la demande, en hausse ou en baisse, en fonction des horaires de l’école et du bureau. Les machines dotées de GPU puissants se sont aussi avérées particulièrement utiles, car elles sont idéales pour générer des miniatures de flux vidéo à la volée.
Perdant : Les outils de gestion de bureau
Des dizaines de logiciels et de matériels conçus pour simplifier le travail au quotidien dans les bureaux physiques en prennent un coup. Tant qu’un grand nombre de salariés travailleront à domicile, la demande de solutions d'entreprise pour la planification des réunions ou des conférences en présentiel sera réduite. Il en va de même pour les terminaux, comme ces mini tablettes installées à l’entrée des salles de conférence qui servent à annoncer à qui est réservée la salle. Étonnamment, beaucoup de produits utilisent aussi des capteurs de proximité physique pour détecter les puces RFID des badges pour le contrôle d'accès ou pour suivre l’usage de certains matériels comme les photocopieurs. Tous ces outils conçus pour un contexte nécessitant une présence physique ne seront pas une priorité, du moins pas tant que les employés ne reviendront pas en masse au bureau.
Gagnant : Le service de collaboration
Jamais les outils permettant aux gens de collaborer sur des documents ou des présentations n’ont été aussi indispensables. Les réunions en face-à-face, ou les réunions en salle de conférence autour d’une table, n’ont plus cours. Toutes ces rencontres se sont déplacées en ligne, de sorte que la demande de tableaux blancs en ligne et d'outils de collaboration qui facilitent le travail à distance a considérablement augmenté. Désormais, le télétravail séduit un grand nombre d’entreprises, et beaucoup d’entre elles reconsidèrent leurs stratégies à ce sujet, même après un retour de leurs employés au bureau. On peut penser que la demande d’outils de collaboration restera stable pendant un certain temps. Et dans ce domaine, comme dans celui de la vidéoconférence, d’autres secteurs complémentaires pourraient également bénéficier de cette hausse. Zoho, Salesforce, Google, Microsoft et presque tous les autres outils de collaboration en ligne encouragent et soutiennent un marché d’extensions développées par des tiers qui enrichissent les fonctionnalités de leurs plateformes.
Perdant : Les apps face-to-face
Tout le secteur des logiciels vidéo ne profite pas de ce contexte. La demande de salles de conférence équipées de systèmes de vidéoconférence est en baisse. Les entreprises spécialisées les plus actives dans ce domaine peuvent s'orienter vers un marché intérieur pour proposer des aménagements particuliers, comme un éclairage tamisé et des microphones de haute qualité pour les bureaux. Des centaines de projets tournent autour du travail en face-à-face. C’est le cas des applications propriétaires qui permettent aux participants de savoir dans quelle salle a lieu telle ou telle réunion et son thème. Ou encore des imprimantes grand format qui sortent des documents de grande taille que les organisateurs ou les participants pourront ensuite afficher aux murs des salles de réunion ou étaler sur des tables. Les boutiques de développement et de conception construits autour de ces écosystèmes risquent d’accuser le coup longtemps après la pandémie.
Gagnant : Le BYOD
Quand les fermetures d’entreprises ont été annoncées, les services IT n’ont pas eu beaucoup de temps pour mettre en place le travail distanciel pour leurs salariés. C’est dans les entreprises qui avaient adopté des architectures légères ou celles qui ont encouragé ou même obligé leurs salariés à utiliser leur propre matériel au bureau, que la transition a été la plus indolore. Cette philosophie s'est surtout imposée dans de nouvelles entreprises et des start-ups plus petites et plus agiles qui ne voulaient pas investir du temps ou des ressources pour maintenir un parc de machines d’entreprise. Elles ont mis en place des services de données d'entreprise ouverts sur Internet pour permettre à tout le monde de se connecter à partir de n'importe quel navigateur. Certes, ce choix a accru certains dangers et facilité certaines attaques, mais il a également forcé les développeurs à trouver des solutions pour protéger leurs systèmes contre ces menaces au lieu de compter sur les pare-feu et l'accès physique pour tenir à distance les acteurs malveillants.
Perdant : Le matériel d'entreprise
Les entreprises ne vont pas cesser d’acheter du matériel, et de nombreuses entreprises doivent continuer à fournir des ordinateurs portables à leurs salariés pour qu’ils puissent travailler à distance. Mais les grosses machines desktop et les énormes écrans sont beaucoup moins utiles si les employés doivent travailler à distance et il est probable que cette stratégie d’achat sera remise en cause après le retour des salariés au bureau. Cependant, selon certains, les entreprises voudront toujours être propriétaires des machines que les employés utilisent, juste pour simplifier les choses. Leurs développeurs n’auront pas envie d’adapter leurs apps pour prendre en charge les vieux navigateurs installés sur le vieux portable poussiéreux sorti du placard ! Et le service de comptabilité n’aura pas très envie de partager ses données avec des machines que toute la famille peut utiliser. Le recours à des réseaux privés virtuels (VPN), l’installation de pare-feu et des dépenses supplémentaires pour du matériel dédié coûteront moins cher à l’entreprise que la prise en charge de PC infectés par des virus qui n'ont pas été mis à jour depuis des lustres. Et pour aggraver les choses, de moins en moins de foyers possèdent un PC. Le marché des PC domestiques est en chute, parce que les téléphones et tablettes suffisent aujourd’hui à la plupart des usages de base.
Gagnant : Le contrôle des médias sociaux
L’époque d'un internet où la liberté d'expression était la règle et où personne ne savait si l’on était humain ou pas est révolue. Les entreprises IT essayent de plus en plus d’exercer un contrôle sur la forme et le contenu des informations diffusées en ligne. Alors que par le passé, elles s'y essayaient subtilement en pratiquant le bannissement furtif et en imposant certaines règles sur les commentaires, elles suppriment désormais activement les mots, les applications et les podcasts non approuvés, entre autres choses. L'idée d'un salon virtuel merveilleux où toute l'humanité partagerait gentiment de belles paroles dans un formidable esprit de liberté semble loin.
Perdant : La vie privée
L’idée d’une sphère de vie privée à protéger disparaît aussi rapidement. L'État de Washington voulait que les restaurants ayant décidé d’ouvrir collectent les noms et adresses de leurs clients. Les grands opérateurs de téléphonie développent des outils qui permettent de savoir avec quelles personnes un individu a pu être en contact pendant sa journée, au cas où l’une d’elles contracterait la maladie. L’idéal de vie privée a toujours été flexible, oscillant entre un monde dominé par une autorité de contrôle centralisée et un espace plus ou moins opaque qui laissait aux mauvais acteurs toute liberté de cacher leurs traces. Mais la pandémie a changé la nature des enjeux et en peu de temps, elle a déplacé cet équilibre au détriment de l'individu.
Gagnant : Les services de VoD
Certaines plateformes comme Disney Plus ou Hulu sont parfaites pour divertir une population confinée à la maison. D'autres plateformes, comme les journaux et les livres, sont parfaites pour les lecteurs. De façon générale, les services d'abonnement offrant un accès illimité à l'un de ces services se sont bien comportés pendant le confinement. Si vous êtes dans un secteur où de nouvelles applications ou de nouveaux services peuvent profiter de la présence des clients à domicile, alors il est grand temps d'explorer ce créneau. En outre, les acteurs de niche dans ces domaines devraient aussi prospérer. Suite à l'arrêt de la production cinématographique et du fait que les gens consomment plus de vidéos que jamais, les services d'abonnement sont avides de tout contenu intéressant. Savoir convertir du MPEG-4 pour le cloud peut devenir un atout ! Les vieux films, les vieilles émissions et peut-être même les vieilles publicités ont tous besoin d'être convertis. Netflix et Disney ne sont donc pas les seuls gagnant. C’est aussi le cas de dizaines d'entreprises qui contribuent à cet écosystème.
Les perdants : Les logiciels de rencontre et de voyage
Les offres de logiciels spécialisés dans la mise en relation physique des personnes souffrent de la pandémie. Par exemple, les entreprises qui développent des logiciels pour l'éclairage ou la sonorisation des salles de cinéma ne vendront pas beaucoup de nouveaux logiciels tant que les théâtres seront endettés. C’est aussi le cas de l’affichage publicitaire censé attirer l'attention des passants. Il existe également tout un écosystème d'outils exploitant les capacités des puces RFID, comme les parcs à thème et autres espaces de divertissement, qui ne fonctionnent que quand la puce est physiquement proche. Tous ces secteurs, comme de nombreuses autres niches similaires, devront attendre avant que les gens puissent se réunir de manière plus normale, et que les entreprises qui achètent ces dispositifs puissent investir. Notre confrère raconte qu’un jour, il avait proposé de développer un tableau de bord comptable pour les entreprises gérant un portefeuille d'hôtels. « Quelqu'un a fait une offre inférieure à la mienne. Je ne le regrette pas aujourd’hui ».
Gagnant : Le cloud
La mise à l’échelle du cloud pour absorber la demande de vidéoconférences et de logiciels de collaboration prouve le bien-fondé de ce réservoir élastique de ressources informatiques. Si quelques entreprises du cloud ont prévenu que certaines de leurs instances ne seraient pas immédiatement disponibles et que certains tarifs « au comptant » seraient un peu plus élevés, dans la plupart des cas, ces prix sont restés bien inférieurs aux coûts « à la demande ». Le cloud a largement assuré la livraison des ressources au moment où le monde en avait le plus besoin, et dans le sillage de la crise, les entreprises accélèrent leur adoption.
Perdant : Les infrastructures sur site
Conserver des machines sur site a encore du sens. Le coût d’une informatique locale est souvent beaucoup moins élevé, et l'idée de pouvoir aller dans la salle des serveurs a quelque chose de rassurant. Mais quand les employés se trouvent à l'extérieur du campus, la différence entre un datacenter dans le cloud et la salle des serveurs de l’entreprise importe peu. Le mieux que l’entreprise puisse faire est d’envoyer un « ping » aux deux environnements. Mais il y a des fractures plus profondes. Beaucoup d'entreprises installent des petites unités de serveurs dans des salles sans fenêtre perdues dans des immeubles délabrés que les propriétaires ne peuvent louer. Si l’on ajoute à cela certaines mesures incitatives bizarres proposées par certaines villes, comme l'accès à une électricité à prix réduit, il est certain que cacher de vieilles machines dans un coin de ces immeubles ne coûte pas très cher. En hiver, elles aident même à chauffer le bâtiment. Bien sûr, tous ces avantages disparaissent si les entreprises perdent ces concessions sur les bâtiments et réduisent leurs effectifs, en demandant à une grande partie de leurs employés de travailler à domicile.
Gagnant : L’approche agile
Votre équipe disposait d'une salle de conférence avec des murs recouverts de diagrammes de Gantt et des modélisations en cascade pour suivre le développement jusqu’à la date de livraison fixée à 24 mois ? Avez-vous bloqué la salle pour y tenir des réunions hebdomadaires ou même quotidiennes sur l'avancement des travaux ? Ça, c'était hier. Aujourd'hui, le travail se fait à distance. Il sera peut-être encore nécessaire de créer d'énormes tableaux et de viser des dates de livraison à deux ou trois ans. Mais désormais, il faudra réfléchir rapidement et s’adapter en quelques minutes. Aujourd’hui, les modèles préconstruits, inscrits dans le marbre, ne fonctionnent plus.
Perdant : la modélisation et les anciennes données
Aujourd’hui, le monde de la technologie ne parle que d’intelligence artificielle et d’apprentissage machine. Ces outils automatisés permettent de transformer les données du passé en modèles permettant de prédire l'avenir. Du fait de la pandémie, du confinement, des changements drastiques dans les habitudes et les activités, sans parler des retombées économiques qui en découlent, tous ceux qui mettent ces technologies en œuvre sont confrontés à un défi de modélisation des données. Car beaucoup de choses ont changé. Tous les grands datalake et les entrepôts sont remplis de données collectées dont le monde d’avant la pandémie, or ces données ne peuvent pas nous aider à comprendre le monde d’après la pandémie. Nous ne pouvons pas utiliser les données du troisième trimestre 2019 ou 2018 pour prédire le troisième trimestre 2020, car tout est différent. Personne ne sait ce que l'avenir nous réserve, mais il y a de fortes chances pour que les choses ne ressemblent pas beaucoup à ce qu’elles étaient avant.