Un jury composé de huit femmes et de deux hommes a délibéré pendant trois jours avant d’aboutir à un verdict dans l’affaire Oracle contre Google pour l’utilisation de 37 API Java. Dans sa plainte, Oracle réclamait 9 milliards de dollars de dommages-intérêts, si bien que Google et ses avocats peuvent estimer qu’ils ont remporté une grande victoire. Cependant, Oracle devrait faire appel, ce qui signifie que l’affaire risque de traîner encore un certain temps. « Vous avez accompli votre travail », a dit le juge William Alsup au jury après lecture du verdict qui a quelque peu abasourdi les avocats d'Oracle. À l’écoute du verdict, les avocats de Google ont évité de trop manifester leur joie, mais ils souriaient et se sont congratulés quand le jury a été conduit hors de la salle.
Le juge Alsup a souhaité remercier personnellement les jurés dans la salle des jurés. Ils ont réussi à prendre une décision quelques instants avant la fin du délai imparti. Le jury précédent n'était pas parvenu à trouver un accord sur la question de « l’usage raisonnable », et rien ne permettait de dire si le nouveau jury réussirait ou non à trancher cette fameuse question : la copie de 37 API Java par Google, dont des milliers de lignes de code « déclaré », dans son système d'exploitation Android relevait-elle ou non du droit d’auteur ?
Le gratin de la Silicon Valley appelé à la barre
Depuis le 10 mai, date à laquelle le procès a commencé, le jury a vu défiler les plus grosses pointures de la Silicon Valley, comme Éric Schmidt et Larry Page de Google, ou encore le CEO d'Oracle Safra Catz, et l’ancien CEO de Sun Microsystems, Jonathan Schwartz. L’argument défendu par Google devant le jury a été de dire que Sun voulait que tout le monde puisse utiliser Java librement. Selon Google, c’est pour cette raison que dans un premier temps, l’éditeur a livré le langage Java en open source. À l’appui de cet argument, les avocats da la firme de Mountain View ont cité un article de blog signé par Jonathan Schwartz, dans lequel il félicite Google sur la sortie d'Android, preuve, selon eux, que Sun n'avait rien trouvé à redire sur l’usage de Java dans le système d’exploitation de Google.
Les avocats d'Oracle ont livré une tout autre histoire. De leur point de vue, Google voulait lancer aussi rapidement que possible son système d'exploitation mobile sur le marché. Selon eux, le géant de la recherche n’a pas réussi à passer un accord de licence avec Sun. Mais, il a quand même puisé dans Java. Pour les avocats d’Oracle, l’article de l’ancien CEO de Sun Microsystems ne prouve rien et ne signifie par que Sun considérait la sortie d’Android comme une sorte de victoire. « Google savait qu'il enfreignait les règles, il savait qu'il prenait des raccourcis, et il savait qu’il avait tort », a déclaré au jury Peter Bicks, un des avocats d’Oracle, dans sa plaidoirie finale. Mais les arguments d'Oracle n’ont, semble-t-il, pas convaincu le jury.
Quid des droits d'auteur sur les API
La décision prise par le jury est aussi une petite victoire pour les développeurs de logiciels. Ceux-ci s’inquiétaient de la décision précédente impliquant que les API pouvaient être protégés par le droit d'auteur américain. Beaucoup de développeurs d’API considéraient que, en tant qu’éléments fonctionnels du logiciel indispensables à l’interopérabilité des programmes, les API n’étaient pas couvertes par le droit d’auteur. Cependant, la décision antérieure sur la protection des API n’est pas caduque pour autant, ce qui signifie que les développeurs doivent éviter d'utiliser les API d'un autre éditeur sans autorisation. Mais, le fait que « l’usage raisonnable » défendu par Google a emporté la décision du jury pourrait à l’avenir inciter de gros éditeurs comme Oracle à réfléchir à deux fois avant de porter plainte.
Oracle a accusé Google de violer le droit d'auteur de 37 API Java utilisées dans son système d'exploitation Android. Depuis, Android domine le marché des smartphones, et l’OS mobile rapporte des milliards de dollars de bénéfices à Google. Dans un premier temps, Google avait soutenu que les API comme celles de Java n’étaient pas couvertes par le droit d’auteur. Un juge du tribunal fédéral de district lui avait donné raison, mais une cour d'appel avait annulé sa décision. Google avait demandé à la Cour suprême des États-Unis de réexaminer la question, mais celle-ci s’est déclarée non compétente pour l’affaire. C’est à ce moment-là que les avocats de Google ont exploré la piste de « l’usage raisonnable », qui permet la copie des œuvres de création dans des circonstances limitées, le plus souvent dans des domaines comme la critique, la satire et l’usage pédagogique.
Une manoeuvre astucieuse de Google
Pour décider si l’usage des API Java par Google était « raisonnable », le jury devait examiner quatre aspects : voir si l’usage de Java était « transformatif », ou s’il créait quelque chose de nouveau, différent de l'original protégé par le droit d'auteur, dans le cas présent Java Standard Edition. Ils ont également dû dire si Android avait eu un impact négatif sur les applications Java du marché. Les avocats de Google ont fait valoir que l’échec de Sun sur le marché du smartphone n’était pas imputable à Android, mais résultait de son incapacité à développer un OS mobile digne de ce nom. C’est une affaire civile, ce qui signifie qu’il revenait à Google de prouver par une « prépondérance de preuve » que son utilisation de Java était juste. La tâche est moins ardue que dans un procès criminel, où l’accusé doit fournir des preuves « au-delà de tout doute raisonnable ». Il fallait un jury pour parvenir à une décision unanime. Dans le procès précédent, le jury avait déclaré forfait sur la question de « l’usage raisonnable », ce qui obligeait de rejuger l’affaire bien qu’une majorité de jurés considérait que l’usage de Java par Google était raisonnable.