L’essentiel de la discussion autour de la « durabilité de l'open source » s'est surtout focalisé sur un élément qui ne pose justement aucun problème de durabilité : le logiciel. Comme le fait remarquer à juste titre Tobie Langel, « le code open source n'est pas une ressource rare. En fait, c'est tout le contraire : le code open source est reproductible à l'infini à un coût nul pour l'utilisateur et pour l'écosystème ». La durabilité n'est pas non plus vraiment une question d’argent, même si cet aspect rentre forcément en ligne de compte. Non, la durabilité de l'open source est vraiment un problème de personnes. Ou alors, comme le souligne Tobie Langel, « dans l’open source, la ressource rare, celle qui doit être protégée et entretenue, c’est bien celle des personnes chargées de maintenir le code ».
La communauté est le bien commun
Ces dernières semaines, tous les responsables de projets open source populaires interviewés par notre confrère ont déclaré qu’ils contribuaient parce qu’ils trouvaient ça amusant. Mais ils ont également reconnu que, par certains aspects, le développement open source pouvait manquer résolument d’attrait. Par exemple, quand des utilisateurs exigeants se plaignent de fonctionnalités manquantes ou de bogues alors qu’ils ne contribuent ni au code, ni aux corrections. Beaucoup ont trouvé une solution pour que leur passion leur procure aussi une indépendance financière, mais M. Langel pense que l'argent est essentiel pour que l'open source continue de fonctionner.
Selon lui, c'est précisément cette capacité du code open source à être reproductible à l'infini à un coût nul qui met le système en danger. Sans revenus, il n'y a pas de maintenance, et sans maintenance, le bien commun devient très vite toxique. Pourquoi ? Parce que l'écosystème change à un rythme rapide. À mesure que de nouveaux paradigmes sont inventés, la dépendance à l'égard d'anciens actifs open source devient un handicap qui empêche l’entreprise à s’adapter rapidement aux changements. À mesure que de nouveaux problèmes de sécurité sont découverts, le code open source non mis à jour devient un risque pour la sécurité. En d'autres termes, du fait de la disponibilité d’une grande quantité de code qui ne coûte rien à reproduire, la disparition des personnes chargées de sa maintenance active peut engendrer toutes sortes de problèmes. Comme l’a déclaré Tobie Langel, « en l'absence d'intervention humaine, le bien commun se détériore au lieu de s'épanouir ».
Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles les contributeurs de logiciels libres peuvent avoir du mal à justifier leur contribution à un projet. Les communautés peuvent devenir des puisards toxiques, peu attractifs pour les contributeurs potentiels. Ou elles peuvent être accueillantes pour les nouveaux venus. Comme l'a expliqué Lili Cosic de Red Hat, la communauté Kubernetes a beaucoup investi dans des outils et des politiques qui font de la contribution une expérience positive pour les contributeurs. « Á long terme, l'approche adoptée par Kubernetes favorisera la diversité dans les types de contributeurs par rapport à celle que l’on pourrait attendre », a-t-elle déclaré.
Plus qu’une question d'argent
Au final, il semble que le problème dépasse la question d'argent, même si l'argent joue un rôle. Comme n'importe quel autre individu, les promoteurs doivent pouvoir payer leur loyer à la fin du mois. C'est l'une des raisons pour lesquelles Dries Buytaert, fondateur de Drupal et Acquia, a eu raison de souligner que l'open source était vraiment une question de privilège : peu de gens peuvent se permettre de contribuer pendant leur temps « libre ». Le temps libre n'est pas gratuit. Même les développeurs qui sont payés pour contribuer évaluent constamment différentes options pour savoir comment utiliser leur temps libre. Comme le souligne Aimee Maree, « avec tout l'argent que draine l'open source, on ne devrait pas attendre à ce que le travail ne soit pas rémunéré… Les questions actuelles portent et ont surtout porté sur le maintien des contributeurs et sur ce qui inciterait de nouvelles personnes à rejoindre une communauté particulière alors qu’il s’agit d’un travail de jour ».
Certains développeurs tolèreront de gaspiller leurs ressources dans leur entreprise, jusqu'à ce qu'ils trouvent quelque chose de mieux. Dans le domaine open source, il y a encore moins de raisons de supporter les abus parce que les développeurs ne sont pas des employés, ce sont des contributeurs. Même ceux qui sont payés par leurs employeurs pour contribuer ne contribuent pas nécessairement pour ces employeurs. Pas directement, en tout cas. Comme l'a raconté Lili Cosic à propos de son travail pour la communauté Kubernetes : « Chaque fois que je prends une décision sur les fonctionnalités, je n’y pense jamais du point de vue Red Hat. Je me demande si elle s’inscrit bien dans l’objectif du projet », a-t-elle déclaré. Madelyn Olson, une contributrice de Redis (et employée d'AWS), a dit la même chose : « Je ne suis pas chargée de la maintenance de Redis au nom d'AWS, je maintiens le code en mon nom propre… Notre contribution doit être profitable pour la communauté et pas seulement pour AWS ».
C'est ainsi que fonctionne l'open source : le code est écrit par des individus appartenant à une communauté. Le code lui-même n'est pas rare, mais les personnes qui écrivent ce code le sont. C'est pourquoi Tobie Langel a tout à fait raison d'affirmer que « dans un écosystème aux ressources infinies, l'attention doit porter sur les personnes qui prennent soin et entretiennent cette ressource, car c'est là que se trouve la pierre d’achoppement ». Encore une fois, c'est en partie une question d'argent. Mais il est plus important encore de traiter les gens avec respect et dignité, et de faire que chaque communauté open source soit un espace amusant et accueillant.