L'Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (Icann), « l'organisation de droit privé à but non lucratif chargé d'allouer l'espace des adresses de protocole Internet (IP), d'attribuer les identificateurs de protocole, de gérer le système de noms de domaine de premier niveau pour les codes génériques (gTLD) et les codes nationaux (ccTLD), et d'assurer les fonctions de gestion du système de serveurs racines, » lance son programme pour les nouveaux codes génériques du domaine de premier niveau (Top-Level Domains - TLD). Les demandent doivent être déposées auprès de l'organisme régulateur dans les trois mois, soit au plus tard le 12 avril 2012. Selon les experts, ce programme visant à instaurer de nouveaux gTLD est le plus grand changement intervenu dans le système de nommage de l'Internet depuis 1998, c'est-à-dire au moment de la création de l'Icann lui-même. « C'est un changement important, » déclare Fred Felman, directeur marketing chez MarkMonitor, qui fournit des services de protection de marque en ligne à des entreprises américaines, comme FedEx et DuPont. « C'est probablement le plus grand changement depuis le premier élargissement de l'Internet, passé d'un petit nombre de registres à 23 registres. »

Aujourd'hui, les noms de domaine couvrent 280 domaines, depuis les dénominations génériques telles que .com pour les sites commerciaux, jusqu'aux codes de pays comme .de pour l'Allemagne par exemple. Selon le dernier rapport Brief Domain Name Industry de Verisign publié en décembre 2011, il y a actuellement environ 220 millions de noms de domaine enregistrés dans le monde. Le domaine .com, réservé à l'origine pour les entreprises, continue à dominer : il représente environ 100 millions de tous les noms enregistrés. « Je pense que le nombre de nouveaux domaines va se situer autour de 1 000... Nous parlons donc ici d'une multiplication par 5 du nombre de domaines disponibles, » explique Roland LaPlante, vice-président senior et directeur du marketing chez Afilias, qui gère les registres .info, .org, plus 13 autres registres de noms de domaine. Mais pour lui, «  le plus gros changement va concerner l'ajustement du comportement des consommateurs et la manière dont la confiance dans ces nouveaux TLD va évoluer. »

Des centaines de nouveaux domaines

Le projet de l'Icann d'ajouter des centaines de nouveaux domaines, en chantier depuis six ans, n'a pas suscité que des approbations. À deux reprises, l'Icann a tenté d'étendre l'espace des noms de domaine Internet : une fois en 2000, quand l'organisation a ajouté sept extensions, dont .biz et .info, et une nouvelle fois en 2004, quand elle a ajouté huit extensions plus comme .asie et .emploi... Mais aucune de ces nouvelles extensions de nom de domaine n'a vraiment eu de succès. Si la dernière tentative de l'Icann d'élargir l'espace des noms de domaine réussit, cela pourrait changer fondamentalement la façon dont les noms de domaine sont utilisés.

Parmi les nouvelles catégories de noms de domaine qui devraient être approuvées, on trouve les noms de domaine internationalisés dans des écritures non-occidentales; les noms de domaines localisés géographiquement pour des villes et des régions; les noms de domaine liés à des intérêts spécifiques, ainsi que les noms de domaine liés à des entreprises individuelles et des marques. « L'innovation sera présente dans le nom lui-même et la façon dont il sera utilisé, avec un objectif plus marketing, » explique le vice-président senior d'Afilias. « D'une manière générale, la plupart des demandes seront techniquement évidentes. Mais, il y aura quelques vérifications d'éligibilité intéressantes et utiles à suivre. Cela va aussi donner lieu à de nouveaux services de registres pas encore disponibles aujourd'hui. Mais la plupart des nouveaux registres fonctionneront comme ils le font aujourd'hui. »

Le support des caractères chinois, arabe et cyrillique

Dans le cas des nouveaux codes génériques de premier niveau gTLD, la plus grande innovation sera sans doute l'apparition de noms de domaine internationalisés. On pourra trouver des caractères comme l'arabe, le chinois et le cyrillique dans l'extension de nom de domaine. Cela signifie que les entreprises américaines qui veulent vendre leurs produits à l'étranger pourront acheter pour leurs marques des noms de domaine à 100% dans le caractère de la langue originale du pays, comme le Chinois simplifié. « Les personnes qui ne savent pas lire, écrire et parler dans notre langue veulent avoir la possibilité de naviguer sur le web en utilisant leur langue maternelle, » explique Fred Felman. « Cela va être très utile par exemple pour la population d'utilisateurs chinois toujours plus nombreuse. Mais d'une manière générale, cette innovation est bonne pour l'ensemble de l'Internet. »

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Ainsi, malgré les oppositions, le projet de l'ICANN va de l'avant. Mais les représentants de l'administration américaine et certaines entreprises ont fait part de leurs inquiétudes. Ils craignent que le prix à payer pour enregistrer des noms de domaines dont la fonction est de protéger la propriété des marques n'augmente. Sans compter que, selon eux, cela risque d'engendrer sur le Web une certaine confusion pour les consommateurs. De nombreuses entreprises américaines qui possèdent d'importants portefeuilles de noms de domaine redoutent la mise en oeuvre de ces nouveaux gTLD par l'ICANN. Elles pensent qu'elles vont devoir consacrer plus d'argent pour acheter des noms de domaines pour défendre leur marque, lutter contre le squattage éventuel de leurs noms de domaine, source de litiges et de marchandages, et qu'elles devront faire davantage de publicité pour éviter la confusion chez les consommateurs. « Chaque fois que l'on a introduit de nouveaux gTLD, les marques ont eu des problèmes. Elles ont du lutter contre l'appropriation de leurs noms, assumer des couts supplémentaires en termes d'enregistrements défensifs et résoudre des problèmes avec les cybersquatteurs, » ajoute Fred Felman. « Les mécanismes de protection des droits qui sont proposés pour les nouveaux gTLD ne sont probablement pas proportionnellement suffisants. Alors, elles continuent à être préoccupées par ce système qui est source pour elles de couts supplémentaires. »

Les entreprises américaines disposent de quelques semaines seulement pour faire la demande d'une extension de nom de domaine reprenant l'appellation de leurs marques. Le processus est compliqué : les candidats doivent fournir des business plans détaillés, des données financières et une documentation technique expliquant comment ils comptent gérer leur nouveau registre de nom de domaine. Les frais d'inscription s'élèvent à 185 000 dollars. Quelques sociétés américaines pionnières, comme le cabinet d'experts-comptables Deloitte Touche et le géant de  l'informatique IBM, ont fait savoir qu'elles demanderaient un TLD pour leurs entreprises.

Beaucoup de demandes en préparation

Mais les experts pensent que de nombreuses entreprises, qui font du commerce en ligne, préparent discrètement leurs candidatures pour bénéficier des nouveaux gTLD. « Beaucoup de grandes entreprises nous ont appelés pour protester sur la mise en oeuvre de ce programme, mais elles travaillent quand même à couvrir leurs arrières. Elles seront prêtes à postuler dans le délai imparti, » a déclaré Roland LaPlante. « On voit des entreprises de distribution... mais il y a aussi des banques et des sociétés de services financiers. N'importe quelle grande marque susceptible d'être copiée sur le Web se penche aussi sur le sujet. »

Selon le vice-président senior d'Afilias, les entreprises peuvent trouver deux avantages à exploiter leur propre registre de nom de domaine. D'abord, le fait de contrôler l'utilisation du domaine leur permet de mieux se protéger en matière de sécurité et elles peuvent ajouter de nouvelles fonctionnalités comme des extensions de sécurité DNS, qui empêchent l'usurpation de leur site web. Ensuite, elles peuvent mieux sensibiliser les consommateurs sur leurs marques en valorisant leur présence en ligne autour de leurs propres noms, plutôt qu'avec une extension générique de type .com. « La plupart des consommateurs connaissent déjà bien les grandes marques. Par exemple, ils achèteront plus facilement une Rolex en ligne si la boutique affiche un nom de domaine .rolex, qu'ils ne le feraient sur une boutique avec un nom en .com, » a expliqué Roland LaPlante. L'ICANN devrait rendre ses premières décisions pour les nouveaux gTLD d'ici la fin de l'année 2012, et les nouvelles extensions seront opérationnelles sur Internet en 2013.