Tâtonner avant de trouver la lumière. L'image s'applique parfaitement au programme Industrie 4.0 de Nexans. Car le spécialiste du câble, qui emploie 28 000 personnes dans le monde, a, comme beaucoup d'autres industriels, testé pas mal de choses depuis 5 à 6 ans sur ce terrain. « Sans grand résultat, reconnaît sans ambages Lionel Fomperie, le directeur de la stratégie industrielle du groupe. Nous menions des tests, lancions des études, mais sans vision globale. » Le déclic viendra d'une rencontre avec Schneider Electric. « Ils avaient un programme de digitalisation déployé sur quelque 180 sites. Nous parlions enfin à de vrais industriels et ce qu'ils avaient déployé correspondait à nos besoins. »
Signé à l'automne 2021, le partenariat entre les deux industriels débouche sur une phase d'échange et de construction du programme de transformation de Nexans. Un programme dont le déploiement a débuté à la mi-2022, sur deux usines pilotes, la première en Suède, la seconde à Autun (Saône-et-Loire). L'objectif central : l'optimisation de la performance industrielle, couplée à une amélioration de la sécurité et des conditions de travail des opérateurs ou encore à une mise à niveau de la cybersécurité des sites industriels.
Une opportunité pour la DSI
Car, pour la DSI, le programme Industrie 4.0 représente une opportunité : celle d'accrocher des investissements de mise à niveau des infrastructures à un projet porté par le métier. « Partout dans les usines, on trouve des systèmes legacy, animés par de vieux OS. Sans oublier du Shadow IT, explique Thomas Wagner, directeur de la performance des systèmes d'information chez Nexans. Le programme Industrie 4.0 constitue une opportunité de remettre à niveau certains actifs. » En embarquant la question de la cybersécurité ou du réseau. « Pour déployer le programme, une mise à jour des réseaux s'avère indispensable, en assurant tant une couverture totale des espaces de travail en WiFi qu'une segmentation entre réseau IT et OT. » Au total, la DSI a défini sept prérequis technologiques, nécessaires au déploiement d'un cas d'usage ou d'un autre.
Thomas Wagner, directeur de la performance des systèmes d'information chez Nexans. (crédit : Nexans)
Ce socle technique doit, en effet, servir au déploiement de différents scénarios métiers. « Le programme vise aussi à redéfinir des standards industriels, sur lesquels nous allons réaligner toutes nos équipes. C'est aussi un des intérêts de ce type d'initiatives », explique Lionel Fomperie. Parmi ceux-ci, le déploiement d'un 'MES light' centré sur la performance, et celui d'un cockpit de données permettant de visualiser en temps réel les paramètres essentiels des machines. De premières exploitations de données qui passent par le raccordement des machines de production, remettant en pleine lumière le métier d'automaticien.
Maintenance prédictive : « des résultats encourageants »
« Ce métier restait mal connu au sein de la DSI, observe Thomas Wagner. Nous sommes en train de travailler à un plan pour enrichir les compétences IT avec des profils de ce type. » Si, pour l'heure, Nexans ne dispose que d'un ingénieur spécialisé sur ces sujets par zone géographique, l'objectif est de doter chaque site de production d'un ou deux profils de ce type, qui joueront alors le rôle de « facilitateurs » dans le déploiement du programme de transformation. Un rôle clef car, au-delà des premiers scénarios d'exposition de la donnée, Nexans entend aller plus loin, en déployant notamment de la maintenance prédictive. « Ces applications sont aujourd'hui en tests autour de deux processus clefs, dans nos usines en Suède et à Autun. Les premiers résultats sont encourageants », détaille Lionel Fomperie.
Maxime Debay, le directeur de l'usine d'Autun. (crédit : Nexans)
Au coeur de la construction du 'core model' Industrie 4.0 du groupe, le directeur de l'usine d'Autun, Maxime Debay, détaille cette expérimentation de la maintenance prédictive, sur la ligne d'extrusion. « Notre rôle est de trouver des conditions satisfaisantes de déploiement de cette application pour le groupe, dit-il. Nous avons choisi de passer par une phase de maintenance conditionnelle, reposant sur des seuils d'alerte, qui nous apparaît comme une marche indispensable avant d'aller vers le prédictif. Elle nous permet de mieux comprendre le fonctionnement normal des machines et de construire nos modèles. » Deux machines en particulier, représentant environ 80% des pannes constatées, sont visées par cette application qui entend réduire les durées d'intervention de maintenance.
Au coeur de l'investissement de 40 M€ à Autun
Le programme de digitalisation d'Autun, qui est une des composantes clefs justifiant l'investissement de 40 M€ que vient de recevoir l'usine, permet aussi de mettre en application un des volets essentiels de cette transformation : le volet RH. Avec l'appui des équipes groupe, l'usine de Saône-et-Loire déploie un programme d'accompagnement du personnel, via notamment des formations mises en oeuvre en partenariat avec Schneider Electric. Pour Maxime Debay, le choix des solutions s'avère également primordial dans l'adhésion des équipes. « Sur la première étape de notre programme, orientée vers le déploiement de tableaux de bord et l'animation des équipes autour de la donnée, l'appropriation des outils par le personnel et les chefs d'équipe n'a pris que quelques semaines. Aujourd'hui, 100% des services utilisent ces tableaux de bord pour animer leurs routines. » Avec de vrais gains : le responsable de la maintenance sur le site estime ainsi avoir gagné une à deux heures par jour avec cet outillage. « Tout simplement parce qu'il n'a plus à mettre en forme la donnée », ajoute le directeur de l'usine.
L'animation d'une réunion de routine au sein de l'usine d'Autun. Les données sont au coeur des discussions. (crédit : Nexans)
La solution amène aussi de nouvelles capacités aux équipes, en matière de détection des facteurs d'inefficacité ou de résolution des problèmes. « Et c'est accessible à tous », relève Maxime Debay, qui, pour sa part, trouve dans cette solution un moyen de gagner en visibilité sur l'autonomie des différentes équipes travaillant sur le site.
Vers de nouveaux services
Au-delà de cette exploitation de la donnée, l'investissement dans l'usine d'Autun vise également à moderniser l'activité autour de nouveaux produits et services. « L'implantation de nouvelles machines pour produire de nouvelles solutions est l'occasion de rebalayer nos flux. L'objectif que nous nous sommes fixés avec la direction industrielle ? Aller vers le zéro manutention avec des chariots, via la robotisation et l'automatisation des flux », résume Maxime Debay. Cette analyse des flux doit déboucher sur une amélioration des temps de cycle, mais aussi sur de nouveaux services pour des clients Platinum. « Nous sommes en train de construire des offres de services proposant davantage de réactivité sur les réapprovisionnements », précise ainsi le directeur de l'usine d'Autun.
Les terminaux mobiles visent à remplacer le papier. (crédit : Nexans)
Mais, dans un groupe qui compte 45 sites industriels, transformer une ou deux usines en vitrines technologiques n'est évidemment pas une fin en soi. La réussite du programme passera par sa généralisation. Donc, in fine, par la capacité de Nexans à standardiser les solutions déployées. « C'est un point clef, abonde Thomas Wagner. Sinon, on laisse se déployer des solutions locales qui vont générer d'énormes complexités côté IT ». Un sujet bien connu dans tous les groupes industriels, Nexans y compris : Thomas Wagner estime que, sur le legacy, le rapport entre les solutions standardisées et les solutions locales va de un à dix ! « Nous allons justement nous servir de ce programme pour réaligner tous nos sites », assure Lionel Fomperie, qui, avec l'équipe centralisée en charge de cette transformation, s'est donné deux ans et demi pour amener tous les sites du groupe sur un premier palier commun. Les déploiements ont d'ores et déjà débuté dans les usines du groupe au Maroc, aux Etats-Unis et en Turquie et vont prochainement s'étendre aux autres sites de l'Hexagone.