Selon Andrew Ng, qui dirige la stratégie globale de l'IA chez le géant de la recherche chinois Baidu, « les entreprises auront tellement besoin de l'intelligence artificielle (IA) pour accroître leurs revenus que celles-ci devraient embaucher un directeur de l'intelligence artificielle pour conduire ces initiatives ». Pas si vite, lui a répondu Neil Jacobstein, président de l'intelligence artificielle et de la robotique à l'Université Singularity, lequel n'est pas très favorable à la concentration par les entreprises des compétences en IA. Les deux se sont affrontés sur le sujet la semaine dernière (27-28 février) à San Francisco pendant une table ronde organisée dans le cadre de la conférence annuelle CIO Network Wall Street Journal.
Bien qu'ils soient en désaccord sur la stratégie organisationnelle de l'IA, Andrew Ng et Neil Jacobstein s’entendent pour dire que la technologie peut radicalement changer la manière dont les entreprises exploitent les énormes quantités de données qu’elles collectent. L’intelligence artificielle englobe plusieurs méthodologies et pratiques, comme apprendre aux ordinateurs à apprendre ou encore prendre des décisions et résoudre des problèmes comme un être humain. Ces dernières décennies, l’intelligence artificielle a fait l’objet de nombreuses attaques. Mais les récentes percées dans la reconnaissance d'image, le traitement du langage naturel, et les algorithmes d’apprentissage ont permis de fortes avancées dans des domaines qui vont des véhicules autonomes aux chatbots capables de commander des pizzas et soumettre des diagnostics médicaux aux médecins.
Centraliser ou décentraliser l'IA, telle est la question
Les progrès en matière d’intelligence artificielle font régulièrement remonter à la surface le risque d’automatisation à outrance et de perte d’emplois. Mais ces mêmes progrès confrontent les entreprises à la question suivant : sont-elles prêtes à exploiter l’IA pour gagner des avantages concurrentiels ? Pour Andrew Ng, les entreprises ne sont pas prêtes à cela, et celui-ci prédit que dans cinq ans, les CEO des 500 plus grandes entreprises cotées sur les bourses américaines, celles qui servent à déterminer l’indice S&P (Standard & Poor’s) 500 - regretterons d’avoir attendu trop longtemps pour mettre en œuvre une stratégie d'IA. C'est la raison pour laquelle le directeur le la stratégie globale de l'IA de Baidu, qui a également écrit une tribune sur le sujet pour la Harvard Business Review, estime que le recrutement d’un directeur de l'IA est essentiel. Selon lui, à ce poste, le responsable peut aider les entreprises à attirer et à recruter les personnes qui auront les compétences qui leur permettront de profiter des avantages de l’apprentissage machine, de l'apprentissage en profondeur et du traitement du langage naturel. « Nous sommes dans cette première phase très compliquée de l'IA où il est difficile de recruter des talents. Centraliser la fonction est la meilleure façon pour de nombreuses entreprises de trouver les compétences nécessaires », a affirmé Andrew Ng.
Au contraire, Neil Jacobstein pense qu’il est peu probable que la centralisation de l'IA soit aussi efficace au point de permettre aux équipes commerciales de mener leurs propres expériences avec le soutien du CEO. L’universitaire pense également que les entreprises peuvent trouver des personnes compétentes en intelligence artificielle auprès d’organisations comme Experfy. Cette start-up, soutenue par Harvard, réunit les meilleurs experts en analyses des données et les entreprises peuvent les mettre en concurrence pour développer des solutions optimales qui répondent à leurs besoins d'affaires. « Choisir une approche distribuée est selon moi la meilleure solution », a déclaré l’universitaire.
Les entreprises Internet ont siphonné les talents
D’un point de vue pratique, une approche distribuée de l’intelligence artificielle se justifie pleinement, car, compte tenu de la pénurie de talents pour travailler et mettre en œuvre ces technologies, les entreprises n’arriveront pas à constituer en interne des équipes d'experts en IA conséquentes. Selon Neil Jacobstein, on peut même reprocher à Baidu et à d’autres grosses entreprises de l’Internet de trop concentrer cette richesse de compétences. Pour assouvir leurs besoins de croissance, Google, Facebook, Baidu et Amazon.com ont fait le plein d’ingénieurs, principalement des professeurs d'université et des chercheurs ayant des compétences dans la reconnaissance d'image, l'informatique conversationnelle et d'autres domaines de l’IA.
En novembre, Google a recruté le directeur du laboratoire d'intelligence artificielle de l'Université de Stanford pour diriger son nouveau département d’intelligence artificielle. Facebook a mis la main sur Yann LeCun de l'Université de New York. Et Alex Smola de Carnegie Mellon University a été capté par Amazon. Andrew Ng, lui-même de Stanford, a rejoint Baidu. Priver les universités des meilleurs enseignants qui pourront former la prochaine génération d'experts en IA va accentuer encore plus la pénurie d’experts existante. L'ironie pour Andrew Ng, qui appartient à une entreprise ayant attiré plus de 1 300 experts en intelligence artificielle, c’est que son idée selon laquelle la nomination d’un directeur de l'IA est la meilleure solution pour répondre à un contexte commercial réel n'a pas été bien reçue par les CIO. « Pour une entreprise moyenne du Fortune 500, ce n'est absolument pas une bonne idée de mettre un « Chief quelque chose » à la tête d'une unité d'AI », a déclaré Khalid Kark, directeur CIO Program de Deloitte, qui a assisté à l'événement.
Selon lui, les secteurs d'activité auraient plus intérêt à trouver comment tirer parti de l’AI pour résoudre les défis commerciaux les plus pressants, qu’à mettre sur pied une organisation distincte en espérant la remplir de compétences. « La valeur réelle de l'IA est de résoudre les problèmes des entreprises et le besoin doit se développer organiquement à partir de là pour en retirer tous les avantages », a encore déclaré Khalid Kark. En supposant qu'une entreprise pourrait même embaucher assez de personnes pour remplir un département dédié à l’IA, cette entité risque également de provoquer un sentiment d’hostilité de la part des autres unités. Khalid Kark a raconté l’échec de l’entreprise de fabrication pour laquelle il avait travaillé : celle-ci a du démantelé l’unité numérique et ses 1200 personnes qu’elle avait mise sur pied. « Chaque fois que nous avons un problème difficile à résoudre, nous ne pouvons pas compter sur un directeur pour le résoudre à notre place », a finalement déclaré le directeur CIO Program de Deloitte. Concluant : « Ce mode d’organisation isole et met des distances ».