Les 2 milliards de dollars de prêts injectés par Microsoft dans Dell sont le signe que l'éditeur de logiciels souhaite influencer la conception de solutions hardware dans un monde post-PC tout en se protégeant contre l'influence croissante des OS  basés sur Linux dans les terminaux mobiles et les serveurs, estiment les analystes. Hier, Michael Dell et la société de capital-investissement Silver Lake ont annoncé qu'ils avaient racheté la société Texane dans le cadre d'une transaction évaluée à 24,4 Md$. L'opération financière inclut le prêt de Microsoft qui a déclaré dans un communiqué qu'il considérait l'accord comme un engagement vers « la réussite sur le long terme de l'écosystème PC tout entier ».

Le rachat  a été  principalement financé en liquidités et capitaux propres par Michael Dell, avec un apport en numéraire de Silver Lake et de la société d'investissement de Michael Dell, MSD Capital. S'y ajoute un prêt de Microsoft de 2 milliards de dollars et le financement de la dette par plusieurs banques d'investissement, Bank of America Merrill Lynch, Barclays, Credit Suisse and RBC Capital Markets.

Influencer la conception du matériel

En tant que troisième fabricant mondial de PC, Dell peut jouer de manière importante sur le succès des  logiciels de Microsoft pour PC et serveurs. Pour les analystes, même si le prêt investi par la firme de Redmond ne représente pas une part importante sur la valeur totale de la transaction, l'éditeur ne dépense pas son argent à la légère et sa participation au rachat pourrait  permettre à ce dernier d'influencer la conception du matériel dans le monde poste-PC, constitué d'ordinateurs portables tactiles, de tablettes et de smartphones.

Il peut également s'agir d'une tentative pour sécuriser le partenariat et empêcher Dell  de  s'intéresser à des OS alternatifs comme Linux, pensent également les analystes. Le Texan, qui  propose des serveurs sous Linux, a dévoilé, fin novembre, son ultrabook XPS 13 tournant sous Ubuntu dans le cadre d'un projet nommé Sputnik. Ces derniers mois, les  principaux fabricants de PC ont également lancé des ordinateurs portables équipés de l'OS Chrome.

Un petit investissement pour Microsoft

« C'est une simple relation de symbiose », a déclaré Anthony Michael Sabino, professeur à l'Université St. John Peter J.. «  Dell constitue une plate-forme pour les solutions de Microsoft », a-t-il ajouté. « Par conséquent, en l'aidant, l'éditeur conserve un client important», L'investissement pourrait permettre à Microsoft de faire en sorte que Dell  ne dérive pas vers des systèmes d'exploitation basés sur Linux comme Chrome ou Android », a pour sa part considéré Al Hilwa, directeur chez IDC. «  Il s'agit d'un petit investissement pour Microsoft mais cela lui permet  de disposer d'une influence stratégique sur les conceptions des équipements et les implémentations logicielles », a-t-il souligné.

Windows 8, qui a été lancé en octobre, a jusqu'ici échoué à faire augmenter les ventes de PC, qui ont baissé de 6,4% au cours du  quatrième trimestre 2012 par rapport à la même période en 2011, selon une étude menée par IDC. Les ventes de PC Dell ont, elles, chuté de 20,8% au cours de cette même période. Quelques modèles de PC tactiles étaient disponibles durant le  quatrième trimestre, et les fabricants de PC n'ont pas communiqué efficacement sur les avantages de Windows 8, qui a été en partie responsable du ralentissement des ventes d'ordinateurs, d'après IDC. Les offres PC de Dell sont principalement basées sur Windows, mais la société a ajouté  Linux à sa gamme de serveurs. La firme a également augmenté sa visibilité dans la communauté Open Source avec des contributions à l'OS cloud OpenStack et des efforts dans Crowbar, un framework  de gestion de systèmes sur des serveurs Linux.[[page]]

Développer une infrastructure haute performance

« Avec ce prêt, Microsoft et Dell peuvent construire une alliance encore plus étroite pour la transformation des datacenters», pense Matt Eastwood, vice-président et directeur général d'IDC Enterprise Platform Group. « Cela inclut les infrastructures convergentes qui alimentent le datacenter virtuel où la gestion des systèmes est d'une importance capitale, comme les  systèmes intégrés qui ciblent des charges de travail spécifiques telles que l'entreposage de données, l'analytique et la collaboration. Ce sont des systèmes qui demandent de plus en plus d'efforts d'ingénierie communs ».

Pour Matt Eastwood, le but de cette alliance pourrait résider dans le fait de développer conjointement une infrastructure de haute performance facile à déployer et à gérer, et qui offre également un retour sur investissement plus rapide. Il a également souligné que l'accent  était davantage mis sur les applications dans le cadre de telles implémentations. Selon d'autres analystes, cette privatisation permettra à Dell de disposer de plus de temps pour élaborer une gamme cohérente de produits d'entreprise, tout en étant libérée de la pression liée à la publication de ses bénéfices trimestriels et à celle des investisseurs. Pendant des années, le Texan a essayé de passer du statut de fournisseur de PC à celui de  vendeur d'informatique professionnelle, mais il a été en proie à des luttes. Les analystes ont convenu que la société continuerait à produire des PC car cela pouvait l'aider à vendre plus de produits d'entreprise.

Dell devrait malgré tout rester engagé dans Linux

« Bien que le prêt de Microsoft ne constitue pas une partie importante de l'accord, il est suffisamment élevé pour assurer l'engagement de Dell aux logiciels de Microsoft et garder son activité PC en vie », a déclaré Charles King, analyste principal chez Pund-IT, ajoutant qu'il pourrait également y avoir davantage d'ordinateurs portables tactiles, de tablettes et même  de smartphones équipés de Windows à l'avenir.

Cependant, une limite imposée par Microsoft sur le développement de produits basés sur Linux ne serait pas nécessairement dans l'intérêt de Dell, selon ce dernier.  En dépit du prêt de Microsoft, Dell devrait rester engagé dans Linux car cet OS demeure important dans son offre  destinée aux professionnels. 

« J'espère que concernant Dell et Microsoft, l'investissement a été réalisé sans conditions », a souligné Charles King. « Microsoft a déjà bouleversé certains fabricants de PC avec sa Surface qui est venue concurrencer le secteur des tablettes et l'investissement dans Dell pourrait irriter les autres fabricants de matériel », considère de son côté Roger Kay, président d'Endpoint Technologies Associates. A l'avenir, Dell doit concilier les exigences de Microsoft avec d'autres investisseurs tels que Silver Lake, a-t-il ajouté. Mais compte tenu de la situation de la dette, Microsoft aura son mot à dire sur  l'avenir de Dell. Cela ne va pas faire frémir les OEM, mais la firme de Redmond doit s'occuper de ses intérêts. »