En début de semaine, pour le troisième trimestre de son exercice 2023, Nvidia a annoncé un chiffre d'affaires record de 18,12 Md$, en hausse de 206% d'une année sur l'autre et une augmentation de 34% par rapport au trimestre précédent. Des résultats en rapport avec l’attractivité significative de l'IA générative. La demande d'applications liées à l'IA, pour lesquelles les unités de traitement graphique (GPU) excellent, ne semble pas près de s'arrêter. Cependant, les analystes s'inquiètent de plus en plus de savoir dans quelle mesure l'aggravation des relations sino-américaines va freiner la demande de puces, la Chine étant un marché important pour les puces, et quelle est la capacité de production disponible pour approvisionner les entreprises en très forte demande de puces.
Nvidia est confronté à une situation incertaine et l’entreprise prévoit un impact négatif à long terme sur ses activités en Chine en raison des restrictions à l'exportation, dont l'ampleur est difficile à apprécier. « Les contrôles à l'exportation auront un effet négatif sur nos activités en Chine. Et nous n'avons pas une bonne visibilité sur l'ampleur de cet impact, même à long terme », a déclaré Colette Kress, directrice financière de Nvidia, lors de la conférence téléphonique sur les résultats. Cette dernière estime que la part de la Chine dans le chiffre d'affaires des datacenters est de 20 à 25 % et selon elle, les prévisions de la firme dans ce domaine devraient diminuer considérablement à mesure que l’on avance dans le quatrième trimestre. « La Chine aura forcément un impact sur les bénéfices futurs et l’on ne peut ignorer cet impact », a déclaré Anshel Sag, analyste principal chez Moor Insights & Strategy. Anshel Sag fait toutefois remarquer que le monde connaît toujours une pénurie de GPU et que « l'écart entre la demande de la Chine et la demande non satisfaite dans le reste du monde sera plus que compensé ».
La part du lion dans les puces d'IA
Selon une note publiée par Srini Pajjuri, analyste chez Raymond James, l'année prochaine, Nvidia devrait détenir environ 85 % du marché des puces d'IA générative grâce à ses puces H100 et H200. Mais le concepteur a besoin d’obtenir des licences d'exportation pour ces puces. En octobre, le Ministère américain du Commerce a introduit de nouvelles règles pour renforcer les contrôles à l'exportation sur l'informatique avancée et la fabrication de semi-conducteurs, ciblant la fusion militaire-civile de la Chine et les stratégies de développement de l'IA. « Nvidia travaille avec certains clients en Chine et au Moyen-Orient pour obtenir des licences du gouvernement américain », a déclaré Colette Kress, ajoutant que Nvidia s'efforçait également d'élargir son portefeuille de puces pour centres de données afin d’offrir des composants conformes.
Les entreprises technologiques continuent de lutter pour maintenir l'accès aux fabs, où les puces sont fabriquées, et cela devient de plus en plus difficile. Pendant la conférence téléphonique sur les résultats, le CEO de Nvidia, Jensen Huang, a réaffirmé aux investisseurs que l'entreprise augmentait « son approvisionnement de manière significative » et que Nvidia disposait de la « chaîne d'approvisionnement la plus importante et la plus performante au monde ». Mais, selon ses propres termes, les chaînes d'approvisionnement sont « compliquées », en particulier pour les puces d'IA de prochaine génération. « La capacité de fabrication représente un autre défi pour Nvidia », a déclaré Anshel Sag de Moor Insights & Strategy. « Nvidia améliorera probablement la situation de l'approvisionnement en augmentant sa capacité l'année prochaine, mais il n’est pas certain qu'elle résoudra complètement les problèmes de capacité l'an prochain ». Selon Anshel Sag, l'utilisation par Nvidia de puces monolithiques - par opposition à l'architecture chiplet d'AMD - pose un problème de gestion efficace de la capacité de production, ce qui a un impact à la fois sur le rendement et le coût par puce. Les matrices monolithiques sont des pièces de silicium uniques et de grande taille contenant l'ensemble des circuits d'une puce, tandis que les chiplets sont des pièces de silicium plus petites et modulaires combinées pour former une puce complète, ce qui offre une plus grande flexibilité et des coûts potentiellement plus bas. « La capacité limitée de Nvidia profite à AMD », a encore déclaré Anshel Sag.
Dépendance à l'égard des partenaires de production
Comme de nombreux concepteurs de puces, Nvidia repose sur ses partenaires pour la fabrication de ses puces, et en particulier sur Taiwan Semiconductor (TSMC), qui fabrique sa dernière puce à 3nm. Actuellement, TSMC s'efforce d'augmenter sa capacité de production pour ce nœud de processus. Elle prévoit notamment de construire de nouvelles usines au Japon. Lors du récent sommet de l'APEC à San Francisco, Morris Chang, fondateur de TSMC, a rencontré le Premier ministre japonais Fumio Kishida pour discuter du renforcement de leur partenariat dans le domaine des semi-conducteurs. Les médias locaux à Taïwan rapportent que TSMC a déjà une forte demande de disponibilité sur son nœud de processus à 3nm, en raison de la demande élevée des grandes entreprises technologiques pour des puces d'IA avancées et de nouveaux iPhone. Selon les analystes financiers, le coût relativement élevé de l'utilisation du nœud devrait stimuler considérablement la croissance du chiffre d'affaires de TSMC.
La révolution de l'IA exerce généralement une pression intense sur les concepteurs et les fabricants de puces pour qu'ils produisent davantage de processeurs afin de répondre à la demande, mais elle a également des effets en aval. Nvidia a récemment annoncé que son nouveau protocole Ethernet prêt pour l'IA, Spectrum-X, était disponible auprès des principaux fabricants de serveurs. Selon Deepika Giri, l'un des principaux analystes d'IDC en Asie, Spectrum-X est essentiel pour « déployer avec succès les charges de travail d'IA générative et les capacités d'infrastructure et de réseau nécessaires pour les prendre en charge ». Il y a également un élément géopolitique. Comme l'a indiqué Colette Kress lors de la conférence téléphonique sur les résultats, les pays construisent des infrastructures d'IA souveraines « pour soutenir la croissance économique et l'innovation industrielle », mais aussi pour ne pas céder cette capacité à des gouvernements étrangers, ce qui stimule la demande de GPU. « Même si les contraintes perdurent, la dynamique du marché devrait être plus intéressante l'année prochaine », a déclaré Anshel Sag. « Cependant, Nvidia et AMD devraient bien se comporter malgré les restrictions imposées par la Chine, car d'autres pays en dehors des États-Unis investissent également dans l'IA et ont besoin de GPU », a ajouté l’analyste principal de Moor Insights & Strategy.