« Les années que j'ai passées chez R2E avant la fusion avec Bull ont été les plus extraordinaires de ma vie », se rappelle Jacky Dubois. Entrée dans la société en 1979, l'ingénieur a suivi l'aventure du Micral, premier micro-ordinateur de tous les temps fabriqué en France en 1973. « François Gernelle, son créateur qui est maintenant un ami, avait déjà eu l'idée de cette technologie en découvrant les processeur Intel 8008 quand il travaillait chez Intertechnique, à la fin des années 60. Mais ses dirigeants restaient sourds à ses sollicitations et ne croyaient pas au projet », raconte Jacky Dubois. Il démissionne alors en 1972 pour rejoindre la société R2E ou il espère pouvoir mettre en œuvre ses idées.
De gauche à droite, Bernard Francina, François Gernelle, Jean-Claude Beckmann et Michel Joubert composaient l'équipe de design de R2E qui avait lancé le Micral C en 1977. (crédit photo : DR)
Il fabrique alors le Micral N en 1973 pour répondre à un appel d'offre de l'INRA et met en place l'architecture que nous retrouvons aujourd'hui dans toutes nos machines. Elle s'articulait à l'époque autour d'un processeur Intel 8008 de 8 bits cadencé à 500 kHz et de cartes mémoires MOS permettant de déployer 2 ko de RAM. « C'était énorme à l'époque pour une engin transportable qui ne coûtait que quelques milliers de francs (8500 F NDLR) », se souvient Jacky Dubois. Ont ensuite suivis bien d'autres machines. « Quand je suis arrivé chez R2E nous en étions au Micral 80-30 qui disposait d'un écran et d'un clavier intégré. C'était une époque formidable. Nous étions une petite entreprise de 200 personnes motivées par la seule volonté d'innovation et étions les leaders européen des micro-ordinateurs », déclare l'ingénieur.
Une innovation de rupture
Il se souvient que chaque annonce de produit, toujours présenté en personne par François Gernelle, était une fête. « Nous étions fier de ce que nous faisions », se rappelle-t-il. Parmi ces produits, il se souvient notamment des CCMC qui faisait partie des premiers ordinateurs portables ou encore des P2, qui s'appuyait sur un processeur Zilog Z80 8 bits, cadencé à 5 MHz épaulé par 64 ko de RAM. « Nous n'avions pas conscience d'avoir révolutionné l'IT pour les 40 années à venir, c'eût été un peu présomptueux. En revanche nous savions tous, y compris François Gernelle, que nous étions sur une innovation de rupture et que nous nous embarquions dans une très belle aventure », déclare Jacky Dubois.
Dans les années 70, Micral était le premier fabricant européen de micro-ordinateurs (crédit photo : DR)
Ensuite, R2E devint Bull Micral en 1983 suite à son intégration au géant français de l'époque. « Cette opération a eu des bons et des mauvais cotés », estime Jacky Dubois. Pour ce qui est des bons côtés, Bull Micral est restée au début une entité à part entière au sein du groupe Bull, conservant une relative indépendance avec des moyens supplémentaires. « Toutefois, nous avions perdu notre dynamique de petite entreprise », regrette Jacky Dubois. Il garde toutefois de très bons souvenirs de cette époque. « J'étais ingénieur en charge de la programmation, c'était un poste très intéressant », tempère-t-il. Voulant garder son indépendance François Gernelle avait toutefois quitté Bull Micral en 1983 pour fonder Forum.
Des choix malheureux
« Il y a ensuite eu des choix stratégiques malheureux qui ont progressivement noyé Bull Micral. La marque a finit par disparaître en 1989 lors de son intégration à Zenith, un autre constructeur racheté par Bull », déplore Jacky Dubois. Mais Micral renaît aujourd'hui dans l'IoT grâce à AJT/Absomod qui l'a choisit pour commercialiser sa gamme de nano-serveurs. « C'est une super initiative », commente Jacky Dubois. Il garde toutefois une grande nostalgie de l'époque R2E. C'est pourquoi il a d'ailleurs accumulé une collection de plus de 150 objets Micral dont de très nombreuses machines encore fonctionnelles et des compatibles comme les claviers, les lecteurs de disquettes ou les écrans du Micral N. Il sera d'ailleurs présent lors de la quatrième étape de l'IT Tour qu'organise Le Monde Informatique le 9 novembre prochain à Reims pour faire redécouvrir certaines pièces dont l'historique Micral N, âgé aujourd'hui de 43 ans.