Selon l'étude publiée le 31 janvier dernier par le cabinet français spécialiste du domaine, Lecko, anciennement Useo, le marché national des solutions de services logiciels (SaaS) de RSE (Réseaux Sociaux d'Entreprise) a franchi en 2011 la barre des 9 millions d'euros, soit un bond de 60% par rapport à l'année précédente. « Le marché hexagonal n'a rien de comparable en volume avec le marché américain, mais ses caractéristiques sont assez proches », analyse Arnaud Rayrolle, PDG de Lecko. Outre-Atlantique, les estimations pour ce marché vont d'un peu moins d'un milliard de dollars dès l'année prochaine pour le cabinet Gartner, à près de 6 milliards de dollars en 2016 selon Forrester.

Et ce sont les grandes entreprises qui mènent la danse. « L'enjeu principal de l'adoption en entreprise de ces technologies issues de l'internet grand public, c'est de développer l'intelligence collective en facilitant les échanges directs entre les collaborateurs, sans intermédiaire », poursuit Arnaud Rayrolle. Et de citer l'exemple du groupe Atos Origin, auquel son PDG, l'ancien ministre Thierry Breton, a fixé il y a quelques mois l'objectif d'éradiquer l'email comme moyen d'échange d'informations à l'intérieur de l'entreprise, afin de réduire les coûts de stockage et le temps perdu à consulter la messagerie. En 2011, l'un des principaux acteurs français du marché RSE, Bluekiwi, explique avoir enregistré dix fois plus d'appels d'offres de grands comptes que l'année précédente.

Les RSE pour suivre le rythme d'évolution des savoirs

Le déclencheur est cependant moins à chercher dans ces motifs économiques que dans l'évolution profonde qu'a connue l'économie du savoir en quelques années. « Les réseaux sociaux grands publics ont fait la démonstration que tout type de contenu numérique peut devenir un objet social réutilisable. Et c'est précisément ce qui intéresse les entreprises pour capturer en temps réel l'intelligence collective en réunissant plus rapidement les bonnes personnes au bon moment autour des bons contenus », analyse Antoine Perdaens, PDG de Knowledge Plaza, autre fournisseur français de RSE.

Cette attente des entreprises n'est pas nouvelle. Elle a commencé avec les Wiki et les forums il y a plus d'une dizaine d'années et s'est poursuivie avec les intranets collaboratifs. Les plateformes de messagerie d'entreprise, et notamment Lotus Notes, se sont également inscrites très tôt dans cette logique. Mais la plupart de ces outils avaient un point commun : la capture de l'information ou des échanges se soldait par une charge de travail supplémentaire pour les collaborateurs de l'entreprise. « Ce qui a changé au fil des années, c'est la vitesse à laquelle évoluent l'état de l'art et la réglementation. Cela concerne toutes les industries, et cela exige d'autres moyens », enchérit Arnaud Rayrolle.

Une multitude d'offres spécifiques

D'une certaine façon, tous les chemins empruntés jusqu'ici pour mieux collaborer ont mené aux réseaux sociaux d'entreprise, tels qu'ils se dessinent aujourd'hui. Mais pour les entreprises, la difficulté vient précisément de cette multitude de chemins et d'offres. La sélection d'offres étudiées par Lecko pour cette étude 2012 ne recense pas moins de 29 solutions, contre deux en 2006. « Chacune de ces offres à sa raison d'être et répond à une attente spécifique des entreprises », confirme Arnaud Rayrolle.

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A côté de fournisseurs qui se définissent plutôt comme généralistes (BlueKiwi), d'autres se veulent plus proches des processus métiers (Jamespot), tandis que d'autres encore revendiquent leurs compétences d'origine dans le domaine de la gestion documentaire (Knowledge Plaza) ou de la création de blogs (Blogspirit).

Une problématique d'urbanisation

Cette diversité des offres fut jusqu'ici un avantage pour les entreprises, ou plus exactement pour les groupes d'utilisateurs ou de projets qui ont pu ainsi expérimenter de nouvelles façons de collaborer indépendamment de la DSI. « Le mode SaaS (software as a service) permet justement cela », explique Alain Garnier, PDG de Jamespot, l'un des « pur player » français les plus prometteurs selon Lecko, et spécialiste des RSE liés à un projet métier. Du point de vue de l'entreprise dans son ensemble, cette profusion virale de solutions RSE « départementales » finit cependant par faire réapparaître un problème aussi vieux que l'évolution technologique des entreprises, celui de l'urbanisation.

Ce serait même, à en croire les plus gros acteurs, la demande principale des grandes entreprises aujourd'hui. « Chez Renault, illustre Jean-Luc Valente, PDG de BlueKiwi, il y avait à l'origine trois solutions de RSE, l'une à l'initiative de la DSI, une autre liée à une plateforme métier, et une troisième choisie dans le cadre d'un projet ». D'où une contradiction : les expérimentations de RSE au sein de l'entreprise ont conduit à multiplier les solutions et à reproduire l'organisation en silos, alors que c'est précisément ce mode d'organisation qu'il s'agit de remettre en cause.

L'interopérabilité, un enjeu majeur

A cela s'ajoute la diversification des modes d'accès aux réseaux sociaux d'entreprise. « La mobilité est une question centrale pour l'évolution des offres. Il s'agit de permettre aux utilisateurs de participer à l'échange où qu'ils se trouvent, au moment et avec l'outil qui leur convient le mieux », poursuit Arnaud Rayrolle. Cette perspective des usages mobiles, également héritée du mode de consommation des réseaux sociaux grand public, est donc un argument de plus en faveur de l'interopérabilité des solutions. On imagine mal un utilisateur affilié à quatre ou cinq réseaux sociaux d'entreprise différents jongler avec autant d'applications sur sa tablette ou son téléphone mobile. Dans ce domaine, les éditeurs grands ou petits sont tous logés à la même enseigne. « L'interopérabilité des solutions n'est pas encore au rendez-vous, regrette Arnaud Rayrolle. Selon lui, cette question sera l'enjeu principal pour les acteurs de ce marché en 2012 ».