Les machines à voter continuent de faire couac
Les machines à voter, plébiscitées par plusieurs municipalités depuis la dernière élection présidentielle, seraient à l'origine d'un nombre anormalement élevé d'erreurs dans le déroulement du processus électoral. Cette assertion, plusieurs fois assénée au cours des précédentes périodes d'élection, est désormais étayée par une étude universitaire, le premier travail scientifique s'intéressant à ce sujet.
Menée par Chantal Enguehard, maître de conférences en informatique et membre du laboratoire d'informatique Nantes-Atlantique, en collaboration avec l'Observatoire du vote, l'étude dresse un constat inquiétant.
Ainsi, sur les 21 081 bureaux de vote examinés, ceux équipés d'ordinateurs de vote présentent des erreurs dans les résultats exprimés cinq fois plus fréquentes que ceux utilisant la traditionnelle urne. Ces anomalies se concrétisent par un nombre de votes différent du nombre d'émargements. En outre, l'écart entre ces deux nombres est plus important dans le cadre d'un processus de vote dématérialisé que dans celui d'un vote « physique ».
Des erreurs dans 30% des bureaux
« Je ne sais pas d'où viennent ces erreurs, indique tout de go Chantal Enguehard. Nous avons exploré plusieurs pistes pour comprendre leur origine : la surcharge des bureaux de vote, l'agitation autour des isoloirs, la déstabilisation des électeurs en raison de la nouveauté du procédé de vote. Mais, scrutin après scrutin, les écarts persistaient, même quand les électeurs avaient déjà éprouvé plusieurs fois le vote avec une machine. » De fait, près de 30% des bureaux équipés d'ordinateurs de vote présentent des erreurs, contre légèrement plus de 5% pour ceux continuant à se reposer sur l'urne.
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En juin dernier, le Conseil constitutionnel semblait prendre la mesure de ces anomalies et encourageait les pouvoirs publics à faire en sorte que « ces défaillances, même minimes, ne contribuent pas à altérer la confiance des citoyens envers la sincérité du vote ». Une sortie inutile, selon Chantal Enguehard : « Pour que le Conseil constitutionnel intervienne réellement, il faudrait qu'il existe un risque de basculement de l'élection ». Or, si les erreurs surviennent plus souvent avec les machines à voter, leur nombre est heureusement insuffisant pour fausser totalement l'issue d'un scrutin.
« Le problème du vote électronique, c'est qu'on demande aux gens d'avoir une confiance aveugle dans quelque chose qu'on ne peut contrôler. »
Mais, sans aller jusqu'à proclamer un perdant vainqueur, les ordinateurs de vote et les erreurs qu'ils induisent contribuent à altérer la sincérité du scrutin. « Il faut que les citoyens aient confiance dans le système électoral, martèle la maître de conférence. La perte de confiance du peuple se règle dans rue, comme on le voit aujourd'hui à Oulan-Bator (les élections législatives contestées ont dégénéré en de violents affrontements). Le problème du vote électronique, c'est qu'on demande aux gens d'avoir une confiance aveugle dans quelque chose qu'on ne peut contrôler. »
En effet, les ordinateurs de vote sont protégés par le secret industriel et ne sont donc pas susceptibles de faire l'objet de contrôles indépendants. De plus, il n'existe à l'heure actuelle aucun moyen de vérifier que le choix réalisé par un électeur dans l'isoloir est conforme au vote enregistré par la machine : la conjonction de l'anonymat et de la dématérialisation proscrit toute traçabilité des résultats et remet donc en question leur sincérité.
Le vote électronique : un marché avant tout
Pour autant, l'étude présentée cette semaine ne sous-entend nullement que des tentatives de fraudes aient été entreprises ni que certains chercheraient à profiter des incertitudes inhérentes au vote électronique. Sauf, évidemment, les fabricants des machines. « Le vote électronique est avant tout un marché dont les acteurs communiquent beaucoup et bien, constate Chantal Enguehard. Ils insistent sur le côté moderne, écolo, propice à la participation, de leur matériel. Et profitent de la naïveté de certaines municipalités, qui reprennent ces arguments à leur compte pour justifier leur décision de s'équiper en ordinateurs de vote. »
Si l'on décrypte ces allégations, peu s'avèrent solides. Par exemple, le taux d'abstention ne faiblit pas avec l'apparition d'ordinateurs de vote. Pire, il aurait même tendance à augmenter, comme dans les cantons suisses utilisant le vote électronique.
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La légèreté de ces arguments pourrait également être l'illustration du caractère dogmatique entourant la décision des communes de doter leurs bureaux de vote d'ordinateurs. La recherche à tout crin de la modernité pourrait ainsi se faire au détriment des principes scientifiques les plus élémentaires, comme ceux permettant de mesurer la sincérité d'un scrutin réalisé de façon dématérialisée. Dès lors, on comprend pourquoi les observateurs stigmatisant les dangers qu'entraînent les machines à voter sont fréquemment taxés de technophobie. Illustration avec le Forum des droits sur Internet qui, dans un rapport de décembre 2007, indiquait que les réclamations formulées étaient « le fait de quelques personnes particulièrement hostiles au vote électronique et en opposition ».
Les technophiles parmi les plus vigilants
Pourtant, les principaux détracteurs de ce mode de consultation électoral sont précisément férus de technologie. Une assertion vérifiée par notre sondage flash, organisé en mai 2007 : une large majorité de nos lecteurs exprimaient leur conviction que les machines à voter constituent un danger pour la sincérité du scrutin. Le rapport du FDI n'émeut ni n'étonne Chantal Enguehard : « Il s'agit un club où l'on discute de choses sur lesquelles on n'a pas de compétence, qu'on ne fait reposer sur aucune étude scientifique, où on distille de l'idéologie ». Rappelons que la présidente du FDI, Isabelle Falque-Pierrotin, est également chargée des questions relatives au vote électronique au sein de la Cnil, qui s'est illustrée par son assourdissant silence sur les dangers induits par le vote dématérialisé.
Au final, l'étude présentée par Chantal Enguehard ne cherche pas à jeter l'opprobre sur les machines à voter mais « à montrer qu'il est nécessaire de conduire un examen plus approfondi, à observer ce qui se passe dans les bureaux de vote et à analyser le fonctionnement des machines ». L'enjeu - la confiance accordée par les citoyens au processus électoral - est crucial pour que perdure la véracité de la phrase d'Abraham Lincoln : « Un bulletin de vote est plus fort qu'une balle de fusil. »