Créer des centres de données économes en énergie et durables est tout à fait logique d’un point de vue financier. Outre l’impact environnemental évident d’une réduction des émissions de carbone, les avantages financiers potentiels incluent des coûts d’exploitation inférieurs, une réduction des besoins en espace et une image de marque positive. Il existe toutefois une autre bonne raison de construire des datacenters plus durables et économes en énergie et en consommation d’eau : des réglementations et des normes émergent partout dans le monde qui exigeront ou recommanderont de telles actions.
Les responsables informatiques et réseaux et leurs équipes contraints par ce cadre réglementaire devront apporter des réponses. L’efficacité énergétique et la durabilité ne sont plus seulement des problèmes réservés aux équipes chargées des installations. Ils constituent une préoccupation pour les équipes informatiques amenées à fournir des métriques, le besoin de reporting deviendra donc plus urgent. Ils devront également sélectionner du matériel plus économe en énergie. « Les responsables informatiques doivent être conscients des réglementations actuelles et futures, car elles peuvent avoir un impact significatif sur leur organisation », explique Brian Lewis, directeur général au sein du cabinet de conseil KPMG. « Les préoccupations environnementales, sociales et de gouvernance [ESG] sont devenues une priorité pour la plupart des entreprises. »
Dans un rapport récent, l'Uptime Institute, un fournisseur de certifications pour les centres de données, prédit que l'accent sur l'efficacité énergétique se déplacera vers l'informatique cette année. « Des datacenters de plus en plus grands se sont multipliés à travers le monde, en réponse à une demande apparemment insatiable de capacité de calcul et de stockage », a déclaré la société dans son rapport sur les prévisions des centres de données pour 2023. « La consommation d’énergie associée est non seulement coûteuse – et génère d’énormes émissions de carbone – mais elle exerce également une pression sur le réseau. »
Maintenir une capacité de refroidissement suffisamment forte apparait essentielle pour éviter que les datacenters français atteignent leurs limites de fonctionnement. (crédit : Casino)
Malgré des progrès majeurs en matière de performance énergétique ces dernières années l’augmentation de la densité des racks et la multiplication des cœurs dans les puces Intel Xeon et AMD Epyc ont créé des défis pour les fournisseurs de solutions de refroidissement comme Schneider Electric ou Vertiv et les exploitants de centres de données. Étant donné que l'infrastructure de serveurs et de stockage représente la plus grande proportion de la consommation électrique et de l'empreinte physique d'un centre de données, elle offre le plus grand potentiel de gains d'efficacité énergétique, selon Uptime.
Le cabinet d'études Gartner a également noté que les responsabilités des entreprises en matière de développement durable sont de plus en plus « transférées » aux responsables de l'infrastructure et des opérations afin d'améliorer les performances environnementales de l'IT, en particulier autour des centres de données, y compris la colocation, l'edge et le cloud. « Les avantages environnementaux des centres de données et des services cloud durables sont clairs, mais les avantages financiers qu'ils peuvent apporter sont souvent négligés », précise le Gartner dans son étude « Unlock the Business Benefits of Sustainable IT Infrastructure ». Les responsables des infrastructures et des opérations « doivent faire de la durabilité un élément central de leur stratégie d’infrastructure afin de découvrir de nouvelles opportunités en matière de rentabilité, d’innovation et de résilience », souligne-t-il. Les stratégies de développement durable ont tendance à se concentrer sur l'impact environnemental, explique encore le Gartner, mais ce sujet peut également avoir un impact positif significatif sur des facteurs non environnementaux tels que la marque, l'innovation, la résilience et l'attraction des talents.
Vers une amélioration de l’efficience des datacenters
Les réglementations qui s’imposent un peu partout dans le monde sont les moteurs de la durabilité des centres de données dans les mois à venir. Il existe deux principaux groupes de réglementations qui affectent les opérations des centres de données, selon Jay Dietrich, directeur de recherche sur le développement durable à l'Uptime Institute. L’un d’entre eux est l’information financière calquée sur le Groupe de travail sur les informations financières liées au climat (TCFD), qui exige des rapports sur la consommation et l’efficacité énergétiques ainsi que sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) associées. L'autre est la directive sur l'efficacité énergétique (DEE) de l'Union européenne, qui exige un plan de gestion de l'énergie, un audit énergétique et la communication des données opérationnelles. En outre, il existe des normes volontaires spécifiques dans chaque pays et des exigences en matière d'implantation pour l'efficacité et les opérations des centres de données dans divers pays du monde, explique encore M. Dietrich.
Un exemple actuel de réglementation liée au TCFD est celui de l’UE. La directive sur les rapports de développement durable des entreprises (CSRD) intègre des exigences de reporting étendues des grandes aux petites entreprises à partir de 2025 avec un durcissement progressif jusqu'en 2028. Un autre exemple est la divulgation financière liée au climat au Royaume-Uni, qui sera déployée à partir de 2022 et jusqu’en 2026. « Des agences au Brésil, à Hong Kong, au Japon, en Nouvelle-Zélande, en Suisse et aux États-Unis, entre autres, sont également en train de finaliser des réglementations similaires sur ces sujets », ajoute M. Dietrich. Les informations liées au climat comprennent des exigences de déclaration de la consommation d'énergie au niveau de l'entreprise pour les opérations informatiques sous le contrôle de l'entreprise, des programmes visant à améliorer l'efficacité énergétique et à augmenter le travail fourni par unité d'énergie, et à réduire la quantité d'émissions de GES provenant des opérations internes et des fournisseurs, précise M. Dietrich. « Ces réglementations/directives exigent également que les entreprises évaluent leurs risques et opportunités liés au climat ainsi que leurs implications financières », explique le responsable d’Uptime. Bien qu'ils soient généralement gérés par les services généraux, financiers et juridiques d'une entreprise, les équipes d'exploitation des centres de données doivent gérer le processus d'inventaire pour suivre la consommation d'énergie et les émissions de GES, explique-t-il. « Ils dirigeront également des projets visant à améliorer l'efficacité énergétique opérationnelle et à augmenter la consommation d'énergie sans carbone – les deux moyens clés pour réduire les émissions opérationnelles de GES », explique M. Dietrich.
Les opérateurs de datacenters s'efforcent d'accroître la fiabilité de leurs infrastructures informatiques dans un contexte de débauchage des talents clés et du challenge à respecter les réglementations environnementales. (Crédit Equinix)
L'Europe impose ses règles
L'EED (European Energy Efficiency Directive ) exige que toutes les entreprises dont la consommation d'énergie annuelle moyenne sur trois ans est supérieure à 23 600 mégawattheures (MWh) par an soient tenues à jour d'un système de gestion de l'énergie (EMS) certifié. « Un organisme indépendant doit effectuer l'audit de certification – énergétique », explique M. Dietrich. « L'EED exige une démonstration d'amélioration continue de la performance énergétique, mesurée par le travail fourni par unité d'énergie consommée, et les entreprises doivent rendre compte publiquement des conclusions et des actions correctives identifiées lors de l'audit de certification. » La plupart, sinon la totalité, des entreprises exploitant des centres de données en Europe devront maintenir un EMS, explique le dirigeant d’Uptime. L'EED a également des exigences spécifiques en matière de reporting de données et de mesures pour les installations individuelles des centres de données, explique-t-il.
En plus de ces deux initiatives réglementaires, il existe une variété de normes volontaires pour les centres de données spécifiques aux pays, États et provinces du monde entier. Ceux-ci fournissent des listes de contrôle pour évaluer l'efficacité, impliquant dans certains cas des évaluations détaillées de l'efficacité de l'infrastructure informatique, rajoute M. Dietrich. S’il n'existe pas encore de véritable législation aux États-Unis, on trouve divers rapports sur le sujet et le ministère de l'Énergie américain a établi des normes en matière de consommation d'énergie des serveurs, explique Tony Harvey, directeur principal et analyste des infrastructures et des opérations chez Gartner. « À court terme, il y aura peu de progrès dans ce domaine. Mais au fil du temps, les normes et réglementations américaines seront adoptées », déclare Harvey. « Et il est probable qu’ils utiliseront la réglementation de l’UE comme base. Les gouvernements des États et locaux peuvent également légiférer. Nous voyons déjà les gouvernements des États et locaux tenter d’empêcher la construction de davantage de datacenters dans des zones où l’énergie est limitée.
Comment le SI doit se préparer aux directives d’efficacité énergétique
Compte tenu du contexte réglementaire, il est clair que les responsables informatiques doivent s’impliquer davantage dans les efforts de développement durable. « Les dirigeants doivent comprendre que leurs activités seront probablement réglementées sous une forme ou une autre au cours des douze prochains mois à cinq ans », explique M. Dietrich. « La taille physique et l’intensité énergétique et hydrique des campus hyperscales et de colocation récemment construits ou envisagés ont attiré l’attention du public et du gouvernement. Il existe également une préoccupation fondée selon laquelle l’infrastructure des équipements informatiques pourrait être mieux utilisée, de sorte que les opérations fournissent plus de travail pour chaque MWh d’électricité et litre d’eau consommé. Les responsables informatiques doivent être conscients du climat réglementaire, « car toute entreprise multinationale sera directement impactée par les évolutions au sein de l’UE », explique M. Harvey. « Et il est très probable, voire souhaitable, qu'un ensemble de mesures et de règles communes de collecte de données soit appliqué dans le monde entier afin que vous n'ayez pas besoin d'exécuter plusieurs ensembles d'outils pour la collecte de données. »
Afin de gérer la vague réglementaire à venir, les responsables des centres de données et des technologies de l'information doivent accorder à la performance énergétique (travail par MWh) et à la réduction des émissions de GES une importance égale à la résilience, à la fiabilité et à la performance de leurs opérations, explique M. Dietrich. « Ces cinq attributs opérationnels – deux affectant la performance environnementale et trois qui [répondent] aux exigences opérationnelles des clients – ne s'excluent pas mutuellement et peuvent, en fait, se renforcer mutuellement », indique le directeur de recherche de l'Uptime Institute. Selon ce dernier, l'un des domaines clés que les responsables IT doivent aborder est la nécessité d'accroître l'utilisation de l'infrastructure informatique. Par exemple, si les serveurs prenant en charge les applications maison fonctionnent à environ 50 % d'utilisation et que les tâches par lots approchent 80 %, cela peut réduire les dépenses d'investissement et d'exploitation jusqu'à 50 % et augmenter le travail par MWh par des facteurs de deux à trois, dit-il. En outre, les équipements informatiques doivent fonctionner avec des fonctions de gestion de l'énergie activées, là où les charges de travail peuvent tolérer des temps de réponse plus lents. « Le déploiement de ces fonctions peut réduire la consommation d'énergie moyenne des serveurs de 10 % ou plus », explique M. Dietrich. Une enquête de l'Uptime Institute auprès des opérateurs de centres de données indique que plus de 30 % d'entre eux activent la gestion de l'énergie sur une partie de leur parc de serveurs, ce qui entraîne des réductions d'énergie et de coûts.
La pression continuera de croître pour les entreprises et les opérateurs de datacenters afin d'offrir une plus grande efficacité informatique et des prévisions de disponibilité. (crédit : Sergei Starostin / Pexels)
Une autre bonne pratique consiste à établir des plans tactiques et stratégiques pour augmenter les MWh d’énergie sans carbone consommés au centre de données. « La meilleure façon de réaliser ces plans est de travailler avec des fournisseurs d'énergie de confiance sur des marchés ouverts et des acteurs publics ou monopolistiques sur des marchés réglementés, afin d'augmenter la quantité d'énergie sans carbone fournie à l'installation au fil du temps », explique M. Dietrich. «Il faudra cinq à vingt ans pour qu'ils se concrétisent, en fonction des actifs de production disponibles sur un marché donné, mais ils permettront aux opérateurs de réduire leurs émissions de carbone opérationnelles conformément aux attentes gouvernementales », assure le responsable.
De plus, l’infrastructure du refroidissement central et les équipements informatiques doivent être gérés et optimisés à l’aide de progiciels de contrôle automatisés. « Ces systèmes peuvent améliorer l'efficacité énergétique du système de 20 % ou plus en planifiant le travail des unités de refroidissement centrales, en ajustant la fourniture de refroidissement des espaces informatiques et en gérant le placement des charges de travail sur les systèmes informatiques adaptés », explique M. Dietrich. Cela maximise l'utilisation de ces actifs tout en minimisant leur consommation d'énergie pour exécuter les charges de travail requises, dit-il.
La façon dont les responsables IT resteront informés des réglementations actuelles et futures dépend largement de l’approche de leur entreprise en matière d’exploitation des centres de données, explique Samir Datt, responsable mondial de la stratégie technologique et de l’architecture au sein du cabinet de conseil Protiviti. « Ceux qui comptent sur des tiers pour fournir des services tels que la colocation gérée, les systèmes hébergés ou les services cloud se retrouveront généralement à l'écart de l'impact des réglementations actuelles et probables à court terme », explique-t-il. « Dans ce cas, les impacts seront généralement négociés par le fournisseur de services et traduits en prix et en exigences opérationnelles. » D’un autre côté, ceux qui exploitent de grands centres de données se retrouveront responsables de la communication des données ou de l’amélioration de l’efficacité par divers moyens, notamment une densité de calcul/stockage améliorée ; une gestion thermique/flux d'air améliorée et bien plus encore, dit M. Datt.
A terme, un campus de six datacenters Thésée à Aubergenville (dans les Yvelines) devrait voir le jour pour un investissement global de 100 millions d’euros. (Crédit : Thésée Datacenter)
« Nous avons déjà observé un certain nombre de clients ayant de grandes empreintes avec leurs datacenters dans les zones urbaines au sein de l'UE, qui rencontrent des problèmes d'évolutivité liés aux limitations de la consommation électrique pour des raisons qui incluent des mesures d'efficacité énergétique auto-imposées à l'échelle de l'entreprise, des restrictions des services publics locaux et des limitations législatives », explique M. Datt. « Dans certains cas, cela a conduit à une réduction significative de l'empreinte physique des équipements dans les centres de données de l'entreprise, car les générations successives de matériel améliorent la densité de calcul et de stockage mais consomment de plus grandes quantités d'énergie par appareil », explique M. Datt. « Nous avons observé des réductions de l’empreinte physique allant jusqu’à 50 % dans certains cas. »
Les efforts visant à créer des datacenters plus économes en énergie devraient être une priorité pour les fournisseurs IT. Avec l’introduction de réglementations appelant à la durabilité, le sentiment d’urgence pourrait devenir encore plus grand.