L'efficacité est une préoccupation récurrente pour les responsables informatiques, mais elle fait l'objet d'une attention accrue en 2023, en raison de l'inflation et des menaces de récession. Les dépenses liées aux services cloud, en particulier, font l'objet d'un examen minutieux, à un moment où elles pèsent près de la moitié de nombreux budgets informatiques. « Alors que de plus en plus d'applications et services migrent vers le cloud, la gestion des dépenses liées au cloud est devenue une priorité de premier rang », observe Dilip Venkatachari, vice-président exécutif et CIO et directeur de la technologie de la U.S. Bank (la 5ᵉ plus grande banque des États-Unis). L'institution financière, dont le siège se trouve à Minneapolis, est en train d'accélérer sa transition vers le cloud pour atteindre 70% de son patrimoine applicatif confiés aux fournisseurs de ce type de services, principalement Microsoft Azure, contre moins de la moitié il y a quelques années.
« Nous devons suivre et attribuer les dépenses aux différentes applications au fil du temps. Savoir d'où proviennent les demandes les plus importantes est la première étape pour pouvoir gérer efficacement les coûts », explique Dilip Venkatachari. Pour ce faire, U.S. Bank a adopté la démarche FinOps, une discipline et un ensemble de bonnes pratiques visant à optimiser les dépenses en matière de cloud. « Nous considérons qu'il s'agit d'une approche, d'une pratique visant à être plus stratégique et tactique sur les dépenses critiques associées à l'infrastructure », ajoute le DSI.
Rick Villars, vice-président pour la recherche chez IDC, considère le cloud comme une cible naturelle pour optimiser l'efficacité des coûts informatiques, le cabinet d'études prévoyant qu'en 2024, 50 % des dépenses informatiques seront consacrées à des services cloud. « Lorsque vous vous serrez la ceinture, vous commencez par vous attaquer à votre plus gros poste budgétaire », explique Rick Villars, qui note que de nombreuses entreprises se sont engagées dans le cloud au cours des trois dernières années et qu'au fur et à mesure du renouvellement des contrats, elles ont constaté des augmentations de prix souvent comprises entre 10 à 20 %. « Les entreprises pensent qu'elles dépensent beaucoup trop pour le cloud », tranche l'analyste.
« 2023 est l'année de la recherche d'efficacité », affirme Tracy Woo, analyste principal chez Forrester Research. « Les gens se rendent compte que le cloud n'est plus limité à des expérimentations et que, par ailleurs, ils doivent se préparer à une éventuelle récession. Ils réalisent qu'ils doivent tirer le meilleur parti de ce qu'ils dépensent, et qu'ils doivent être intelligents et stratégiques dans leurs décisions ». Un examen des factures des fournisseurs de cloud pourrait donner l'impression qu'ils profitent de leurs clients, mais ce n'est pas le cas, selon Tracy Woo. « Il n'y a pas d'abus de prix. Le marché est trop concurrentiel pour cela », juge-t-elle. Un avis qui ne fait toutefois pas consensus : récemment, dans nos colonnes, Renaud Brosse, associé au sein de la société de service française Timspirit, liait l'arrêt des baisses de coûts unitaires observées ces dernières années sur les services cloud à la situation d'oligopole qui prévaut sur ce marché.
Très souvent, les entreprises migrent vers le cloud en pensant économiser de l'argent, mais parce qu'elles ne surveillent pas les coûts d'assez près et n'optimisent pas suffisamment leurs applications pour le cloud, elles connaissent des surprises désagréables à la réception des factures des fournisseurs. Les entreprises doivent suivre la facturation à l'heure, à la minute et même à la seconde. « Avec le cloud, la façon dont vous devez suivre les coûts est très différente des méthodes qui prévalaient avec l'informatique sur site », observe Tracy Woo.
Les coûts du cloud dans le collimateur
Comme U.S. Bank, le fournisseur de composants électroniques Avnet est en train de procéder à une migration pluriannuelle vers le cloud qui lui permettra, à terme, d'y transférer toutes ses ressources IT. « Il y a quatre ou cinq ans, lorsque nous avons envisagé pour la première fois de passer au cloud, nous pensions que cette solution serait moins chère. Nous avons vite compris que ce n'était pas le cas », dit Max Chan, CIO d'Avnet. « Une migration en lift & shift ne sera jamais économiquement avantageuse. Il faut changer votre façon de travailler ». Et c'est ce que Max Chan et Avnet ont dû apprendre à faire à la volée.
« Le modèle d'exploitation est différent : sur le cloud, la façon de travailler est complètement nouvelle », reprend Max Chan. « Si vous ne pensez qu'à la puissance de calcul, au stockage et aux capacités, vous allez au-devant de surprises désagréables. Sur ce terrain, nous avons appris de nos erreurs. » Avnet a créé une équipe FinOps qui utilise ServiceNow Cloud Insights pour suivre l'utilisation du cloud au fur et à mesure de sa progression, et celle de l'informatique on-premise à mesure qu'elle diminue. « Il s'agit d'une transition appelée à durer plusieurs années. Lors de la migration, il est impossible de fermer le datacenter de l'entreprise », résume le DSI.
Utilisant principalement Azure, Max Chan commence à utiliser l'outil Azure AIOps, tout en s'appuyant sur Azure Advisor, Azure Cost Management et Azure Monitor, avec des apports provenant d'Azure DevOps et de GitHub. « Ils sont plus qu'heureux de vous aider à optimiser votre utilisation d'Azure. Cela peut sembler contre-intuitif, mais ils veulent que vous soyez efficace et que vous utilisiez les capacités qu'ils proposent », dit le DSI d'Avnet.
Novanta, fabricant d'équipements photoniques et partenaire technologique d'équipementiers médicaux et industriels, a lancé sa stratégie cloud il y a maintenant trois ans. Passant de 2 % d'utilisation du cloud à 55 % désormais, l'entreprise, qui utilise principalement Microsoft Azure, s'intéresse désormais à l'efficacité de ses dépenses cloud et lorgne aussi vers d'autres plates-formes. « Nous envisageons d'autres fournisseurs de cloud à des fins de diversification, de résilience et d'efficacité opérationnelle », explique Sarah Betadam, CIO et CISO de Novanta.
L'entreprise prévoit de conserver 25 % de ses opérations IT dans un datacenter maison, pour lequel Sarah Betadam expérimente l'augmentation des températures aux environ de 18°C afin de réduire les coûts de climatisation. « Les économies d'énergie et l'amélioration de notre soutenabilité sont des objectifs importants pour nous », explique-t-elle, en précisant que Google Research a montré que l'infrastructure IT peut fonctionner en toute sécurité à une température proche de 27°C. Sarah Betadam ajoute que la volonté de réduire les coûts liés au cloud ne résulte pas d'un effort spécifique, propre à 2023, mais qu'elle s'inscrit dans le cadre d'une démarche continue de recherche d'efficacité.
Le « Shift left » et un appel à l'automatisation
Kevin Gray, DSI de la ville de Burbank, en Californie, est confronté à des dynamiques différentes. Alors que Disney, un des principaux employeurs de la région, a annoncé le licenciement de 4 000 personnes, Kevin Gray a dû s'adapter. « Nous n'avons pas été frappés par une récession, mais les entreprises réduisent leurs effectifs. Si les recettes fiscales diminuent, nous risquons de perdre un financement régulier », explique le DSI. « Nous en avons discuté avec le directeur de la ville. Nous essayons d'anticiper cette tempête en améliorant l'efficacité et l'automatisation, pas seulement dans le domaine de l'IT, mais dans l'ensemble de la ville. » À cette fin, la municipalité de 108 000 habitants met en oeuvre un certain nombre d'initiatives de Smart City fondées sur l'Internet des objets (IoT) et l'IA. Citons la gestion intelligente du trafic et un système de transport intelligent.
Bien qu'il ne s'agisse pas d'une initiative FinOps formelle, le DSI dirige la mise en oeuvre de Scaled Agile Framework (SAFe) for Government, un plan directeur décrivant notamment le déploiement des principes Lean et agiles au sein des entités publiques. « Nous sommes très attachés au shift left, à l'idée de déplacer le travail vers les ressources les moins coûteuses possibles », explique Kevin Gray. « Cela inclut le transfert du travail vers les ressources humaines les moins coûteuses et la mise en oeuvre de l'automatisation », ajoute-t-il. En ce qui concerne le cloud, M. Gray se dit volontiers « très méfiant » à l'égard des coûts pratiqués par les fournisseurs et cherche à réduire les dépenses liées aux services AWS et Microsoft Office 365 via le recours à des outils inclus dans ces services. Pour une ville de la taille de Burbank, les outils tiers n'offriraient pas un retour sur investissement suffisant, dit-il.
Gérer le personnel pour plus d'efficacité
La flexibilité de la main-d'oeuvre joue un rôle important dans la maîtrise des coûts au sein de la ville de Burbank. Avec 33 employés à temps plein, la DSI fait appel à des contractuels, des intégrateurs de systèmes et des fournisseurs de services gérés pour combler les lacunes, plutôt que d'embaucher davantage et être confrontée à des licenciements à terme. Burbank a également recours à un service managé pour prendre en charge son ERP Oracle et à un intégrateur de systèmes pour créer son application Mobile 311, un numéro facile à retenir qui relie les citoyens aux services municipaux.
Selon Greg Smith, professeur à l'université de Georgetown et directeur technique d'une entreprise de la région de Washington, l'essor du travail à distance provoqué par la pandémie de COVID-19 offre également des pistes d'économies. « En raison de l'environnement de travail hybride qu'elles ont adopté, les organisations commencent à mettre en oeuvre des changements opérationnels et technologiques qui sont source d'économies », explique Greg Smith.
En effet, le télétravail permet d'aligner les salaires sur les niveaux observés dans des zones moins denses, où une partie des employés pourraient choisir de s'implanter. Le travail à distance permet par ailleurs aux entreprises de réduire les espaces de bureaux coûteux et de vendre les biens immobiliers inutiles. « Un mélange de personnel entièrement à distance, pratiquant le travail hybride et basé dans les bureaux permettra de réaliser des économies considérables sur la masse salariale », estime Greg Smith. Les modèles dynamiques d'accès aux ressources humaines, comme les places de marché de compétences, permettent également de combler les trous dans les équipes sans s'engager sur le recrutement de ressources à temps plein.
Leçons et conseils
Que l'économie soit en expansion ou en contraction, la budgétisation IT exige une gestion habile. « Chaque année est une année d'économie. Nous voulons toujours être de bons gestionnaires de nos budget », note ainsi Dilip Venkatachari, DSI de la U.S. Bank. Quant à Max Chan, ayant appris de première main que le cloud n'est pas la panacée, il conseille à ses pairs de procéder avec prudence : « Ne vous lancez pas dans le cloud et n'accumulez pas les dépenses sans savoir comment réduire les coûts, sinon vous serez coincés avec des coûts élevés pendant longtemps ».
Selon Sarah Betadam, que l'économie soit turbulente ou non, se concentrer sur le retour sur investissement pour tous les projets informatiques, en suivant les économies et les bénéfices engrangés d'une année sur l'autre, s'avère toujours payant par la suite, en particulier lors des demandes de budget. « L'accent placé sur le ROI et l'efficacité opérationnelle devrait faire partie de l'ADN des directions informatiques », estime la CIO de Novanta.