Le rapport sur les TIC et le développement durable remis à Jean-Louis Borloo
Commandé par le gouvernement en avril 2008, le rapport sur les TIC et le développement durable a été remis au ministre de l'écologie. Il établit un impressionnant état des lieux de l'impact négatif et positif des TIC sur l'environnement, et formule un certain nombre de recommandations destinées à améliorer la situation.
Un épais et impressionnant document de 100 pages. Ainsi se présente le rapport sur les technologies de l'information et le développement durable rendu par le CGTI et le CGEDD (*) à Jean-Louis Borloo et Christine Lagarde. Les auteurs constatent en particulier que les TIC consomment de l'électricité et polluent mais qu'elles aident néanmoins le reste de l'industrie à réduire leur impact sur l'environnement. Ils insistent par ailleurs sur la très faible efficacité de la filière de retraitement des déchets électroniques. Mais les cent pages regorgent d'une quantité d'informations bien plus riche et fait déjà plusieurs propositions dans différents domaines.
Le sujet, il faut l'avouer, est dense, complexe, et peu documenté à ce jour. En avril 2008, le ministre de l'Ecologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, et la ministre de l'Economie, de l'industrie et de l'emploi, avaient demandé « une évaluation des impacts écologiques des technologies de l'information et de la communication (TIC), et de leur apport dans la lutte contre le changement climatique. » Les responsables de ce travail ont consulté les acteurs concernés jusqu'au mois d'octobre avant de synthétiser cette matière.
Une consommation électrique de 55 à 60 Tw/h par an en France
Pour commencer, la consommation électrique associée aux TIC a été mesurée entre 55 et 60 Tw/h par an, soit 13,5% de la consommation totale en France. Les postes de travail professionnels compteraient pour 11 Tw/h et les serveurs et datacenters pour 4 Tw/h. Qui plus est, la consommation globale des équipements informatiques a augmenté de 10% chaque année. Et les évolutions technologiques aussi bien pour le grand public que pour l'entreprise ne laissent percer aucun espoir d'un retournement de situation. Et ce, malgré les efforts des industriels pour développer des matériels moins gourmands. « Dans le seul secteur résidentiel, les TIC représentent désormais 30% de l'électricité spécifique (non substituable) des ménages contre 10% en 1995. »
Pour remédier à cette situation, l'étude propose pour commencer de mesurer la consommation énergétique des TIC de façon régulière, d'en surveiller l'évolution, et bien sûr, de fixer des objectifs à atteindre pour le pays. Elle suggère également d'introduire la notion de développement durable dans les missions de l'Arcep (autorité de régulation des télécommunications) et du CSA (conseil supérieur de l'audiovisuel). Un mécanisme incitateur serait aussi souhaitable, selon les auteurs, pour que la recherche de l'efficacité énergétique entre dans la stratégie des opérateurs télécoms. Sans pour autant, cela va sans dire mais le rapport préfère le rappeler, que cela nuise à ces marchés générateurs de croissance. La mission préconise également de promouvoir des labels énergétiques pour les postes de travail et d'inciter les entreprises à une démarche de comptabilité analytique faisant apparaître clairement les TIC dans le bilan développement durable.
En ce qui concerne les datacenters, le rapport regorge de conseils : il faut stimuler la R&D visant à améliorer l'efficacité énergétique ou à récupérer la chaleur, mettre en place des aides ciblées pour ce type de projets innovants, donner un mandat de normalisation au Cenelec (Comité européen de normalisation électrotechnique), réduire les impôts des sociétés qui récupèrent la chaleur ou encore développer l'attractivité de la France pour les grands datacenters.
L'empreinte carbone des TIC en France : 30 Mt de CO2 par an
[[page]]Par ailleurs, au delà de leur seule consommation énergétique, les TIC ont une empreinte carbone qui est loin d'être négligeable, bien qu'elle ne soit mesurée que depuis peu. En France, cette empreinte globale s'élèverait à 30 Mt de CO2 par an, soit 5% du total des émissions de gaz à effets de serre. Le rapport reconnaît néanmoins la difficulté à chiffrer précisément cet impact. L'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie), principale source sur le sujet, annonce une marge d'erreur de l'ordre de 30% ! Le calcul intègre entre autres la consommation d'énergie et le bâtiment. Pour convertir la consommation électrique en émission de CO2, l'agence utilise des tableaux standards.
L'empreinte carbone d'un PC moyen utilisé en France (production, utilisation, déchets) serait de 200 kg de CO2 par an (le double en Grande-Bretagne). Et un serveur afficherait 536 kg. Le rapport signale aussi l'empreinte totale de certains industriels. Au niveau mondial, un employé HP pèse ainsi 8,7 t de CO2 par an contre 6,8 t seulement pour IBM. La production d'un ordinateur fixe à écran plat correspondrait quant à elle à 1 280 kg de gaz à effet de serre. Pour les portables, les auteurs n'ont pu identifier aucune donnée. Sur ces sujets, le rapport propose la mise en place d'un groupe de travail conjoint avec les industriels pour travailler sur la thématique de l'écoconception des matériels, dont l'objectif est d'anticiper l'impact environnemental d'une machine dès sa conception.
L'utilisation des TIC limite les émissions de CO2 des autres industries
[[page]]Par son impact positif sur l'ensemble de l'économie, le secteur des TIC serait à même d'économiser l'équivalent de une à quatre fois ses propres émissions de gaz à effet de serre.
Tout en rappelant combien l'exercice est par nature subjectif, les contributeurs au document se risquent à mesurer un tel impact positif des TIC sur l'économie. Ainsi, selon l'étude mondiale Smart 2020, la dématérialisation entraînerait un gain de 460 Mt de CO2 au niveau mondial et par extrapolation de 20,7 Mt en France. La logistique intelligente éviterait 54 Mt dans l'Hexagone. De son côté, une étude européenne gratifie le télétravail d'un gain de 22,2 Mt dans l'Union. Le rapport préconise d'ailleurs le développement de ce mode de fonctionnement, s'appuyant sur les éléments associés dans le Plan France numérique 2012. L'achat en ligne, la dématérialisation des procédures ou l'optimisation des transports sont aussi au programme.
Une filière des déchets particulièrement peu efficace
[[page]]Dernier constat, la filière DEEE (Déchets d'équipements électriques et électroniques) serait entre deux et quatre fois moins efficace en France que chez ses voisins. Sur un million de tonnes de produits électriques et électroniques mis sur le marché en France en 2007, 157 000 tonnes on été récupérées (les déchets spécifiques aux TIC ne comptent que pour 24 000 tonnes). La directive européenne DEEE préconise pourtant 250 000 t. Par an et par habitant, la France récupère 2,5 kg de ces déchets pour un objectif européen de 4 kg. L'Hexagone est à la traîne derrière l'Allemagne avec 8 kg, le Royaume-Uni avec 10 kg et les Pays scandinaves avec 15 kg. Le rapport stigmatise par ailleurs l'absence totale d'organisation de la collecte de la filière professionnelle. « En attendant, les produits restent stockés chez les détenteurs, sont vendus à des brokers ou disparaissent sans trace visible. » En réalité, le rapport conclut que « c'est le fonctionnement même de l'ensemble du dispositif qui devrait être revu » que les déchets proviennent du grand public ou de l'entreprise.
Le rapport recommande entre autres de réformer la commission d'agrément pour qu'elle soit plus indépendante, de réaliser un audit annuel des éco-organismes et d'interdire aux acteurs de la filière d'être actionnaires de ces derniers. Il estime aussi que le traitement des déchets collectés dans une région administrative doit être effectué au même endroit, évitant ainsi transformer certains pays d'Afrique, par exemple, en dépotoir. Quant aux professionnels, ils seraient libres de choisir la filière de leur choix pour leurs déchets mais devraient en justifier la traçabilité.
Une mine d'informations pour les DSI
L'objectif de ce rapport est d'accompagner des actions gouvernementales en faveur de TIC plus vertes. Mais pour un responsable green IT ou un DSI, le rapport est une véritable mine d'informations. Il contient une imposante quantité de chiffres concernant la mesure des consommations énergétiques et l'empreinte carbone des matériels informatiques (la production d'une rame de papier équivaut à 2,2 kg de CO2 émis). Mais il rappelle aussi les principaux standards, les réglementations ou les dispositifs de réduction de l'empreinte des TIC (Energy Star, DEEE, écoconception, codes de conduite européens, green grid, etc). A noter, que le document évoque l'idée d'une plus grande responsabilisation des DSI dans l'efficacité énergétique des systèmes d'information. La facture d'électricité reste en effet, la plupart du temps, à la charge des services généraux.
Le document a été établi après une année de recherche par Henri Breuil, Daniel Burette et Bernard Flüry-Hérard, ingénieurs généraux des Ponts et chaussées et membres du CGEDD, ainsi que Jean Cueugniet, Ingénieur général des Télécommunications et Denis Vignolles, Contrôleur Général Economique et Financier, membres du CGTI avec la participation d'Hélène Boisson, services de l'Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes
(*) CGTI : Conseil général des technologies de l'information
CGEDD : Conseil général de l'environnement et du développement durable