La cybersécurité est l’un des enjeux de souveraineté posés par le quantique. A l’occasion de l'événement virtuel "France is AI Conference", le 16 novembre, France Digitale et le cabinet de conseil Wavestone ont publié l’étude « Informatique quantique et cybersécurité, garants de l’autonomie technologique européenne ». Dans la course internationale qui s'est engagée, les investissements à réaliser sont lourds et l’Europe se trouve face à deux géants, les Etats-Unis et la Chine, dont les efforts se chiffrent en milliards de dollars. En Europe pour l’instant, aucun plan stratégique n’est encore mis en oeuvre et le manque de coordination entre les pays ne permet pas pour l'instant de rivaliser avec les deux autres puissances, pointe l’étude en introduction. Ses auteurs rappellent pourtant que le continent recèle plus de 80 start-ups quantiques. Il faut un plan quantique européen avec une transdisciplinarité sur les projets incluant la cybersécurité et tous les autres usages, soulignent Nicolas Brien, CEO de France Digitale, et Gérôme Billois, associé Cybersécurité et Digital Trust de Wavestone. « Le quantique peut aussi devenir une opportunité de premier plan pour sécuriser et pacifier le cyberespace, avec la création de réseaux d’échanges théoriquement inviolables », soulignent-ils.
La première partie de l’étude revient sur la menace que le quantique laisse planer sur la sécurité du chiffrement à clé publique, par sa capacité à exécuter des algorithmes (tel l’algorithme de Shor) dans des temps considérablement réduits. Ce qui reviendrait à compromettre tout chiffrement. Cette menace encore lointaine doit être anticipée dès maintenant en migrant suffisamment tôt vers des algorithmes de chiffrement post-quantiques, pointe l’étude. A l’inverse, ajoute-t-elle, certaines technologies quantiques, telles que la QKD (Quantum Key Distribution) ou la QRNG (Quantum Random Number Generation) présentent une opportunité à moyen terme de renforcer la sécurité des communications. Elle en présente les approches théoriques avant de lister les 6 étapes pour atteindre l’Internet quantique.
Forces et faiblesses des pays engagés dans le quantique
Dans cette course technologique, une douzaine de pays avancent leurs pions. L'étude présente un tableau comparatif présente les forces et faiblesses des uns et des autres, accompagné d’une infographie présentant, par pays, des start-ups pure players fournissant « des produits à la croisée de l’informatique quantique et de la cybersécurité ». Pour la France, on y trouve Quantum Computing, Quandela, Pasqal, Alice &Bob, NextGenQ, Quantum Cryptography, VeriQloud, Post-quantum cryptography, CryptoNext Security et Crypto Experts. Les Etats-Unis et la Chine dominent, même si les Chinois restent discrets sur leur travaux. L’Europe a une recherche fondamentale qui n’a rien à leur envier, insistent les auteurs de l'étude mais elle reste fragmentée. En réunissant les forces, il serait possible de faire émerger un écosystème d’entreprises.
En 2018, l’Union européenne a lancé un Quantum Flagship pour financer des projets de recherche internationaux sur ces technologies. Le budget global théorique est de 1 Md€ sur 10 ans. Sur les 20 premiers projets sélectionnés, 7 concernent les communications quantique à travers les réseaux de QKD (financement 40 M€) et 3 seulement sont liés au calcul quantique (environ 10 M€). A noter que les 18% de start-ups européennes qui se concentrent sur le calcul quantique sont presque toutes en France et au Royaume-Uni. Et si l’on dénombre 80 start-ups du quantique à l’échelle du continent européen, elles ne sont plus que 47 si l’on se borne aux frontières de l’UE.
Créer une organisation européenne pour la recherche quantique
En France, le fonds d’investissement Quantonation s’est spécialisé sur le sujet. Il a lancé avec Bpifrance le think tank « Lab Quantique » pour créer des synergies entre les acteurs académiques, l’industrie et les investisseurs. Les auteurs de l’étude regrettent néanmoins le manque d’engagement des grandes groupes et des institutions à l’échelle européenne. Et ils notent aussi l’absence de démarche de standardisation des futures algorithmes de chiffrement résistant aux ordinateurs quantiques avant de passer en revue les initiatives engagées en dehors de l’UE.
En conclusion, l’étude estime nécessaire de créer une organisation européenne pour la recherche quantique afin de coordonner le Quantum Flagship (Qflag), de former les talents du quantique, de financer davantage, de doper l’innovation en achetant européen et d’anticiper les applications du quantique dans la société. Des directions sur lesquelles s’accordent d’autres acteurs du quantique en France ainsi que l’expliquait récemment Maud Vinet, responsable de programme matériel quantique au CEA-Leti.