Le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault a signé une circulaire imposant un Cadre Stratégique Commun du Système d'Information de l'Etat. Cette circulaire, adressée à l'ensemble des ministres, vise à l'établissement d'une gouvernance cohérente à tous les services de l'Etat, quelque soient les ministères de rattachement. Elle comprend en pièce attachée un document de 36 pages réalisé par la DISIC (Direction interministérielle des systèmes d'information et de communication), la « DSI groupe » de l'Etat. Comme toute circulaire, elle a une force contraignante sur tous les services de l'Etat.

La démarche est logique. Elle va dans le sens de la création de cette DISIC puis du SGMAP (Secrétariat général pour la modernisation de l'action publique), la « DOSI groupe » de l'Etat. Mais elle prend cette fois une dimension exécutoire bien au-delà des grandes intentions abstraites avancées diplomatiquement auprès des différentes DSI-bastions de chaque ministère ou établissement public. La DISIC assure ainsi désormais explicitement un rôle de direction et plus seulement d'animation interministérielle. Les référentiels généraux (interopérabilité avec le RGI, sécurité avec le RGS...) voient de même leurs rôles réaffirmés et renforcés.

Urbanisation, mutualisation, pilotage, orientation métier

Si la circulaire insiste sur le meilleur service qui doit être rendu aux usagers, elle place surtout les systèmes d'information au coeur de la modernisation de l'action publique. La refonte des processus métiers est clairement mise en avant : les systèmes d'information ne seront pas refondus seuls.

Sur le plan technique, l'urbanisation des systèmes d'information non seulement au sein de chaque ministère mais aussi entre les ministères est un point essentiel sur lequel le Premier Ministre insiste. De la même façon, la mutualisation progressive des ressources, notamment au niveau des infrastructures, est annoncée. Le but de « dégagement de marges budgétaires » est explicite.

Sont prioritairement concernés les réseaux (d'où la création du SCN dédié), les datacenters et les applications d'usages communs. Dans ce dernier paquet, plusieurs exemples ont déjà été mis en oeuvre comme Chorus (gestion budgétaire interministérielle) ou le Noyau Commun de Paye. Le Premier Ministre insiste également sur un nécessaire pilotage amélioré et coordonné entre ministères des systèmes d'information. Le partage des expériences sera également la norme.

Le vilain canard de la Défense pas explicitement désigné

Aucun ministère n'est pointé du doigt, en bien ou en mal : ce n'est pas l'objet d'une telle circulaire visant à établir des directives. Malgré tout, plusieurs points du document de la DISIC joint à cette circulaire font penser aux deux polémiques frappant actuellement l'informatique du Ministère de la Défense. Ainsi, comme le remarque l'association de promotion du logiciel libre APRIL dans un communiqué, l'optimisation des relations avec les fournisseurs est-elle compatible avec des contrats négociés en catimini par un seul ministère, sans appel d'offres, avec un éditeur américain ?

[[page]]

Le Service des Achats de l'Etat, écarté de la négociation de ce fameux contrat, est placé, dans le document de la DISIC joint à la circulaire, au coeur de la massification des achats et de la standardisation. Et l'amélioration du pilotage des grands projets, avec un pilotage des risques, ne viserait-elle pas notamment le fameux programme Louvois dont les bogues à répétition affectent la solde des troupes ?

Un objectif « raisonnable » à cinq ans

Il est vrai que la situation cible, qualifiée d'« ambitieuse et réaliste », est annoncée à cinq ans. La DISIC veut un système d'information de l'Etat orienté vers la valeur métier, avec une valorisation des données (démarche Open Data) et largement mutualisé non seulement au niveau des infrastructures mais aussi au niveau des projets. La DISIC veut ainsi mettre en place un pilotage économique des projets avec recours à des critères partagés de création de valeur.

De manière plus inédite, l'amélioration de la gestion des ressources humaines des populations d'informaticiens est inscrite dans le document de la DISIC avec, encore une fois, une large dimension interministérielle. Or la GRH de l'Etat est largement contrainte par la logique des « corps » propres, pour la plupart, à chaque ministère. Les difficultés s'annoncent donc importantes.

Des DSI ministérielles coordonnées, pas remplacées

Cependant, la DISIC ne remplacera pas les DSI ministérielles. Son document d'orientation insiste même au contraire sur la nécessité de ces DSI au plus près des directions métiers et avec qui elles doivent travailler de façon permanente. Les DSI ministérielles, immergées parmi les utilisateurs, se voient ainsi confier un rôle pivot dans la création de valeur et la réorganisation de la gouvernance globale des systèmes d'information de l'Etat.

Malgré tout, un « conseil des SIC » coordonnera bien l'ensemble au niveau stratégique. Il rassemble les secrétaires généraux des ministères, des directeurs des principales administrations centrales (fonction publique, budget...), le directeur de l'ANSSI... et le directeur général des SIC du Ministère de la Défense. Ce conseil a son équivalent technique réunissant les DSI ministériels sous la présidence du directeur de la DISIC.

Â