« Le numérique, c'est une très très vieille histoire », a affirmé l'économiste Jacques Attali, président de la société de conseil A&A et de PlaNet Finance, interrogé en début de semaine dans le cadre du Gala des DSI qui se tenait à Paris. « L'humanité a toujours avancé sur deux jambes, la maîtrise de l'énergie et la maîtrise de l'information ». Face à lui, près de 180 directeurs des systèmes d'information des secteurs privé et public avaient été conviés pour la 2ème année par l'Agora des DSI, réunis pour une soirée de rencontres et de partage d'expérience (*). Thème de cette édition : « Le DSI au coeur de la numérisation et de la transformation des métiers : mythe et réalité ». Sondé sur la réalité de la révolution numérique en cours dans la société, Jacques Attali a enchéri : « Cette automatisation va s'accélérer et créer un continuum dans toutes les dimensions », a-t-il souligné très sérieusement en rappelant que le cloud, le big data et l'Internet des objets commençaient à peine à se développer.
Certains axes ont vocation à prendre de l'essor. « Le web sémantique est à mon avis absolument fondamental dans ce qu'il va changer dans l'organisation de l'entreprise, de l'école, etc. », a pointé Jacques Attali en énumérant parmi les autres transformations induites par la numérique le « temps libéré dans le transport », immense grâce à l'IT, selon lui, mais aussi la numérisation de la santé, non seulement du dossier médical, mais aussi du code génétique et qui va bouleverser ce secteur. « Il y a trois domaines que l'on va voir évoluer assez vite : les biotechnologies, les nanotechnologies et les neurosciences. » Et il y aura une accélération du mélange entre travail et vie personnelle, a-t-il encore ajouté en déplorant : « Nous allons entrer dans un monde de tyrannie de la transparence », prophétie qui, à son avis, va aller beaucoup plus vite que l'on ne croit.
Le DSI doit être au plus haut niveau de l'entreprise
Interrogé sur le rôle du DSI dans l'entreprise, Jacques Attali le juge très important. Il utilise le terme de CTO (chief technical officer) ou de « Compliance officer » et juge que cette fonction devrait avoir sa place dans le comité exécutif restreint des organisations. « Le CTO doit être au plus haut niveau de l'entreprise. C'est lui qui regroupe les services et les envisage autrement, il faut donc qu'il soit le plus haut possible ». Au passage, le président de PlaNet Finance plaide avec vigueur pour les technologies ouvertes. «Le DSI a tort de penser que sa mission doit être de faire du logiciel propriétaire. Il doit être un stratège », faire entrer d'autres technologies pour favoriser l'innovation.
Aux côtés de Jacques Attali sont également intervenus Jacky Galicher, directeur des systèmes d'information de l'Académie de Versailles, et Franck Le Moal, DSI de Louis Vuitton. Le monde de l'enseignement ne semble pas encore prêt au saut numérique. « C'est une révolution culturelle. On voit bien qu'il y a une réticence à partager l'espace numérique de travail », reconnaît Jacky Galicher. Le DSI trouve que l'on est encore loin de l'outil numérique qui participe à la réussite de l'élève.
Une dictature de la transparence
Jacques Attali constate que du côté des enseignants, on va vers une dictature de la transparence. Plus personne n'aura le monopole du savoir. Il décrit cette mutation : L'école était l'endroit où l'on apprenait, la maison celui où l'on faisait les devoirs. « Cela va s'inverser ». Pourtant, il estime aussi que l'on devrait contenir le temps de travail dans un cadre déterminé. « Dans mes sociétés, j'interdis à mes collaborateurs de répondre après 20 heures. Mais de vous à moi, ces règles ne sont jamais respectées ».
Le DSI de Louis Vuitton a de son côté expliqué que le monde du retail (vente en boutique) était complètement bouleversé par l'e-commerce, les réseaux sociaux et la mobilité. D'une part, Internet et les e-services nécessitent maintenant d'approcher les clients sur les différents canaux de vente. D'autre part, les réseaux sociaux sont devenus un canal très emblématique dans l'univers du luxe dans lequel évolue Louis Vuitton. Enfin, on observe aujourd'hui un basculement du commerce vers le mobile. Entre novembre et décembre, au moment du pic de la saison, 45% des ventes ont été faites sur mobile, a pointé Franck Le Moal. Un réseau social d'entreprise a par ailleurs été introduit chez Louis Vuitton et les maroquinières échangent de bonnes pratiques, de « beaux gestes » entre les ateliers du groupe. « Nous avons fait cela avec un réseau social français et cela fonctionne incroyablement bien », a souligné le DSI.
 (*) L'Agora des Directeurs des Systèmes d'Information est une communauté indépendante dédiée aux DSI en activité au sein d'une entreprise publique ou privée.