« Numérique, c'est quoi le progrès ? ». Tel a été le thème et fil rouge de la réunion publique que le club informatique des grandes entreprises françaises (Cigref) a organisé après sa 53e assemblée générale ordinaire annuelle qui s'est tenue ce mercredi 11 octobre 2023. « Aujourd'hui l'innovation est à l'honneur et occupe une place de premier plan dans notre écosystème porté par les vagues successives d'émergence de nouveaux paradigmes technologiques, hier le métavers, aujourd'hui l'intelligence artificielle et demain ? », annonce en introduction Jean-Claude Laroche, président du Cigref et DSI d'Enedis. « Le numérique de progrès, durable, responsable et de confiance auquel nous pouvons aspirer collectivement est-il compatible avec les mutations sociales, sociétales, et environnementales qu'il est censé accompagné ? ». Dans un contexte de sinistrose ambiante et face aux crises qui se multiplient (hausse généralisée des coûts, marasme boursier, attentisme des investissements, licenciements tous azimuts...), encore faut-il que les DSI aient les marges de manoeuvre suffisantes pour imposer à leurs directions générales ces enjeux stratégiques.
Il n'en reste pas moins que la réflexion sur le « progrès numérique » mérite d'être lancée et le club a ainsi réuni plusieurs experts et personnalités d'horizons variés pour s'exprimer sur ce sujet : Etienne Klein (chercheur associé au CEA), Elisabeth Moreno (ancienne ministre à l'égalité hommes/femmes et ex-directrice générale de Lenovo France et actuelle présidente de la fondation Femmes@Numérique), Véronique Torner (présidente de Numeum), Alain Aspect (physicien et Prix Nobel de Physique 2022) ou encore Jean-Noël Barrot (ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications).
Le thème de la réunion publique faisant suite à la 53e assemblée générale du Cigref à Paris ce 11 octobre 2023 au Pavillion Gabriel tournait autour du « progrès ». L'occasion de mettre sous les feux des projecteurs Alain Aspect, physicien et Prix Nobel de Physique 2022 (au centre), pour ses « expériences avec des photons intriqués, établissant la violation des inégalités de Bell et ouvrant la voie à la science de l’information quantique ». A gauche, Henri d'Agrain (délégué général du Cigref) et à droite Jean-Michel André, (administrateur du Cigref et DSI du Groupe SEB). (crédit : D.F.)
La dépendance technologique toujours pointée du doigt
De tous les défis que les DSI doivent relever, répondre à la problématique des recrutements et de la pénurie des talents en fait assurément partie. « Nous voulons faire en sorte que plus de filles s'intéressent aux métiers du numérique et plus de femmes qui rentrent et restent dans le monde du numérique », avance Elisabeth Moreno. « Les filles et les garçons, dès le plus jeune âge, doivent identifier le numérique comme une opportunité de carrière, d'innovation, d'inventivité et de création extraordinaire ». Encore faut-il pour cela que l'enseignement des mathématiques et des techniques à caractère scientifique soit bel et bien présent à l'école primaire. Ce qui dans la réalité est bien loin d'être le cas comme n'a pas manqué de le souligner Alain Aspect : à savoir que l'école manque d'instituteurs faisant « des leçons de choses » pour « comprendre le monde, résoudre des problèmes en donnant des explications », et surtout en « éveillant la curiosité scientifique des élèves » qui manquerait cruellement.
Autre aspect abordé lors de cette séance du Cigref, l'avènement d'un numérique éco-responsable pour répondre à la maîtrise de l'indépendance technologique qui pose éminemment souci aux DSI. « Nous sommes extrêmement dépendants des matériels que nous achetons sur les marchés internationaux qui ont pour mauvais effet d'être la cause de 70 % de l'impact environnemental du numérique », a prévenu Jean-Claude Laroche. Conscient que cette dépendance à des fournisseurs de matériels impacte négativement l'empreinte environnemental du numérique, le Cigref propose ainsi d'accompagner l'élaboration d'une réglementation sur les marchés de matériels numériques afin de disposer de matériels plus durables, réparables et recyclables. Un texte dans le projet de loi sur le numérique à l'Assemblée nationale est actuellement en discussion : reste à voir ce qui en ressortira.
Un risque à diaboliser l'IT
Le sujet de la dépendance est loin de se cantonner uniquement au terrain environnemental. Il touche aussi à la protection des données sensibles dans un contexte où les acteurs américains représentent plus de 70 % du marché du cloud. « Nous constatons que les parlementaires de tout bord viennent avec des propositions d'amendement pour proposer des dispositifs qui ne nous paraissent pas toujours adaptés parce que rien ne serait pire que d'imposer à nos membres d'héberger des systèmes d'information dont ils n'ont pas besoin sur des infrastructures qui n'existent pas ou n'existent pas encore », lance jean-Claude Laroche au ministre Jean-Noël Barrot présent. Ce dernier n'ayant pas manqué par ailleurs de souligner « la dépendance des DSI par un nombre réduit d'acteurs établis en oligopole » qui les tiennent. De quelle façon ? D'abord en les appâtant avec des avoirs commerciaux très généreux puis en rendant la sortie de leurs solutions très compliquées (frais, complication de migration...).
« On ne peut plus considérer le progrès en restant dans notre ligne de nage technologique ou économique », a lancé quant à elle Véronique Torner. « On s'inscrit dans une logique d'action en recrutant des profils éloignés de l'emploi, en envisageant l'IA sous l'angle d'éthique by design, et en impliquant dans Planet Tech'Care près de 1 000 entreprises ». Et la présidente de Numeum de veiller à ne pas « diaboliser le numérique » - citant l'IA générative - et enjoignant les entreprises à « sortir de leurs silos ». Le message sera-t-il entendu ?