Le thème de la séance publique de l'assemblée générale du Cigref, le 13 octobre 2021, a été « Les Horizons Numériques ». Ce thème a été décliné tout au long de la soirée animée par le délégué général, Henri d'Agrain, et le président sortant, Bernard Duverneuil, par ailleurs DSI d'Elior. Premier événement d'importance réalisé par le Cigref depuis le début de la crise sanitaire, cette manifestation était hybride, diffusée en direct pour des centaines de connectés à distance en plus de la réunion présentielle. L'assemblée générale a surtout été l'occasion d'élire un nouveau président, Jean-Claude Laroche, DSI d'Enedis.
Bernard Duverneuil a constaté que l'année écoulée avait été complexe pour beaucoup d'adhérents, mais l'association n'a perdu aucun membre, en gagnant même. Il est vrai que la profonde transformation numérique a été accélérée par la crise et les entreprises ont besoin d'échanger à ce sujet pour se guider les unes les autres. « L'intelligence collective » est une force du Cigref, comme le président sortant l'a rappelé, « pour comprendre et éclairer le futur ». L'assemblée générale a aussi été l'occasion d'un vibrant et émouvant hommage à Jean-François Pépin, délégué général de l'association durant quinze ans (voir encadré).
Bernard Duverneuil (à droite) a passé la main à Jean-Claude Laroche (à gauche) mais demeure vice-président.
Lors du renouvellement partiel du Conseil d'Administration du Cigref, ont été élues deux nouvelles entrantes (Malika Mir, DSI de Bel, et Alice Guehennec, DSI de la SAUR) et réélus Bernard Duverneuil (Elior), Jean-Claude Laroche (Enedis), Yves Le Gélard (Engie) et Christophe Leray (Groupement des Mousquetaires). Outre le président Jean-Claude Laroche, le bureau du Cigref comprend désormais cinq vice-présidents : Corinne Dajon (AG2R La Mondiale), Bernard Duverneuil (Elior), Jean-Christophe Lalanne (Air France KLM), Christophe Leray (Groupement des Mousquetaires) et Stéphane Rousseau (Eiffage), ce dernier étant également trésorier.
Dans sa première intervention en tant que président, Jean-Claude Laroche a insisté sur la nécessité de toujours se poser la question : « à quoi sert la technologie ? ». Pour l'individu, la valeur du numérique se mesure à son utilité au quotidien, dans le respect des droits de la personne ; pour les entreprises, à sa contribution à la part de marché ; pour les sociétés, à sa capacité à donner accès à une vie meilleure malgré un contexte souvent menaçant, et pour les Etats, à répondre aux enjeux de souveraineté dans un environnement géopolitique compliqué. Il est résulte que, pour le DSI, l'essentiel est que « le numérique doit être maîtrisé et maintenu en conditions opérationnelles ». Le DSI doit également « faire preuve de discernement face aux rêves vendus par les fournisseurs. » Il y a deux ans, le Cigref avait proclamé l'entrée dans l'âge de raison du Numérique, qui est la conséquence de ce discernement nécessaire.
Quatre défis pour un écosystème à trois types d'acteurs
Si le Cigref s'inscrit dans l'écosystème rassemblant utilisateurs, fournisseurs et régulateurs, il doit aider les DSI à relever quatre défis concomitamment : la sobriété (réduire l'empreinte environnementale du numérique), la sécurité, la souveraineté (notamment vis-à-vis des grands fournisseurs relayant des législations à effets extraterritoriaux) et la gestion des talents (formation, mixité des profils...). Face à ces quatre défis, Jean-Claude Laroche a affirmé que les DSI et le Cigref « prenaient leur part », en visant « un numérique durable, responsable et de confiance » mais il a aussi appelé fournisseurs et autorités publiques à agir, à prendre eux-mêmes leurs parts de responsabilité.
Le secrétaire d'État au Numérique, Cédric O, a réalisé une keynote d'ouverture.
Cédric O, secrétaire d'État au numérique, est intervenu dans le même esprit. Que ce soit dans les grandes et anciennes entreprises ou dans les administrations d'État, « les vieilles maisons sont perturbées par les changements en cours ». Son rôle, comme celui des DSI, est de faire en sorte que ce changement se déroule le mieux possible. Pour Cédric O, la révolution numérique est comparable aux révolutions de la vapeur et de l'électricité : au-delà des changements technologiques, les cartes sont largement rebattues au niveau du tissu économique, des relations sociales, des rapports de force géopolitiques... Le secrétaire d'État s'est réjoui et a appelé les DSI d'aujourd'hui à se réjouir : « je suis conscient d'avoir la chance d'être aux commandes quand tout se joue, quand nous avons la capacité de faire en sorte que nos organisations soient ou pas au rendez-vous. »
Jean-Michel André, CIO groupe de Seb et administrateur du Cigref, a présenté le rapport d'orientation stratégique, interrogé par Clara Morlière, chargée de mission senior au Cigref.
Présentant le « Rapport d'orientation stratégique 2021 - Futurs numériques : quelles trajectoires ? - Scénarios prospectifs pour 2030-2035 », Jean-Michel André, CIO groupe de Seb et administrateur du Cigref, a expliqué la démarche mise en oeuvre. Le comité d'orientation stratégique comprend une moitié de membres du Cigref et une moitié de personnalités qualifiées. Il est accompagné par le cabinet Futurible qui a apporté sa méthodologie. En prenant en compte des hypothèses d'évolutions technologiques, de changements au niveau de l'environnement, des nouvelles formes d'organisation du travail, de risques géopolitique, de cyber-risques, etc. et en les combinant, quatre scénarios prospectifs ont été définis : la mondialisation régulée par les équilibres géopolitiques, le Far-West avec colonies digitales et cartels numériques, une Europe puissance dans un monde régionalisé et enfin une Chine conquérante dans un monde bipolaire. Chaque scénario est illustré par une nouvelle écrite par un romancier.
De droite à gauche : Hans-Joachim Popp (vice-président de Voice), Claude Rapoport (président du Beltug), Arthur Govaert (président de CIO Platform), Bernard Duverneuil (président sortant du Cigref) et Vanessa Dewaele, directrice de mission au Cigref.
L'assemblée générale a aussi été l'occasion, sur le thème « Horizon Europe », de revenir sur la coopération européenne du Cigref avec Voice (Allemagne), CIO Platform (Pays-Bas) et Beltug (Belgique), coopération ayant déjà abouti à un rapport commun contre la stratégie d'obsolescence programmée de Microsoft. Une table ronde a ainsi réuni Hans-Joachim Popp (vice-président de Voice), Claude Rapoport (président du Beltug), Arthur Govaert (président de CIO Platform) et Bernard Duverneuil (président sortant du Cigref).
Elle a été l'occasion de dénoncer les « contes de fées » racontés par les fournisseurs tels que « si pas de serveurs, pas de soucis » ou « il est impossible de créer des logiciels sans défaut et il est normal que les clients consacrent des ressources aux corrections incessantes ». Des préoccupations communes ont été rappelées : la sécurité, la data-gouvernance, le dépendance vis-à-vis de cloud-providers... Et les quatre associations estiment que la nécessaire régulation du marché ne doit pas être nationale, mais au minimum européenne. La morale dégagée des échanges pourrait être résumée ainsi : « nul ne connaît le futur mais on peut espérer que la voix des entreprises utilisatrices soit entendue. »
Christophe Leray, DSI du Groupement des Mousquetaires et vice-président du Cigref, s'est penché sur la cybersécurité.
« Horizon Cyber » a été illustré par une intervention de Christophe Leray, DSI du Groupement des Mousquetaires. La cybersécurité est devenue, au fil des années, un sujet pour la direction des entreprises et pour les responsables politiques. Pour le vice-président du Cigref, « l'horizon positif où les solutions numériques seraient fiables, où la cybercriminalité baisserait suite à une lutte efficace et où les organisations seraient bien armées contre les cybermenaces est atteignable. Le troisième pilier est bien engagé et il reste beaucoup de travail sur les deux premiers. »
Corinne Dajon, DSI d'AG2R La Mondiale, s'est intéressée à l'horizon des talents.
La question des ressources humaines s'invite à chaque assemblée générale du Cigref. Cet « Horizon Talents » a été présenté par Corinne Dajon, DSI d'AG2R La Mondiale. La pénurie de talents entraîne des pertes estimées à 8,4 milliards d'euros à cause de retards ou d'abandons de projets. 230 000 postes ne seraient pas pourvus en France, 800 000 au niveau européen. La pénurie est particulièrement forte sur les compétences liées au cloud, à la cybersécurité et à la data. Si les grandes écoles semblent s'être emparées du thème et avoir compris qu'il fallait rééquilibrer soft skills / hard skills, le problème est plus en amont : 9 % des lycéens seulement prennent la « spécialité numérique » et la mixité reste faible, le secteur écartant de fait la moitié des talents disponibles.
De droite à gauche : Alice Guehennec (DSI de la SAUR), Bernard Duverneuil (président sortant du Cigref), Godefroy de Bentzman (co-président de Numeum, président de Devoteam) et Flora Fischer, directrice de mission au Cigref.
Autre table ronde : celle consacrée à l'« Horizon Data » avec Alice Guehennec (DSI de la SAUR), Bernard Duverneuil (président sortant du Cigref) et Godefroy de Bentzman (co-président de Numeum, président de Devoteam). La question de la data comporte des dimensions à la fois techniques, business, éthiques et réglementaires, ce qui entraîne une complexité certaine. Comme Bernard Duverneuil l'a rappelé, le Cigref et les trois associations européennes partenaires (Voice, CIO Platform et Beltug) portent la voix des entreprises utilisatrices au niveau européen, auprès des services de la Commission Européenne, en lien avec deux projets de celle-ci, le Data Act et l'IA Act. Le Data Act devrait notamment trancher plusieurs questions importantes : la propriété des données de l'IoT, la portabilité des données, la réaction à l'extra-territorialité des règles américaines sur les données... L'Union Européenne semble également se diriger vers une interdiction formelle du « social credit scoring » adopté par la Chine.