Difficile à imaginer, mais il y a 58 ans, IBM et l'Université de Georgetown s'associaient pour créer le premier programme informatique capable de traduire du Russe vers l'Anglais. Peut-être plus surprenant encore, en 1954, les expressions inscrites sur les cartes perforées et traitées par la grosse machine IBM 701 peuvent maintenant être tapées dans Google Translate sur un smartphone et traduites en à peine 10 secondes.
Certes, à l'époque, le programme d'IBM avait été qualifié d'avancée majeure. Le communiqué de presse publié le 7 janvier 1954 par IBM pour annoncer l'événement disait : « Une jeune femme qui ne comprend pas un mot de la langue des Soviets a poinçonné des messages en Russe sur des cartes perforées IBM. La machine IBM 701, surnommée « le cerveau», a livré ses traductions en anglais sur une imprimante automatique à la vitesse vertigineuse de deux lignes et demie par seconde. La jeune femme a inscrit « Mi pyeryedayem mislyi posryedstvom ryechyi. » Et « le cerveau » lui a répondu « La parole sert à traduire nos pensées ». Puis « Vyelyichyina ugla opryedyelyayetsya otnoshyenyiyem dlyini dugi k radyiusu », a quoi l'IBM 701 a rétorqué : « La valeur d'un angle est déterminée par le rapport entre la longueur de l'arc et le rayon ». La jeune femme a continué : «Myezhdunarodnoye ponyimanyiye yavlyayetsya vazhnim faktorom v ryeshyenyiyi polyityichyeskix voprosov, » et l'ordinateur a traduit : « dans les questions politiques, la compréhension de la situation internationale constitue un facteur important de la décision. »
Détournement de tâches pour traduire du russe
En tout, « le cerveau » a traduit plus de soixante phrases du Russe vers l'Anglais. L'étonnante machine avait interrompu ses 16 heures de travail quotidien consacrées à la résolution de problèmes de physique nucléaire, au calcul de trajectoires de fusées, aux prévisions météorologiques et autres prouesses mathématiques pour se prêter à l'exercice. Son attention avait été détournée pour un bref moment de son travail de calcul numérique fulgurant pour se pencher sur un domaine entièrement nouveau et tout à fait étrange pour ce géant électronique : comprendre la logique du comportement humain et plus précisément, traiter des mots utilisés par les humains. Le résultat, dont on peut apprécier les manifestations aujourd'hui même, a été un franc succès. Même si IBM avait pris la précaution de préciser qu'il n'était pas encore possible « d'insérer un livre en russe d'un côté et de sortir un livre en anglais de l'autre, » le constructeur avait prédit que « d'ici 5 ans, et peut-être dans 3 ans au plus, la conversion des langues par processus électronique dans des domaines fonctionnels importants où l'on utilise plusieurs langues, pourrait bien devenir un fait accompli. »
Fait intéressant, cette sorte de programmation pour réaliser des traductions, souvent dans l'actualité de l'époque, s'est avérée difficile, coûteuse et finalement controversée. En 1964, un groupe de scientifiques réuni par le ministère de la Défense et de la National Science Foundation, connue sous le nom de Automatic Language Processing Advisory Committee (ALPAC), a évalué la technologie informatique appliquée à la traduction linguistique. Son rapport « Langue et machines : Les ordinateurs pour la traduction et la linguistique », publié en 1966, a surtout contribué à saper les efforts entrepris dans ce domaine. Selon un article de Wikipedia, le groupe « a été très critique sur les efforts en cours, montrant que les systèmes informatiques n'étaient guère plus rapides que la traduction humaine, et faisant aussi valoir que, à l'inverse de ce que l'on pensait, il y avait plutôt trop que pas assez de traducteurs, et que l'offre étant supérieur à la demande, la traduction humaine restait relativement peu coûteuse - environ 6 dollars pour mille mots traduits. »
Une réussite contestée sur le plan financier
John Hutchins, expert de longue date de la traduction automatique, a écrit plus tard : « L'événement le plus connu dans l'histoire de la traduction automatique est sans doute la publication du rapport par l'ALPAC en 1966. Il a eu pour effet de mettre un terme à l'important financement dont bénéficiait, depuis une vingtaine d'années, la recherche dans le domaine de la traduction automatique aux États-Unis. Peut-être que le message sans ambigüité délivré à la population en général et au reste de la communauté scientifique a été encore plus dévastateur : que la traduction automatique était sans espoir. Pendant les années qui ont suivi, les chercheurs participant à des projets dans ce domaine préféraient la discrétion : c'était presque honteux. Jusqu'à aujourd'hui, « l'échec annoncé » de la traduction automatique a été transmis comme un fait indiscutable. L'impact de l'ALPAC est indéniable. La notoriété de ce rapport était telle que de temps en temps au cours des décennies qui ont suivies, certains chercheurs s'interrogeaient sur l'opportunité de publier « un autre ALPAC » pour régler encore le sort de la traduction automatique. Au-delà de la controverse, l'apprentissage des langues par des méthodes  informatiques a prospéré et on a vu se développer des méthodes intéressantes.