En matière de politique technologique, le sénateur Mark Warner (Démocrate élue dans l'État de Virginie), vice-président de la Commission sénatoriale sur le renseignement, est clairement préoccupé par le pouvoir de la Chine, et en particulier de la confiance que l'on peut accorder aux principaux fournisseurs de technologie chinois. Il s'inquiète aussi de voir l'emprise que pourrait exercer ce pays sur le développement des réseaux 5G mondiaux. « Ce n'est pas le peuple chinois, mais ce sont le Président et le Parti communiste chinois qui me posent problème. Je ne souhaite pas un retour à une quelconque guerre froide opposant les États-Unis à la Chine », a déclaré cette semaine l'ancien homme d'affaire - il a fait fortune dans les télécommunications - au cours d'une table ronde organisée pendant le second sommet annuel sur la cybersécurité de la Cybersecurity and Infrastructure Security Agency (CISA). « Je dirais que le peuple chinois ne veut pas de ce régime non plus. Regardez ce qui se passe dans les rues de Hong Kong », a-t-il ajouté. « Le genre de surveillance d'État que la Chine exerce sur ses entreprises technologiques a largement dépassé la fiction de George Orwell ».
M. Warner est très préoccupé par la menace que représente la Chine sur le plan de la cybersécurité et de la surveillance, mais aussi par les politiques industrielles que le gouvernement a adoptées pour s'emparer des marchés des télécommunications et des technologies dans le monde. En particulier, le géant Huawei inquiète le Sénateur Warner, car il craint que le fournisseur n'installe des portes dérobées dans ses équipements pour espionner ses concurrents. « Mais aujourd'hui, la question n'est pas de savoir s'il y a ou non une porte dérobée dans les solutions du chinois. C'est l'équipement de Huawei lui-même qui représente un défi », a encore déclaré Mark Warner. Ce jour-là, l'entreprise chinoise plaidait, devant le tribunal du District Est du Texas, l'inconstitutionnalité d'une loi lui interdisant de faire des affaires avec les agences gouvernementales américaines.
Les réseaux 5G, porte d'entrée pour les malwares
« Mais la notion de réseau 5G, qui introduit un commutateur décentralisé et fait intervenir plus de logiciels à la périphérie, signifie que, dès lors que vous aurez déployé un réseau 5G, il faudra appliquer des mises à jour logicielles en grand nombre. Et même si l'équipement est sûr aujourd'hui, vous ne pouvez pas empêcher le gouvernement et le Parti communiste chinois de demander dans six mois à Huawei « d'envoyer des malwares sur ces réseaux ». Mise à part cette menace sur la cybersécurité, le Sénateur Warner s'inquiète aussi du changement d'équilibre géopolitique dans l'arène technologique. Autrefois, les États-Unis avaient, sinon un contrôle total, du moins une forte influence politique sur la façon dont les réseaux mondiaux étaient construits. « Nous n'avons jamais été confrontés à une menace de ce genre », a-t-il affirmé. « Même au plus fort de la guerre froide, l'Union soviétique n'a jamais eu d'avantage technologique sur les États-Unis. Et s'ils avaient de la technologie, ils n'ont pas essayé de la vendre au reste du monde ».
Dans le domaine du cyberespace, de la 5G, de l'informatique quantique et d'autres technologies de pointe, « l'objectif de la Chine est de devenir le leader technologique, d'établir les règles, les protocoles et les normes. Ils se sont emparés de ce genre de développement technologique et ils essaient de l'exporter », a déclaré M. Warner. « La plupart des innovations technologiques créées au cours des six ou sept dernières décennies l'ont été soit en Amérique, soit dans le reste de l'Occident en général. Même si ces innovations ont été créées à l'extérieur de l'Amérique, c'est aux États-Unis, parce que c'est le plus grand pays, qu'est revenu le rôle d'établir les normes et les protocoles, les règles de conduite et le reste du monde a, en quelque sorte, accepté ce concept fondamental ».
Aider les telcos américains à s'affranchir de Huawei
Entre-temps, deux actions récentes de l'administration ont obligé les petits opérateurs souvent ruraux à remplacer leurs équipements Huawei (souvent meilleur marché que les autres fournisseurs), les privant au passage de ressources. Un décret de la Maison-Blanche a en effet interdit aux entreprises chinoises de télécommunications, dont Huawei, de vendre du matériel à des entreprises américaines. Le ministère du Commerce a ajouté Huawei à une « liste d'entités » limitant la façon dont les entreprises américaines peuvent faire du commerce avec certaines entités étrangères.
Pour sa part, le CISA a essayé d'aider les petites entreprises de télécommunications à s'affranchir des équipements de Huawei dans leurs réseaux. « Les opérateurs ruraux ont peut-être été un peu pris au dépourvu et, dans certains cas, les opérateurs étaient assez peu regardant sur les composants chinois », a déclaré Christopher Krebs, directeur du CISA, lors de la table ronde. L'un des principaux objectifs est de mieux sensibiliser les petits opérateurs de téléphonie au risque de ces composants, et au fait que « s'ils exercent leur activité dans un secteur stratégique qui intéresse la Chine, alors ils sont aussi une cible », a ajouté le directeur du CISA.
Le Sénateur Warner a été un grand défenseur d'une loi appelée United States 5G Leadership Act of 2019, qui accorderait aux opérateurs de téléphonie installés en zones rurales jusqu'à 700 millions de dollars pour supprimer et remplacer la technologie Huawei dans leurs réseaux. Lors du sommet de la CISA, M. Warner a indiqué au cours d'une cession de questions et réponses avec les journalistes que les 700 millions de dollars pourraient ne pas suffire pour permettre aux petits operateurs de remplacer ces équipements. « Je ne suis pas sur que cela suffira », a-t-il déclaré.
Plus optimiste pour légiférer sur la protection de la vie privée
En matière de politique technologique, la Chine n'est pas le seul sujet d'inquiétude du Sénateur Warner. La capacité du réseau social Facebook à protéger la confidentialité des données de ses utilisateurs fait aussi parti de ses préoccupations. Évoquant un dîner qu'il avait organisé la veille avec Mark Zuckerberg à la demande de Facebook, le Sénateur Warner a déclaré : « Je pense que nous devons mettre des garde-fous autour des médias sociaux, notamment en matière d'interopérabilité et de portabilité des données, ou encore essayer de savoir quelles données sont collectées sur les utilisateurs et quelle est leur valeur, ou s'interroger sur la validation de l'identité ». Estimant qu'il n'était pas nécessaire d'entrer dans les détails de la discussion qu'il a eu avec le CEO de Facebook, le Sénateur Warner a néanmoins précisé que sur « les sujets importants, Mark Zuckerberg s'était dit favorable à une réglementation appropriée qui ne serait pas de la poudre aux yeux ». Au cours de cette cession de questions/réponses, il a ensuite ajouté : « Après ce dîner, j'étais plus optimiste quant à la possibilité d'aboutir à des solutions législatives. L'échange était beaucoup plus franc qu'il n'a pu l'être jusque-là ».