Tout le monde, ou presque, a entendu les critiques concernant la pénurie de composants informatiques, autant celles des gamers qui ne trouvent plus de cartes GPU récentes sur le marché, que celles des constructeurs automobiles, qui ont besoin d’informatique pour leurs véhicules équipés comme de mini datacenters mobiles. La pénurie touche également les SI dans les entreprises, mais d'une manière différente, et certaines mesures permettent d’y remédier. Á condition, cependant, d’être patient. Cette pénurie n'est due ni à un manque de personnel, ni à l’arrêt des usines, mais au fait que la demande est si forte que les délais de livraison sont très longs. D’après Mario Morales, vice-président du programme Semi-conducteurs et Technologies habilitantes chez IDC, « la demande de composants est telle, que ce délai peut atteindre 36 semaines ».
Selon Vladimir Galabov, analyste principal Cloud and Data Center Research Practice chez Omdia, les fondeurs favorise la production de certaines puces, et cette pratique pèse fortement sur les fournisseurs des entreprises. Par exemple, un CPU doté d’un processeur spécialisé vendu des milliers de dollars pourrait être traité en priorité dans la chaîne production par rapport à un CPU de voiture ou d’ordinateur portable vendu 100 ou 150 dollars. « Il en résulte que dans la tranche supérieure du marché des entreprises, les charges de travail des datacenters sont vraiment prioritaires », a-t-il déclaré. Autrement dit, il est plus facile d’acheter des serveurs, des équipements réseau et des baies de stockage. « Mais le plus grand défi concerne l'espace client du marché des entreprises, notamment la pénurie d’ordinateurs portables et de machines de bureau », a encore déclaré M. Galabov.
Selon certains rapports, les PME sont les plus touchées par ces défauts d'approvisionnement car les OEM privilégient leurs clients professionnels. Et selon Ali Fenn, présidente du fournisseur d'équipements d'entreprise ITRenew, l'impact se fait sentir même dans les entreprises. « Nous sommes en concurrence avec Dell, HP et Lenovo, et de grandes entreprises clientes nous disent qu'elles n’arrivent pas à se fournir en matériel avant quatre ou six mois », a-t-elle déclaré. Cependant, ces entreprises sont toujours sous pression pour se développer et mener à bien la transformation numérique, et doivent composer avec des délais très longs. « Il est certain que le problème ne touche pas les hyperscalers, les principaux fournisseurs de services cloud, mais il touche les entreprises », a-t-elle ajouté.
Une demande en bas de gamme
Cette pénurie, tant pour les consommateurs que pour les entreprises, a été imputée au Covid-19, mais ce n'est qu'un facteur parmi d’autres. Avant tout, il ne s'agit pas d'une pénurie au sens traditionnel du terme. Ce n'est pas comme si TSMC ne pouvait pas fabriquer de puces, même si la sécheresse brutale sur l’île de Taïwan pose des problèmes au fabricant de puces. Le problème est que la demande est si forte que les capacités de production existantes sont dans l’impossibilité d’y répondre. Avant la pandémie, les ventes de puces étaient tirées par la transformation numérique. « La tendance à la numérisation était assez forte dans plusieurs secteurs et concernaient différents marchés verticaux », a déclaré Mario Morales. « Je pense que la pandémie n'a fait qu'accélérer cette tendance », a-t-il ajouté. « Avec tous les objets connectés - villes, routes, campus, aéroports, objets autonomes - je pense que cette pénurie allait se produire de toute façon, mais elle est intervenue plus rapidement », a déclaré Mme Fenn.
Un autre problème auquel sont confrontés les fabricants de puces, c’est que la demande de processeurs a concerné tous les secteurs, dont beaucoup de technologies plus anciennes de second choix qui ne correspondent pas à ce que les fournisseurs aimeraient vendre. Intel, TSMC, GlobalFoundries, Samsung et d'autres fabricants de puces de pointe ont lancé la production de designs de puces à 7 nm et 5 nm destinées ni aux réfrigérateurs ni aux voitures intelligentes, qui se contentent de designs à 40 nm ou 28 nm, et personne n'investit dans de nouvelles usines pour en produire davantage. Les anciennes chaînes de fabrication existantes continueront donc à fonctionner à pleine capacité dans un avenir prévisible, avec une marge d'erreur nulle et sans pouvoir compter sur des projets d’extensions.
Continuer à discuter avec les fournisseurs
Alors, que peuvent donc faire les entreprises pour parer à ce défaut d'approvisionnement ? « Pour commencer, elles peuvent s'impliquer davantage dans le processus de commande », a déclaré Gary Marks, président d'Opengear, qui fabrique des produits permettant d’assurer la continuité des activités. « Nous disons aux clients - et à nos vendeurs et à tous ceux qui sont en contact avec eux - que plus nous avons de visibilité sur leurs besoins et plus ils nous informent sur leurs véritables besoins, plus nous pouvons essayer de mieux répartir les ressources », a-t-il déclaré. Selon M. Marks, tout le monde s’était habitué à cet approvisionnement en flux tendu, mais l’impact du Covid-19 sur les usines de fabrication de puces et d’autres évènements comme l’échouage d’un navire de transport maritime dans le canal de Suez ont remis tout cela en question. « Beaucoup d'entreprises considéraient la chaîne d'approvisionnement et la livraison comme des acquis immuables », a-t-il déclaré.
Selon M. Richter, le problème de certains clients, c’est qu'ils ne travaillent qu’avec un seul fournisseur. « Quand une entreprise est confrontée à une pénurie de la chaîne d'approvisionnement et qu’elle se rend compte qu’elle n'a qu'un seul fournisseur, elle comprend le risque de ces approches traditionnelles », a-t-il déclaré. Qumula diversifie ses fournisseurs et s’appuie sur AWS, HPE, Dell, Quanta, Western Digital, ainsi que sur Intel et AMD. Le cloud offre une autre solution en termes de capacité et d'hébergement d'applications, car les hyperscalers comme AWS, Microsoft et Azure ne manquent pas d'équipements. Si une entreprise ne parvient pas à acheter une baie de stockage ou un pare-feu réseau, les fournisseurs de cloud n’en manquent pas. Le cloud peut offrir de la flexibilité et apporter une solution rapide à un besoin matériel non satisfait à cause de la pénurie d'approvisionnement. « Il se peut très bien que ce soit temporaire et que ces charges de travail reviennent sur site, mais la solution pour les clients, c'est d'avoir la possibilité de choisir », a-t-il ajouté. Selon lui, « moins d'alternatives signifie plus de risques ».
Bien anticiper ses besoins, sans les surévaluer
Le conseil de M. Morales aux entreprises de taille moyenne qui ont plus de chances d’être touchées par la pénurie est de rester proche de leur fournisseur pour comprendre exactement la demande à laquelle il est confronté. De même, il est inutile de sur-commander en espérant ainsi encourager une plus grande production, car les fournisseurs ont bien conscience de cette stratégie. Ils n’hésitent pas à demander au client de prouver qu'il a la demande nécessaire pour absorber ce surcroît de composants avant de les lui fournir. Ils expliquent que s’ils fabriquent tel matériel demandé et que l’entreprise lui dit que le client n'en veut plus, il ne pourra rien en faire ». Vladimir Galabov et Mario Morales pensent que la chaîne d'approvisionnement commencera à se normaliser l’an prochain et qu’elle reviendra à la normale en 2023. D'ici là, les entreprises doivent planifier en conséquence et garder une perspective à long terme.