Pour se conformer aux régulations RSE actuelles et à venir, mais aussi à leurs propres engagements en la matière, les organisations pilotent principalement leur empreinte environnementale afin de la réduire. Mais elles s'intéressent aussi de plus en plus à l'impact de leur chaîne de valeur. Certaines, parmi les plus grandes en particulier, allant jusqu'à introduire des exigences RSE dans le cahier des charges ou l'appel d'offres lors du choix d'un fournisseur ou d'un partenaire.
L'informatique n'est donc pas exemptée de telles requêtes. Loin de là. Et au-delà des seuls fournisseurs de matériels et logiciels, l'empreinte des prestataires de service devient également un sujet. Le deuxième baromètre des prestataires du numérique écoresponsable du cabinet Advaes, qui a interrogé 100 sociétés, dont près des trois quarts des entités sont des éditeurs, des ESN et des cabinets de conseil, montre un niveau de maturité moyen encore très bas. D'autant que, comme le précise le compte-rendu, « l'analyse conduite s'est heurtée au manque d'informations objectivées ainsi que de données plus précises quant aux indicateurs analysés. Plusieurs explications peuvent être données : caractère sensible des informations, mesure non encore effective, faible maturité, sujet non stratégique... »
Des objectifs de réduction déjà définis
La moitié des répondants (49%) disent avoir défini des objectifs de réduction d'ici à 2030 de leur impact. En ajoutant ceux pour qui le travail est en cours ou prévu d'ici à 2027, on obtient près de 9 entreprises sur 10. 77% ont d'ailleurs un ou une responsable RSE au Comex. « Bien que ces chiffres reflètent une certaine mobilisation, l'engagement reste inégal en termes de planification et de mise en oeuvre concrète, ainsi que de suivi des progrès dans le temps », précise néanmoins le rapport. Les choses se compliquent avec la conformité à la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), directive qui impose un reporting extra-financier des impacts, là où le rapport RSE ne reste qu'un document déclaratif, et la plupart du temps plus qualitatif que quantitatif. La moitié seulement des sociétés interrogées est concernée (21% dès 2025 et 18% en 2026). À noter que 15% n'ont aucune idée de ce dont il s'agit.
En toute logique, la moitié des répondants a également défini une roadmap, mais seuls 34% ont déjà travaillé sur une analyse de double matérialité (impact de l'activité de l'entreprise sur l'environnement et la société et impact financier de ces derniers sur l'entreprise). Et près d'une organisation sur trois ne s'y est pas encore attelé, pas plus qu'à l'analyse de risques extrafinanciers ou au rapport de durabilité. Comme le notent les analystes d'Advaes, les prestataires qui ne sont pas directement concernés dans les deux ans à venir par la directive devraient néanmoins s'y intéresser de près, car ils seront indirectement touchés au travers des demandes de leurs clients ou fournisseurs.
Le bilan carbone, jusqu'au scope 3
Sans surprise, 71% des répondants ont réalisé un bilan carbone, mesure la plus connue des impacts environnementaux. Un quart avouent cependant ne pas le calculer. Parmi ceux qui le mesurent, près de 4 sur 5 ont même calculé exhaustivement le scope 3 (émissions indirectes non liées à l'activité de l'entreprise, mais à sa chaîne de valeur). Et malgré cette implication croissante allant jusqu'au scope 3, les émissions directes de GES (gaz à effet de serre) ont chuté de 14% entre 2022 et 2023 chez ceux qui les mesurent (après un recul de 6,3% l'an dernier), mais elles ont augmenté de 5,6% en scope 2 (émissions indirectes liées à l'énergie) et de 1,9% en scope 3. Difficile de savoir si les mesures entreprises atteignent déjà leurs limites ou si l'activité des entreprises a augmenté, ou encore s'il s'agit d'une combinaison de multiples facteurs...
Du côté des mesures concrètes, les répondants ont en effet principalement promu les mobilités douces à 72% (+28 points) et réduit les voyages d'affaires (-5 points). Les actions en faveur du reboisement ou de la reforestation, plutôt contestables puisqu'il ne s'agit pas de réduire les émissions, mais de les compenser, sont en chute de 10 points à 38%. Aucun ne cite parmi les 5 premières mesures un travail sur l'optimisation de l'exploitation des matériels informatiques ou sur l'attention portée à un développement logiciel frugal. En ce qui concerne le lien entre forte activité et émissions de GES, dans son classement ESG des prestataires du numérique actifs en France publié en octobre, Advaes notait qu'en 2023, « pour 50% des prestataires analysés, les émissions de GES globales s'élevaient à plus de 300 millions de mtCO₂ équivalent pour un chiffre d'affaires mondial cumulé de plus de 2 200 milliards d'euros ». L'autre difficulté d'interprétation des résultats sur l'empreinte carbone se situe dans la méthode utilisée. 35% s'appuient sur le bilan carbone de l'Ademe, centré sur les spécificités françaises, alors que 52% utilisent le protocole international GHG.
Une méconnaissance de la consommation d'énergie et d'eau
En matière de consommation d'énergie - comme source d'émission de GES -, 61% seulement des répondants affirment connaître la leur. Une proportion qui chute à 46% pour les énergies renouvelables ou bas carbone. La consommation d'énergie électrique en MWh a augmenté de 14,1%, celle provenant des énergies dites vertes a cru de 4,4%. Autre mesure de consommation énergétique dans l'IT, connue depuis plus de deux décennies et pratiquée par les prestataires : le PUE (Power usage effectiveness) qui évalue l'efficacité de l'utilisation de l'énergie par un datacenter. Autrement dit, la proportion d'énergie consommée par l'infrastructure informatique proprement dite par rapport à l'énergie totale consommée par le datacenter. Près de 6 répondants sur 10 annoncent disposer d'un datacenter, en propre sur site ou en colocation, et la moitié en calculent le PUE. Un outil de communication pour 83% d'entre eux. 15% s'approchent du Graal avec un PUE minimum inférieur à 1,1. Ils sont même 4% dont le PUE maximum reste sous la même limite. Mais la grande majorité des répondants (57%) se situe entre 1,2 et 1,4 au minimum, et 38% entre 1,4 et 1,7 au maximum. À noter qu'un quart affichent un PUE maximum particulièrement élevé, situé entre 1,7 et 3 qui traduit une probable absence totale d'optimisation. Seuls 36% des répondants s'intéressent aussi à leur consommation d'eau globale. Et elle a augmenté de 4,8% entre 2022 et 2023. Mais ils sont très peu (16%) à mesurer le WUE (Water usage effectiveness, équivalent du PUE pour la consommation d'eau) de leurs datacenters.
Entre 40 et 60% des répondants s'intéressent en revanche à la durée de vie de leurs matériels, avec un accent plus prononcé sur les ordinateurs de bureau et notebooks. Plus de la moitié des répondants ont des serveurs avec une durée de vie minimum entre 3 et 6 ans (5 ans en moyenne), et une durée de vie maximum moyenne de 8 ans. Du côté des postes de travail, on est à un minimum juste inférieur à 4 ans et un maximum de 6,8 ans. « La durée de vie des ordinateurs et des smartphones par exemple, semble avoir été étendue d'au moins 1 an en moyenne entre 2023 et 2024 », précise l'étude Advaes. Celle-ci constate par ailleurs une progression de la communication des prestataires sur le sujet : « ces chiffres marquent une nette progression par rapport à 2023, soulignant une prise en compte croissance du cycle de vie des équipements IT comme levier majeur de réduction d'impact environnemental ».
Un léger effort sur les DEEE
39% des répondants déclarent aussi connaître la masse de DEEE (déchets électriques et électroniques) qu'ils produisent. Une proportion qui « témoigne d'un manque de suivi systématique et de tenue d'un reporting associé » selon Advaes. En comparaison de mesures plus évidentes, comme l'empreinte carbone, cela semble néanmoins une proportion plutôt intéressante pour un sujet aussi pointu à piloter. Les quantités de DEEE générés par ces entreprises ont augmenté de 14,4% l'an dernier. Advaes rappelle que « le dernier rapport des Nations Unies estimait la masse des DEEE à 62 millions de tonnes en 2022, dont seuls 22% auraient été correctement collectés et recyclés ».
59% des répondants ont une certification liée à leur impact environnemental avec une majorité d'ISO 14001 (rationalisation de l'utilisation des ressources naturelles et réduction des déchets), même si cette norme perd un peu de terrain par rapport à l'an dernier. Mais Advaes précise qu'elle ne concerne en général qu'un site ou un bâtiment. Les entreprises citent également Leed Building (Leadership in Energy and Environmental Design), ISO 50 001, Energy Star ou Bream (certification environnementale britannique). Le cabinet nuance également ces résultats, déplorant une certaine confusion entre certifications, labels et notations.
L'engouement pour l'économie circulaire
L'économie circulaire semble également entrer dans les moeurs, pour près de deux tiers des répondants. La seconde vie et le prolongement de la durée de vie des matériels sont cités par plus de 80% de ceux-ci, devant le recyclage des emballages. La moitié des répondants affirme adopter des méthodes d'écoconception pour leurs produits ou services, mais un quart seulement réalise une ACV (analyse du cycle de vie) complète. Un petit tiers suit aussi les recommandations du Référentiel général d'écoconception des services numériques (RGESN).
Le rapport se termine par un indispensable point sur l'IA, la technologie de tous les dangers lorsqu'il s'agit d'empreinte environnementale. Près d'un quart des entreprises interrogées disent s'intéresser à son impact. Parmi les cinq bonnes pratiques qu'elles mettent en avant, on trouve la collecte responsable et raisonnée des data, la limitation de la quantité de data exploitée, la limitation de l'entraînement et le choix de méthodes d'entrainement frugales.
L'étude d'Advaes révèle finalement un niveau d'intérêt et d'action très relatif quant à la surveillance et au pilotage de l'empreinte environnementale chez les prestataires interrogés. Mais elle reflète aussi la complexité d'une telle évaluation, avec des profils d'acteurs et de consommation différents, des mesures plus ou moins complexes et un niveau plutôt faible d'information sur ce sujet. Ce dernier constat, en 2024, pourrait laisser perplexe pour un secteur dont on sait qu'il pèse de plus en plus lourd sur l'environnement. Si l'on en croit cette étude, les prestataires du numérique continuent de se focaliser principalement sur l'empreinte carbone et la consommation électrique, ainsi que sur des solutions plutôt minimalistes et ponctuelles, comme la promotion des mobilités douces. Ils pourraient, comme d'autres secteurs, élargir leur périmètre d'intérêt à l'eau par exemple, ou se tourner vers des actions qui les concernent directement, comme l'achat de matériel à l'empreinte réduite ou le travail sur du développement logiciel frugal. Certaines réglementations, comme la CSRD, pourraient néanmoins les pousser à sortir progressivement de leur torpeur. D'autant que les prochaines étapes concerneront aussi les impacts sociaux et sociétaux de l'activité économique.
La faible conscience environnementale des acteurs IT français
Une enquête auprès de 100 prestataires numériques, éditeurs et ESN, menée par Advaes montre une prise de conscience de l'impact environnemental. Mais celle-ci reste néanmoins modeste, basée sur principalement sur des mesures d'empreinte énergétique et d'émissions de GES. Et surtout, s'accompagne d'un faible investissement dans les actions concrètes.