Transposée en France en décembre 2023, la directive européenne CSRD (Corporate sustainability reporting directive) imposera un reporting ESG (environnement, social, gouvernance) très cadré et formel à une grande majorité d'entreprises dès janvier 2025. Dès 2027, celle-ci devrait être complétée par une autre directive européenne, la corporate sustainability dew diligence directive (CSDDD), soit devoir de diligence en matière de durabilité des entreprises (CSDDD), qui implique une évaluation de tous les tiers dans la chaîne de valeur. « Pour les entreprises, c'est la promesse d'un travail à temps plein, insiste Nancy Mentesana, directrice ESG chez Labrador US, société de conseil en réalisation de documents d'entreprise. Et cela change en profondeur la façon dont elles se structurent autour des informations concernées. »

De plus, les entreprises avec un périmètre d'activité international vont devoir se soucier des régulations d'autres régions du monde concernant le reporting ESG, car l'Union Européenne n'est pas la seule à concocter des régulations en la matière. C'est aussi le cas par exemple de la SEC (Securities and exchange commission) des États-Unis, de l'International sustainability standards board (ISSB) et de l'État de Californie.

Le DSI, garant du sourcing et de la qualité de la data

Alors que les rapports RSE s'appuyaient jusque-là sur un mix de données qualitatives et quantitatives, ils devront désormais être alimentés par des mesures et des data quantitatives précises et vérifiables. Et les DSI sont en première ligne, en particulier parce qu'ils savent comment rendre disponibles les données nécessaires, à l'échelle. « Le DSI joue un rôle central, en particulier dans les phases de démarrage, pour le sourcing et l'agrégation des données », complète Amy Cravens, directrice de recherche GRC (governance, risk and compliance) et reporting ESG chez IDC. Mais la complexité des données ESG les incite à se former rapidement sur les défis liés à la fourniture de rapports ESG fiables et exploitables.

Le fournisseur interne de technologie de l'assureur Allianz SE, Allianz Technology, emploie plus de 100 experts ESG qui passent plusieurs semaines chaque année simplement à collecter et à communiquer manuellement des data. Birgit Fridrich, responsable du développement durable d'Allianz Technology, explique que « la qualité des data est essentielle, mais si nous le faisons manuellement, il y a un risque d'erreurs. C'est notre plus grand défi. Nous utilisons donc Microsoft Sustainability Manager. » Elle appelle d'ailleurs de ses voeux une digitalisation et une automatisation plus poussées, afin de se concentrer davantage à son métier, soit l'amélioration des indicateurs ESG proprement dits.

Des données principalement dans les processus amont

Un processus qui est aujourd'hui la priorité de l'entreprise, mais peut cependant prendre du temps, comme le confirme Rainer Kärcher, directeur du développement durable d'Allianz Technology. Lorsqu'il dirigeait le développement durable de l'IT de Siemens, ce dernier comptait 365 000 produits dans son portefeuille, depuis les aiguillages jusqu'aux trains (qui comprennent des millions de pièces détachées), et plus de 65 000 fournisseurs de rang un. « Pour calculer la seule empreinte environnementale d'un train avec précision, nous devions nous assurer que chaque fournisseur envoyait des données précises et fiables. La complexité est d'un tout autre niveau ! » Mais même pour des informations aussi évidentes que des kWh de consommation énergétique, la démarche reste complexe, car la réglementation réclame des métadonnées, telles « les dates auxquelles les data ont été collectées ou leur niveau de qualité », précise Birgit Fridrich.

La quantité de travail nécessaire était telle pour la CTO d'Allianz Technology, Gülay Stelzmüllner, qu'elle a dû recruter Rainer Kärcher en octobre 2022 pour spécifiquement développer une stratégie de reporting ESG. Depuis, celui-ci a constitué une équipe de 18 personnes et dressé un inventaire des structures de données ESG existantes et des exigences légales. « Quoi que nous fassions, il nous faut de la transparence sur la structure des données, sur les processus et sur la gouvernance afin de disposer d'une source unique de vérité, insiste Rainer Kärcher. Nous devons disposer de la data et d'un reporting à l'épreuve des audits de conformité. »

Si la DAF et la direction RSE sont bien des contacts de premier plan pour les DSI, ces derniers doivent aussi se tourner vers l'approvisionnement, la R&D, la supply chain, le manufacturing, les ventes, les RH, les services juridiques et fiscaux, etc. Les données ESG se trouvent essentiellement en amont de l'activité, et sont largement dispersées dans l'ensemble de l'organisation. Les DSI auront donc besoin d'un large consensus.

DSI, commencez par le reporting RSE de l'IT !

Les DSI doivent évidemment eux-mêmes s'informer sur la complexité et l'ampleur du problème qu'ils tentent de résoudre. Et comme charité bien ordonnée commence par soi-même, « un des meilleurs moyens d'y parvenir est tout simplement de s'atteler au reporting RSE de l'informatique », estime Rainer Kärcher d'Allianz Technology. Il conseille d'identifier des personnes passionnées par le sujet afin de démarrer le processus, ce qui implique de maîtriser la terminologie ESG. « Les émissions de scope 1, 2 et 3 demeurent encore de gros points d'interrogation pour la plupart des DSI », comme il le rappelle.

Tout comme Ivneet Kaur, de Sterling, il s'appuie par exemple sur SustainableIT.org, au conseil d'administration duquel ils siègent tous les deux. SustainableIT.org partage des frameworks, des données et des modèles de reporting gratuits, ainsi que des études de cas et des conseils pratiques d'autres responsables informatiques. « De cette façon, vous apprendrez à connaitre les termes précis et à identifier les bonnes sources de données, dit Rainer Kärcher. Et vous serez bien mieux à même de travailler avec la direction RSE ou avec la DAF sur le reporting ESG. »

Analyse des structures de données ESG

Les DSI doivent aussi évaluer l'importance relative des différentes data afin de se concentrer sur les informations ESG les plus importantes à court et à long terme, et sur la façon de les trouver et d'en automatiser la collecte. Il leur faut documenter les processus de collecte de données et de production de rapports qui impliquent des données ESG pertinentes et les évaluer par rapport aux différents frameworks, etc. Ils peuvent aussi identifier des outils de mesure ou de sourcing de data manquantes...

Très concrètement, Rainer Kärcher et ses équipes ont identifié durant toute l'année 2023 les source de données nécessaires. Résultat, un catalogue de normes et de règles ESG qui définissent en détail ce que signifie la durabilité pour divers aspects de la technologie et des opérations. En 2024, ils vont connecter toutes ces sources au datalake d'Allianz, qui contient également les données commerciales, financières et RH du groupe d'assurance. De cette façon, l'équipe de Rainer Karcher peut créer une offre de services de données ESG pour les 64 autres entités de la maison mère.

« Ne passez pas trop de temps à élaborer un plan au point qu'il devienne obsolète et qu'il ne vaille plus la peine d'être exécuté, conseille de son côté Daragh Mahon, DSI de Werner Enterprises, fournisseur de services de transport et de logistique par camions. Il faut évoluer pas à pas. Et pour les phases de plus long terme, gardez un peu de hauteur, car nul doute que les choses changeront avant que vous n'y arriviez. » Le DSI a ainsi rapidement déployé une plateforme de reporting ESG, afin de recueillir les remarques des utilisateurs, comme pour un MVP (minimum viable product).