Deux milliards d'euros : c'est la dotation la plus importante du Fonds National pour la Société Numérique et cela correspond au Programme National Très Haut Débit (PNTHD). L'emploi de cette somme inquiète suffisamment la Cour des Comptes pour que les magistrats de la rue Cambon aient adressé un référé au Premier Ministre le 8 février dernier. Celui-ci a adressé sa réponse dans le délai des deux mois prévu par la loi, le 8 avril. L'ensemble est publié sur le site de la Cour.
Le niveau d'engagement de la dotation de deux milliards est faible (18,7% en octobre 2012) alors que le PNTHD a été lancé en 2010. L'objectif de ce plan est de couvrir toute la population française en très haut débit d'ici 2025. Or ce programme donne la priorité à la seule technologie du FTTH qui impliquerait un coût global sur 20 à 30 ans de 20 à 30 milliards d'euros. Ce financement considérable reposerait probablement pour l'essentiel sur des dotations publiques car l'amortissement de tels investissements ne peut s'envisager que sur des périodes très longues (20 à 30 ans) incompatibles avec des impératifs du secteur privé. La pertinence de ce choix est donc remise en cause par la Cour.
L'ADSL bénéficie de l'Effet Minitel
Pour les magistrats de la rue Cambon, l'ADSL français est parmi les meilleurs et les moins chers du monde. Son existence entraîne, dans les zones denses bien couvertes en ADSL, un désintérêt des utilisateurs pour le FTTH. Or, ce sont ces zones denses où il serait rentable pour des opérateurs privés de déployer du FTTH.
Les zones un peu moins denses devaient bénéficier d'un prêt bonifié de l'Etat aux opérateurs pour faciliter le déploiement. SFR et France Télécom s'étaient montrés intéressés. Le milliard d'euros prévu n'a pratiquement pas été consommé car les opérateurs n'ont pas amorcé de réels déploiements devant les incertitudes économiques rencontrées. Pour faciliter le déploiement de la fibre, le gouvernement envisage d'en supprimer le concurrent en éteignant le réseau cuivre.
La Cour a des doutes sur la pertinence de ce choix. En effet, le réseau cuivre est apprécié et très utilisé. La bascule au réseau optique impliquerait des travaux dans tous les logements pour y amener le nouveau réseau mais aussi d'adapter un grand nombre d'équipements. La Cour cite ainsi l'exemple des appareils médicaux de l'Hospitalisation à Domicile (HAD) et les alarmes intrusion aux domiciles. Pour le Premier Ministre, une expérimentation en cours à Palaiseau, qui devrait s'achever en 2014, permettra de mieux appréhender les conditions et l'acceptabilité d'une extinction du cuivre. Le lancement d'une mission est confirmé sur le sujet.
En quelque sorte, l'ADSL bénéficie de l'Effet Minitel qui avait tant freiné, en France, la généralisation d'Internet : une technologie ancienne efficace et peu coûteuse remplit les besoins exprimés par les usagers sans que ceux-ci ressentent le besoin d'une nouvelle technologie certes plus efficace mais aussi plus chère.
Les réseaux d'initiative publique mis en cause
Dans les zones les moins denses, les plus chères à équiper mais aussi avec le moins d'abonnés potentiels et donc les moins rentables, l'intervention publique s'impose. Partout où aucun opérateur privé ne s'est déclaré intéressé peuvent être mis en place des RIP (réseaux d'initiative publique).
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La Cour s'inquiète du coût de ces RIP qui reposerait in fine sur les collectivités locales. Elle s'interroge en fait sur la stratégie en trois zones, de l'habitat le plus dense au moins dense. L'Etat (ou les collectivités locales), dans cette stratégie, s'occupe de ce qui n'est pas rentable et les opérateurs privés se chargent des zones rentables. La Cour aurait préféré un système de péréquation : un droit à déployer en zone rentable contre un déploiement en zone non-rentable.
Les magistrats de la rue Cambon reconnaissent d'eux-mêmes que le plan est trop engagé par les opérateurs privés pour que le modèle soit totalement remis en cause. Le Premier Ministre ajoute que la concurrence par les infrastructures dans les zones denses ne saurait être remise en cause en raison des décisions européennes. Mais les magistrats insistent sur la nécessité pour les opérateurs privés d'effectuer les déploiements prévus dans les zones modérément rentables conformément à leurs engagements.
Un besoin d'un pilote fort
D'une manière générale, la Cour attend un Etat fort. D'un côté, il s'agirait de mieux contrôler le respect des engagements des opérateurs, de l'autre de mieux gérer les RIP. En particulier, les RIP sont censés être commercialisés auprès des opérateurs privés qui assureraient les services finaux. Il s'agirait, pour la Cour, que l'Etat adapte ses conditions commerciales selon le niveau de respect des engagements des opérateurs dans les déploiements dont ils avaient la charge : plus un opérateur a déployé un réseau, plus il bénéficierait de conditions favorables pour l'usage des RIP. Ces derniers devraient également suivre un schéma directeur de déploiement, impératif pour bénéficier du financement d'Etat. Le meilleur pilotage des déploiements est, précisément selon le Premier Ministre, le but du lancement de la Mission Très Haut débit.
Remise en cause du tout FTTH
Enfin, la Cour remet en cause le dogme du tout-FTTH. Selon les magistrats, ce choix n'est pas une obligation pour assurer le déploiement du très haut débit. Les alternatives, notamment sur le réseau cuivre, pourraient se révéler plus pertinentes en termes de coût. Le Premier Ministre a indiqué, en réponse, que l'emploi des technologies les moins coûteuses était effectivement envisagé dans le cadre d'une situation intermédiaire. Le Plan est présenté comme « neutre » sur le plan technologique et le FTTH n'est pas officiellement la seule technologie envisagée.
La Cour des Comptes inquiète des dérives du Plan très haut débit
La Cour des Comptes a adressé un référé au Premier Ministre. Les choix techniques et financiers faits pour le Programme National Très Haut Débit l'inquiète.