L'informatique enseignée au Collège de France
L'Inria (son président, Michel Cosnard, à droite) et le Collège de France (son administrateur, Pierre Corvol, au centre) ont créé une chaire annuelle d'informatique et de sciences numériques. Les cours, assurés par Gérard Berry (à gauche), gratuits et ouverts à tous, seront également diffusés sur le Web.
« Une ultime reconnaissance : l'informatique enfin considérée comme une science. » C'est en ces termes que le président de l'Inria, Michel Cosnard, a salué la création d'une chaire « Informatique et sciences numériques » au Collège de France. Lors d'une présentation mardi 10 dans ce haut lieu de la culture et de l'enseignement français, Michel Cosnard et Pierre Corvol, administrateur du Collège de France, ont expliqué que le succès rencontré par le cours du professeur Gérard Berry en 2007/2008 leur avait donné l'idée de pérenniser la chose. Les deux institutions ont ainsi collaboré et décidé la création d'une chaire annuelle, en s'engageant sur un programme de 5 ans.
Les cours donnés au Collège de France sont d'accès libre et gratuit pour tous. Une cinquantaine de chaires permanentes sont tenues par des professeurs titulaires. A côté de ce socle historique, des chaires annuelles commencent à voir le jour depuis quelques années. L'enseignant et donc la thématique abordée y changent chaque année. « Ce qui permet de multiplier les points de vue », explique Gérard Berry.
« Un trou absolument majeur à combler dans l'enseignement »
Ingénieur, docteur, chercheur à l'Inria, distingué à plusieurs reprises, Gérard Berry, avait donné un cours intitulé « Pourquoi et comment le monde devient numérique » en 2007/2008, dans le cadre de la chaire d'innovation technologique Liliane Bettencourt. Mais pour lui et les autres acteurs de l'entrée de l'informatique au Collège de France, il était évident qu'il fallait aller plus loin. « Parce que les gens ne savent pas ce qu'est l'informatique, explique-t-il. Les gens d'un certain âge voient l'informatique comme un objet étranger, et certains commencent à l'apprivoiser. Pour la nouvelle génération, l'informatique est tout simplement là , comme le vélo ou autre chose. Mais les deux générations sont ignorantes en la matière, pour des raisons différentes. Il y a un trou absolument majeur à combler dans l'enseignement. [...] En France, quand on parle de fracture numérique, on se polarise sur la nécessité de rattraper le retard en tant que consommateur, alors que le véritable problème c'est rattraper le retard en tant que créateur. Cela commence par l'éducation, car être créateur, c'est un état mental : il faut d'abord comprendre les choses. »
Faire aimer l'informatique aux enfants
Passionné et passionnant, Gérard Berry estime qu'on peut délivrer un enseignement à la fois drôle et intelligent en la matière. « Les jeunes ne s'intéressent pas à la façon dont leur MP3 ou leur logiciel de peer-to-peer fonctionne parce que personne ne leur dit qu'on peut s'y intéresser. Dès qu'on le fait, ils trouvent ça formidable. » Fort d'une expérience réussie avec des collégiens, il dit : « J'ai été promu auprès des 6-9 ans. » Cette fois, il leur a montré que les additions et multiplications qu'ils étaient en train d'apprendre étaient en fait de l'algorithmique. « C'est-à -dire des choses qui ne demandent pas de la pensée, mais de l'automatisme. Et quand les enfants comprennent qu'une couleur, c'est un mélange de trois nombres, ça les fait aimer l'informatique. »
Calcul séquentiel, parallélisme, calcul diffus...
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Son cours 2009/2010 au Collège de France s'adressera à des adultes, toutefois il reprendra cet enseignement à la base, en partant des algorithmes. « Car c'est la plus grande difficulté à laquelle on est confronté : comment combler le fossé entre d'un côté l'homme, intuitif, intelligent, lent et pas très rigoureux, et d'un autre côté la machine, stupide, rapide, consciencieuse... »
Le cours, « Penser, modéliser et maîtriser le calcul informatique » suivra un ordre chronologique, abordant la théorie de la calculabilité (élaborée dans les années 30), le calcul séquentiel (qui a donné les langages de type C ou Java), puis le parallélisme, problématique actuelle avec les architectures multicoeurs et de nouveaux types de bugs « extrêmement sournois », pour finir sur le modèle du calcul diffus, quand des millions de ressources reliées par Internet sont susceptibles d'oeuvrer de concert. Hormis le cours inaugural, chaque cours sera suivi d'un colloque animé par « une sommité mondiale », invitée par Gérard Berry.
Favoriser la connaissance et la diffusion auprès des Français - sur place et via le Web
Les frais de cette chaire - environ 300 000 euros par an tout compris - sont pris en charge à parts égales entre le Collège de France et l'Inria. Michel Cosnard justifie cet investissement très simplement : la vocation de l'Inria est de favoriser la connaissance et sa diffusion. « La recherche [en informatique] doit continuer. Nous devons être présents dans le concert des nations. Il faut donc susciter des vocations. Mais pour s'engager dans une voie qui est difficile, il faut savoir ce dont on parle, et ce dès la prime enfance, je dirais, or pour l'instant nous en sommes loin. » Et si les cours du Collège de France ne toucheront pas le jeune public, il existe tout de même un impact indirect. Le simple fait pour l'informatique d'avoir droit de cité dans « cet immense phare de la connaissance », pour reprendre les propos de Michel Cosnard, donne plus de légitimité dans les débats sur l'introduction de l'informatique dans l'enseignement scolaire - « et pas pour apprendre à se servir de Word ou d'Excel », précise Gérard Berry.
La leçon inaugurale aura lieu le jeudi 19 novembre à 18 heures. Pour ceux qui ne pourraient se déplacer, les cours seront enregistrés, et diffusés ensuite sur le Web. C'est l'autre intérêt des chaires annuelles, explique Pierre Corvol : leur financement par des partenaires permet de mettre en oeuvre ce type de moyens. Selon l'administrateur du Collège de France, « 5 millions d'heures ont été téléchargées l'année dernière, et 20% des internautes sont hors de France ; il y a donc aussi une traduction en anglais à assurer ».