La supply chain industrielle a toujours été un processus complexe mis à mal par des perturbations tels les conflits internationaux, les grèves, les pénuries de matières premières, voire les éruptions de volcans... Mais elle est particulièrement mise à rude épreuve depuis 2020. La pandémie de Covid19 a cloué les avions au sol tout en faisant de la logistique un enjeu vital. Elle a bouleversé l'organisation des commandes, des approvisionnements et, de fait, des lignes de production. Depuis, les perturbations, voire les interruptions complètes de certaines parties de la chaîne n'ont fait que se multiplier : blocage du canal de Suez par le porte-conteneurs Evergiven, conflits en Ukraine, au Moyen-Orient et en mer Rouge, éboulement sur la ligne ferroviaire Paris-Milan, saturation des ports chinois ou nord-américains, blocages de routes par les agriculteurs, catastrophes climatiques, etc. Ces perturbations, la plupart du temps soudaines, exigent des industriels de disposer d'une supply chain souple, agile, résiliente.
Pourtant, l'étude réalisée en décembre 2023 par le cabinet IDC pour l'éditeur d'orchestration de supply chain Kinaxis auprès de responsables de ce secteur dans le monde, confirme l'inertie de ces industriels en la matière. S'ils identifient bien la nécessité de rendre leurs processus plus résilients, ils sont nombreux à n'avoir que partiellement entamé leur transformation digitale. Au total, près de deux tiers des répondants affirment au minimum avoir entamé ce virage. 31% indiquent même disposer d'une supply chain totalement digitalisée adaptée à de nouveaux business models. Au sein de l'industrie automobile, ils sont même 38% dans ce dernier cas, alors que dans l'aéronautique, ils sont 39% à démarrer.
Le manque de data de qualité inquiète
Faut-il y voir un lien avec les 34,8% de répondants qui considèrent disposer d'une supply chain résiliente ? Probablement. A noter qu'ils sont 42,5% en région Asie Pacifique pour environ un tiers en Amérique du Nord, et à peine plus de 29% en région EMEA. L'enquête creuse ensuite le sujet en questionnant directement le temps de réaction des entreprises en cas de rupture de la supply chain en raison d'une cause externe. La grande majorité des répondants (plus de 60%) réagit dans un délai compris entre un jour et une semaine - les Européens sont majoritaires avec 65% - seuls 17,3% des répondants descendent sous la barre des 24h.
Ce niveau de réactivité exigerait un accès à une donnée de qualité, qui reste rare à ce jour selon l'étude. Le manque de disponibilité et de qualité de données nécessaires à une supply chain résiliente inquiète ainsi près de 19% des répondants. Ils sont même plus de 20% en Europe et autant en Asie Pacifique. D'un point de vue sectoriel, ce sont les industriels automobiles qui s'en préoccupent le plus avec 22,7%, alors que leurs homologues de l'aéronautique et des biens de grande consommation semblent plutôt sereins avec seulement 16% de réponses. L'expertise technologique est moins un sujet d'inquiétude en général, puisqu'elle ne concerne que 15,4% de répondants. Même si les Européens y sont plus sensibles avec 18%. Interrogés sur ces mêmes défis, mais dans un avenir plus lointain d'un à trois ans, fait chuter les taux de réponses à 12,1% pour l'expertise technologique et 13% pour la qualité de la data. Il faut sans doute y lire entre les lignes la volonté des industriels de s'attaquer rapidement à ces problèmes.
La modernisation de l'IT, pas une priorité à court terme
Pourtant, seuls 20,3% des personnes interrogées font de la modernisation de l'IT une priorité en matière de supply chain pour les 12 prochains mois. C'est un des deux plus faibles taux de réponse. Les plus intéressés se révélant être les Nord-Américains (23,1%) et l'industrie aéronautique (22,2%). Le défi le plus mentionné avec 28,9% de répondants est le très large sujet de la résilience de la supply chain. Mais juste derrière, 28% de responsable supply chain font de l'intégration entre la planification, l'exécution et la gouvernance globale de ce processus, leur priorité principale. Quant aux fonctions considérées comme prioritaires dès l'année à venir, il s'agit de la planification (41,7%), de la logistique et du commerce international (38,9%) et de la collaboration avec les clients (38,2%).
En se projetant à 3 ans, les réponses se portent massivement (53%) sur la collaboration avec les fournisseurs et encore une fois la logistique et le commerce international. La collaboration avec les clients recueille elle près de 40% de réponses. Derrière ces réponses transparaît bien évidemment la volonté de disposer d'outils de communication et de collaboration avec les parties prenantes en amont et en aval de la chaîne. Le planning est lui, en toute logique, également considéré comme un composant essentiel d'une possible orchestration complète de la supply chain pour 34,3% des répondants, suivi par le planning et la programmation de la production (32,7%) et la collaboration avec les fournisseurs et les clients (près de 40% pour chaque).
L'intégration au SI souvent encore en cours
Un tiers des entreprises considèrent que leur supply chain est déjà totalement intégrée au reste du SI de l'entreprise, et un second tiers qu'elle est intégrée avec les systèmes d'autres parties prenantes dans la chaîne de valeur. Une moitié des répondants indique aussi avoir spécifiquement intégré planification et exécution. Un taux de réponse qui monte à 60% en Amérique du Nord, mais dépasse tout juste 40% en Europe. En revanche, plus de la moitié des responsables supply chain interrogés considère être encore en phase de maturation de cette démarche d'intégration, mais avec des silos qui subsistent et ralentissent la prise de décision et sans interfaçage avec un jumeau numérique.
Pour piloter la supply chain, 26,3% des entreprises déclarent utiliser simplement une suite intégrée pour la planification et 22,3% une suite intégrée pour l'exécution. 18% utilisent même encore un mix d'applications stand-alone et d'Excel. Et quand on leur demande les technologies dont elles aimeraient disposer pour piloter leur supply chain de façon globale, la plupart cochent toutes les cases... Elles sont néanmoins près de 41% à plébisciter la modularité de l'application et 39,2%, la capacité à configurer elles-mêmes le système. Sans surprise, un tiers des répondants s'intéresse également à l'IA (ils sont 38% dans l'industrie des biens de consommation) et près de 35% à des fonctions spécifiques à leur industrie (25% seulement dans l'aérospatiale).
L'inertie pèse toujours sur la digitalisation de la supply chain
Une étude menée par IDC pour l'éditeur Kinaxis confirme la lenteur de la transformation digitale des supply chain industrielles. Mais la prise de conscience est réelle, motivée par une nécessité vitale d'agilité face aux multiples crises récentes.