Dans une récente interview sur l'avenir de l'open source, Bruce Perens a raison sur un point et tort sur la plupart. Ce pionnier est dans le vrai quand il souligne que « nos licences open source ne sont plus adaptées », même s'il ne sait pas pourquoi. (Selon lui, « c’est parce que les entreprises en ont identifié toutes les lacunes »). En fait, le problème, c’est que si aujourd’hui, l'open source occupe une place importante et essentielle, le modèle de licence est moins pertinent pour les grandes tendances IT de l’époque : le cloud et l’IA. En 2024, il est impératif que cela évolue.
Les nuages s’amoncellent au-dessus de l'open source
Dans certains milieux, il est de bon ton de blâmer des entreprises comme MongoDB (NDLR : le contributeur travaille pour cette société), Neo4j, Elastic, HashiCorp, etc., au motif qu’elles auraient détourné l'esprit open source en imposant des licences du genre Business Source License, Commons Clause et Server Side Public License (SSPL). Mais le problème ne résulte pas de ces éditeurs en particulier, mais que ce qu’ils ont essayé de faire, à savoir distribuer des services « cloud » sous licences « open source ». Or cela ne fonctionne tout simplement pas pour le cloud. Difficile à croire ? Lors d'une interview, Stefano Maffulli, directeur exécutif de l’OSI (Open source Initiative), à l'origine de l’OSD (open source definition) m'a déclaré : « D’une certaine façon, l'open source a loupé l'évolution dans le mode de distribution et d’exécution des logiciels ». Toutes les licences ouvertes ont été conçues avant l'ère du cloud et sont basées sur une modalité de distribution des logiciels aujourd’hui obsolète. C’est le cas par exemple d’Affero General Public License (AGPL) qui n’était pas nativement cloud. Ainsi, « nous n'avons pas vraiment prêté attention à ce qui se passait et cela a donné lieu à beaucoup de tensions dans le secteur du cloud », a poursuivi le dirigeant.
Preuve de ces frictions, MongoDB, a essayé de faire approuver la SSPL comme licence officielle par l'OSI. Finalement, l'éditeur s'est retirée du processus, ce qui est regrettable. Ceux qui appréciaient la licence GPL, devraient aimer la licence SSPL, car il s’agit essentiellement d’une licence GPL taillée pour le cloud. Contrairement à la Business Source Licence et aux licences plus récentes, la SSPL n’interdit pas certains usages du logiciel (c'est-à-dire qu'il n'y a pas de restriction sur l'exécution du logiciel en production à des fins commerciales ou concurrentielles). Elle stipule simplement que si le logiciel est distribué en tant que service, le fournisseur doit mettre à disposition tous les autres logiciels utilisés pour le faire fonctionner, car à quoi sert la liberté d'inspecter, de modifier et d'exécuter un logiciel si l’écosystème pour le faire fonctionner est complètement fermé ?
L'open source, vide de sens à l'ère de l'IA
Il y a une autre technologie qui redistribue les cartes dans le monde de l’open source : l’IA. Avec une question fondamentale, « quel est le « code » que l'open source espère préserver ? ». Lors d'une conversation avec Mehul Shah, le CEO d'Aryn (éditeur de solutions d’IA), nous avons abordé cette question du « code ». Je cite longuement cet article : « En bref, nous ne pouvons pas simplement dire qu'un LLM est open source, parce que nous ne pouvons même pas encore décider ce qui, exactement, devrait être ouvert. Ce problème est similaire à celui que la SSPL tentait de résoudre, mais il est encore plus complexe », a déclaré le dirigeant.
« Il n'existe aucune définition finale de ce que doit être une IA open source », a affirmé pour sa part Mike Linksvayer, responsable de la politique des développeurs chez GitHub. Nous sommes loin d'avoir résolu ce dilemme. Heureusement, cette fois-ci, l'Open Source Initiative (OSI) ne s'est pas reposé sur l'OSD et travaille activement sur ce que devrait être celle-ci pour l'IA. Cependant, Stefano Maffulli souligne qu'il s'agit d'un scénario extrêmement complexe. Le vœu du nouvel an de Matt Asay est que l'OSI prenne la responsabilité de mettre à jour l'OSD pour le cloud et l'IA.